Johnny
De Christian CORREC
Polar noir
Johnny
Johnny Parker était vraiment un beau gosse. Tout petit il l’avait su. Il le voyait dans les yeux des femmes, dans leur sourire et leur attitude. Avec sa mère et sa grand-mère puis avec les voisines ainsi que ses tantes et cousines et sa belle soeur.
C’est d’ailleurs elle qui le dépucela.
Il avait quatorze ans, elle en avait trente-deux.
C’était l’épouse de son frère aîné. Ils avaient deux enfants de dix et six ans. Son oncle buvait beaucoup, énormément, trop. Il délaissait sa compagne qui était encore jeune et belle à cette époque.
Il devenait un bel adolescent, c’était l’été, il faisait chaud. Ses parents étaient partis faire des courses. Sa tante avait décidé de venir passer l’après-midi avec ses deux cousins. Il jouait avec eux et s’amusait de leur inexpérience. Elle avait appelé de loin pour venir l’aider, une voix rauque, plaintive, étonnamment crispée. Néanmoins, il était parti vers la maison en laissant les enfants s’amuser sous le vieil arbre. Sur le coup, il n’avait pris garde au ton de sa voix. Elle n’était pas au rez-de-chaussée de la maison. Un bruit indiqua qu’elle était là haut.
Que pouvait-elle bien faire, songea-t-il ?
Il monta à grandes enjambées. Elle était dans sa chambre assise sur son lit, les bras posés de part et d’autre. Le buste offert, la croupe cambrée. Une drôle de lueur luisait dans ses yeux qui le regardaient d’un air bizarre.
Elle était légèrement vêtue, un short et un bustier noué autour de la taille. L’été était très chaud cette année-là. Il apercevait les deux seins tendus sous le chemisier. Elle transpirait abondamment, des tas de gouttelettes parsemaient son visage. Ses cheveux d’un blond éclatant tombaient épars sur ses épaules.
Elle était belle, désirable à se damner.
Elle croisait les jambes tout en le regardant. Il avait dégluti péniblement. Elle lui rappelait les pin-up qui posaient dans Play-boy et qu’il regardait en cachette.
Sa voix enrouée demanda ce qu’elle voulait. Elle n’avait pas répondu tout de suite et lui avait fait signe de s’asseoir près d’elle, par un signe de la main. Il s’était exécuté, nerveux, contracté. Elle s’était pressée immédiatement contre lui sur le coté. Elle dégageait une chaleur enivrante et troublante. Elle lui communiquait sa tiédeur animale, moite. Instantanément il s’était enflammé. Il en était à l’âge où son sexe ne lui laissait aucun répit et il déployait beaucoup d’ardeur à s’efforcer de le calmer. Il s’était mis à bander immédiatement. Une érection forte et incontrôlable. Son short était prêt à craquer. Elle s’en aperçut et loin de s’en offusquer, lui dit :
« C’est normal à ton âge, je suis belle, n’est ce pas ? »
Il n’osait répondre, gêné par cette réaction si violente et imprévue.
Elle continuait en le regardant droit dans les yeux.
« Je te plais Johnny ? »
Il répondit d’une petite voix:
« Oui, tante Daisy. »
Il n’avait pu poursuivre, elle le coupa brutalement.
« Ne m’appelle pas tante, appelle-moi Daisy, comme si j’étais ta petite amie.
Veux-tu que je devienne ta petite amie ?
« Oui, Daisy. »
Mais à peine avait-il répondu qu’elle s’était ruée vers lui et l’avait embrassé à pleine bouche. Elle avait déboutonné sa chemise avant qu’il puisse opposer le moindre refus. Elle ôta prestement son chemisier et le laissa glisser à terre avant de presser furieusement son torse sur le sien. Puis elle entreprit de lui prendre son membre. Elle l’avait sorti du short et avait commencé à le caresser avec vigueur. C’en fut trop, il éjacula une première fois dans sa main. Elle sourit en se redressant. Il vit deux seins superbes et arrogants qui le menaçaient de leurs tétons. Il en fut charmé.
Je m’excuse, lança-t-il d’un air penaud.
« Ce n’est pas grave, lui rétorqua-t-elle, et puis c’est de ma faute, je t’asticote trop vite, tu es encore si jeune. Il faut aller plus lentement. Ne t’en fais pas, on va recommencer. »
Elle se relevait déjà et enleva son short et sa culotte d’un seul coup et se tournant vers lui à demi allongée sur son lit, en souriant elle dit d’une voix rauque et impudique :
« Allez, ôtes-moi ça. »
Elle lui retira son short et son slip maculé.
Elle était belle comme miss juillet, pensait-il.
Ils étaient nus tous les deux allongés sur son lit dans sa petite chambre. Elle lui avait pris la main et lui faisait découvrir les secrets de son corps. Elle n’oubliait rien et il se laissait guider ahuri et heureux. De son autre main elle caressait son sexe doucement et avec délice. Une nouvelle érection ne tarda pas à renaître. Elle cessa ses effleurements et lui murmura à l’oreille qu’elle allait se faire prendre lentement.
Elle s’était mise à califourchon sur lui et avait introduit son sexe dans le sien aussi doucement que possible. Il avait senti une bienfaisante chaleur entourer sa verge et la tendre encore plus. Une fois que son membre fut complètement enfoui dans le sien, elle se mit à remuer de haut en bas. Elle lui avait pris les mains en lui disant de lui caresser la poitrine. Il s’était exécuté, il sentait un trouble profond s’emparer de son être et parvenir à ce sexe démesurément dur. Elle s’était penchée à son oreille pour lui murmurer de retenir le plus longtemps possible l’éjaculation. Puis elle lui demanda qu’il la prie d’arrêter dès qu’il sentirait qu’il perdait tout contrôle. Il lui demanda trois fois de stopper tout mouvement et à la quatrième, ce fût trop tard et il jouit comme jamais auparavant dans son ventre chaud et dur. En reprenant ses esprits, il avait cru percevoir un petit cri de femelle comblée.
Il était aux anges. Elle s’était abandonnée sur lui et il sentait le liquide tiède couler entre ses cuisses.
Ils étaient restés un long moment ainsi.
Ce sont les cris des deux enfants qui les avaient tirés de leur béatitude.
« Maman, tonton, où êtes-vous ?
Vous jouez à cache-cache ? »
Elle s’était redressée brutalement, lui faisant signe de se taire. Elle se rhabilla en un tour de main. Lui glissant à l’oreille :
« N’en parle à personne, Johnny, c’est un secret entre nous, tu as bien compris. »
Il fit oui de la tête.
Alors elle murmura une prodigieuse promesse :
« On le refera plus longtemps la prochaine fois, je t’apprendrai tout de l’amour. »
Elle disparut dans la cage d’escalier retrouver ses chères têtes blondes.
Il s’était lavé, il n’était plus puceau. C’était merveilleux une femme, si bref et si intense. A ce souvenir une autre érection le prit. Il allait se masturber de nouveau quand il songea à sa tante et à ses caresses. Non, elle faisait mieux que lui, il n’y avait qu’à attendre demain. Elle allait bien revenir demain, pensa-t-il.
Et elle était revenue avec ses enfants le lendemain. Cette fois-ci, elle prétexta une course, laissant les deux mômes à ses parents et ils partirent tous deux dans la voiture. En chemin, elle lui avait expliqué que cela faisait un bout de temps qu’elle attendait cet instant. Elle portait une grande robe ample et légère. Le vent faisait voler ses cheveux par la vitre ouverte.
Il avait pensé :
Elle est de plus en plus belle maintenant.
Sa tante, cette créature projetait l’image de la maturité sexuelle et épanouie qu’on lui avait cachée, tue, ensevelie sous des tonnes de morale. Cette vérité crue et inébranlable s’incrusta dans son cerveau pour devenir un dogme.
Elle parlait en conduisant, lui disant qu’il n’en fallait parler à personne, jamais, cela ferait des histoires abominables, elle était si seule et son époux buvait trop, elle n’en pouvait plus. En outre, ce n’était pas le tromper puisque c’était avec son frère, cela ne sortait pas de la famille, plus tard il comprendrait lui avait t-elle assuré d’un œil complice. Il s’en foutait de son frère, de sa famille, de ce qu’elle disait.
Il voulait recommencer comme hier, il bandait déjà dans son slip.
Quand elle avait stoppé la voiture dans un sous-bois et qu’elle s’était tournée vers lui, il s’était rué sur elle et l’embrassait en lui pelotant les seins avec rage. Doucement s’était-elle écriée, mais elle riait et appréciait cet hommage impromptu. Ils avaient fait quatre fois l’amour dans l’herbe près de l’auto. Il tenait plus longtemps et il l’avait entendu râler de plaisir quand il la labourait de coups de rein ardent.
Ils étaient rentrés repus et heureux comme deux enfants gâtés.
L’été s’était passé ainsi entre des escapades amoureuses avec sa tante dans tous les recoins de la région, de la maison et des mensonges aux parents et à ses enfants. Elle lui apprenait tout ce qu’elle savait de l’amour. Ce n’était pas une experte comme certaines femmes, mais elle possédait une petite expérience qu’elle lui enseignait sincèrement. Elle lui avait inculqué surtout qu’il était beau et qu’il plaisait aux filles. Il avait une belle petite gueule, comme elle disait. Avec une gueule pareille, on a toutes les filles de la terre, on ne peut pas dire non. En plus, il était grand, blond avec des yeux d’un bleu à s’y noyer. Un songe pour toute femme normalement constituée.
Elle lui avouait, lui répétait à l’envie entre deux coïts, deux caresses.
Il était si jeune à ce moment-là. La révélation de son charme et de son physique influença de manière déterminante sa façon de voir les choses et de les vivre. Il ne se rendit pas compte de la superficialité de l’existence qu’il se destinait. Il stoppa net sa croissance intellectuelle. Le monde se constitua autour de sa personne et des créatures féminines qu’il convoitait avec avidité.
Rapidement il s’en était persuadé et l’avait remerciée secrètement de cette découverte primordiale.
En effet, l’école n’était pas son domaine favori, sa famille était pauvre et ne pouvait assurer des études longues et difficiles. L’avenir s’annonçait laborieux. Alors, si une ouverture se présentait, il n’allait certainement pas la refuser.
La rentrée arrivait et les visites de sa tante s’espacèrent. Il ne lui restait qu’à tester son charme auprès des nombreuses filles de l’école.
A sa grande surprise, sa tante avait dit vrai. Il souriait à une fille et elle lui répondait, flattée qu’il la remarque. Un bonjour par-ci ou un bonsoir par-là, et la conversation s’engageait. Un rendez-vous et le flirt pouvait débuter.
Toutefois, elles refusaient de faire l’amour comme il le faisait avec Daisy. Elles dédaignaient aussi de le branler, c’est tout juste si elles acceptaient de se faire peloter les seins. Au bout d’un certain temps, sans ébats, son sexe le tourmentait de plus belle. Heureusement Daisy prétextant un je ne sais quoi, ils se retrouvèrent tous les deux à forniquer dans la voiture. Cela faisait quinze jours qu’ils ne s’étaient pas retrouvés et les ébats furent torrides. Elle lui avait manqué et il s’appliquait à la satisfaire comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Elle ne cessait de gémir de plaisir et de fureur mêlés. Quand elle l’avait ramené, il était fier et heureux, il commençait à se sentir un homme, surtout auprès des filles.
Il reprit sa quête à l’école. Il se bâtissait une réputation de dragueur et les filles lui souriaient sans peine. Il les voulait toutes, enfin, surtout les plus belles.
Au cours d’une étreinte avec Daisy, il lui avait parlé de ses difficultés à consommer les filles de sa génération. Sa tante avait éclaté de rire. Evidemment, lui avait-elle dit, à leur âge j’aurais fait pareil, les parents, la religion en font un interdit si fort qu’aucune n’essaie de le transgresser. Trop peur de finir avec un moutard et la honte du quartier avec les parents qui vont chercher le futur époux.
Elle le regardait en riant, c’est vrai, c’était encore un enfant et elle lui avait expliqué la vie, les femmes, la société et ce qu’elle avait compris.
Il avait vite saisi que sa tante avait été comme elles, une gentille fille au flirt tranquille. Un amoureux, un fiancé puis un mari pour faire comme les copines. La découverte du sexe entraperçu avec un amant trop buveur. Deux enfants trop vite faits et une soif de vivre inlassablement présente. Son neveu trop beau pour être réel. La vie qui passe et cet époux qui ne cesse de boire. Avant d’attaquer l’automne de sa vie, elle avait été trop tentée par ce jeune homme qui était là, qui attendait, qui espérait tant de l’avenir, alors comme ce n’était qu’un parent par alliance, elle n’avait eu aucun mal à succomber au frère de son époux. Elle avait cédé un après midi trop chaud, trop beau. Elle ne regrettait rien, elle profitait de l’instant présent, du bonheur et du plaisir qu’il lui donnait. Ce n’était pas de l’amour, il était trop jeune pour elle. C’était un amant passionné et fougueux, un beau souvenir pour ses vieux jours, un jour de fête au milieu de sa grisaille quotidienne. Elle avait aimé son frère au début, énormément au commencement, mais si peu ensuite. Les bouteilles étaient trop fortes pour elle, elle le laissait à son sort et profitait avec ses fioles à elle.
Elle lui expliqua que s’il voulait baiser, il fallait draguer les filles plus âgées, les femmes mûres. Elles, elles savent le prix des choses et les redoutent déjà, alors elles veulent profiter du temps qui défile. Les jeunes ne savent rien encore, certaines ne sauront jamais, d’autres comprendront trop tard, certaines auront de la chance d’en profiter un peu, comme elle.
« Il faut que tu dragues les filles plus vieilles que toi, par exemple les mères de tes copines. Je suis sûre que certaines se laisseront faire. Tu es trop beau, petit mec.
Essaies, tu me raconteras. »
Johnny avait compris rapidement que l’amour était une bien belle connerie et qu’il ne fallait pas tomber dans ce piège grossier. Surtout, pour les avoir toutes, éviter le mariage et rester libre. Il reprit ses jeux de séduction sur les minettes des alentours, attendant d’exercer son charme sur une mère passant par-là.
Au cours de ses pérégrinations avec les filles, une mésaventure inattendue lui avait donné à réfléchir sur la nature de ses relations avec les gens de son propre sexe.
Il sortait à l’époque avec une nommée Alice. Une grande blonde de dix sept ans, un peu moins niaise que les autres. Celle-ci acceptait de le caresser quand il était trop excité par leurs jeux interdits. Il aspirait à la séduire totalement. Il la sentait parfois sur le point de rompre. Il avait compris qu’elle avait une nature qui faisait douter les tabous imposés par la famille et l’église. Un soir qu’il rentrait chez lui, trois gars l’accostèrent. L’un d’entre eux lui demanda de quitter Alice car c’était sa fiancée. Il lui enjoigna de ne plus la voir sous peine de lui casser la gueule. Johnny se mit à rire aux éclats croyant à un jeu quelconque.
Il rentra chez lui après avoir pris deux coups de poing dans la gueule et en promettant de ne plus revoir Alice.
Il avait un œil au beurre noir, son nez saignait et surtout il savait qu’il était couard, peureux et lâche. Sa petite gueule lui imposait une trouille bleue de la bagarre. Aucune fille ne valait de se faire abîmer le portrait même pour son beau petit cul. Certains mecs étaient jaloux, bêtes et méchants. Il ne comprenait pas cet acharnement, il y avait tant de filles seules qui n’attendaient que cela ?
Il se dit :
Adieu Alice, salut les autres.
Ainsi il allait construire sa vie sur des rencontres fortuites, courtes et sexuellement satisfaisantes. Sans se mettre en danger et sans devenir le chef de la meute pour éviter des combats inutiles et dangereux.
Il avait évité de la revoir et résolut de suivre le conseil de Daisy. Séduire une femme mûre, la mère d’une copine.
Peu après, il sortait avec une autre jeune fille nommée Sandra. Elle avait seize ans et était mignonne sans plus. Il l’avait choisi parce qu’il avait remarqué que sa mère, une très belle femme, le regardait parfois à la dérobée. Il flirtait gentiment avec Sandra, trop jeune et bien trop timorée pour oser quelques caresses intimes. Il allait chez elle parfois et s’amusait de l’intérêt qu’il suscitait chez sa mère. Au bout d’un mois, il se risqua à passer à l’attaque. Sandra était chez des amies, néanmoins il s’était dirigé vers sa maison un après-midi. Il avait sonné à la porte, sa mère était venue ouvrir. Après les salutations d’usage, elle lui avait annoncé que sa fille était absente. Il avait prétexté qu’elle devait lui remettre un devoir, elle l’avait laissé entrer et monter dans la chambre pour tenter de le trouver. Il faisait semblant de fouiller, il avait demandé son aide, elle était entrée dans la chambre et cherchait d’un œil distrait tout en le détaillant. Il avait attendu qu’elle passe près de lui pour la frôler. Elle avait tressailli à son contact, il avait accentué son avantage en la coinçant contre le mur tout en cherchant négligemment le document, elle n’osait bouger, il sentait sa chaleur, son pouls agité, elle tremblait légèrement. Il se tourna vers elle brusquement, ils étaient l’un contre l’autre à se regarder et se défier du regard. Avant qu’il n’ait fait un geste, elle se pressa contre lui et l’embrassa à pleine bouche. Ils partirent enlacés et firent l’amour sur le lit de sa fille.
Il était parti avant que Sandra ne rentre. Il avait réussi, il avait un autre rendez-vous avec elle pour le lendemain. Il venait d’avoir seize ans et possédait deux maîtresses plus âgées et expérimentées que bien des hommes auraient voulu posséder. Les relations sexuelles qu’il entretenait avec ses deux initiatrices le condamnèrent à ne voir en elles que des objets de plaisir, uniquement dédiés à son bonheur personnel. Son égocentrisme n’en fut que plus exacerbé et naturellement revendiqué par sa beauté naturelle.
Joan, la mère de Sandra, avait trente-cinq ans et n’en revenait pas de s’être laissée emporter par cet adolescent aussi jeune mais terriblement séduisant. Elle était en manque de sexe avec son époux qui la délaissait pour ses affaires. Johnny eut ainsi beaucoup de chance de découvrir et de parfaire son éducation sexuelle avec deux femmes de grande expérience. Elles ne se firent pas prier pour lui expliquer ce qu’elles savaient de l’amour entre deux amants. Il en était là de ces relations quand un événement imprévu vint perturber et influencer sa vie.
Sa tante partit un beau matin avec un représentant de commerce, un homme de dix ans son cadet, abandonnant son époux et ses deux enfants. Leurs parents la maudire à jamais. Seul Johnny regretta cette tante trop belle et trop pleine de vie et d’amour à donner.
Elle lui avait écrit un mot :
Johnny, profite de la vie, tu es si beau, un rêve, un ange. Je garderai un merveilleux souvenir de toi, toute ma vie. Bye, bye.
La vie avait repris dans la tranquille petite ville.
Sandra et sa mère s’en allèrent un beau jour de la même année, le travail du père les emmenait hors de cet état. Une page de sa vie se tournait. Un moment important qui lui avait fait découvrir sa sexualité et les femmes. Il ne les percevait que comme des êtres faits pour assouvir ses pulsions sexuelles et les leurs qu’elles ne parvenaient à maîtriser. En fait, c’étaient toutes de belles salopes avec plus ou moins de cœur. Et cette faiblesse était la force pour les amener dans son lit. Il fit sien le dicton, « une de perdue, dix de retrouvées » et passa le reste de son adolescence à courir les filles et leurs mères.
*
Les années avaient passé et Johnny avait grandi. Sa croissance n’avait rien changé à l’affaire, bien au contraire, il était grand, un mètre quatre vingt cinq, mince et musclé. Quatre vingt kilos de muscle avec une peau mat et blond comme un suédois. Un rêve pour toutes les filles du coin. Il en profitait avec réalité et sans états d’âme. Une fois la fille conquise et couchée dans son lit, il n’éprouvait plus le besoin de la séduire, juste la ramener de temps à autre pour tirer un coup. Elle pouvait pleurer, jurer qu’elle l’aimait, il s’en moquait et la laissait là et reprenait sa quête d’une autre. Il savait qu’il ne tomberait jamais amoureux, trop de femmes parsemaient le monde pour qu’une seule puisse parvenir à le garder.
Au fil du temps il devint un dragueur impénitent. Le tombeur du quartier.
Les études ne l’inspirant guère, il s’était intéressé aux sports.
Le rugby américain était trop dangereux pour sa belle gueule, il avait tenté le basket, mais il n’était pas assez grand, le volley, idem, l’athlétisme, moyen partout, alors il avait échoué au tennis. Ce fut un coup de foudre. C’était un sport pour lui, pas violent, plein de gonzesses, avec une tenue seyante qui le mettait encore plus en valeur. Son intérêt grandit et il s’entraîna comme un forcené. Il était classé et envisageait une carrière professionnelle, mais les contraintes et les sacrifices étaient trop importants pour lui, il ne dépassa pas le comté. Qu’importe, il avait trouvé sa vocation, il serait professeur de tennis.
Son dernier entraîneur lui avait dit le plus sérieusement du monde :
« Johnny, avec ta gueule et ton physique, deviens entraîneur dans un bon club et ton avenir est assuré. De plus tu te défends pas mal à ce jeu. »
Johnny n’hésita guère.
Il avait dix-huit ans et le patron du tennis club du coin l’embaucha immédiatement. Il avait instantanément pressenti que son arrivée allait engendrer une augmentation de la gente féminine.
Avec sa taille haute, ses cheveux blonds volant au vent, ses yeux bleus et son sourire, il projetait, dans le désir des femmes, des rêves sensuels et merveilleux.
C’était un petit club de quartier. La clientèle était chic sans être fortunée. Des cadres moyens qui venaient jouer avec leurs épouses et amis surtout le week-end et parfois en semaine suivant leurs disponibilités. Leurs compagnes venaient la semaine, entre la corvée des enfants à l’école et la tenue de la maison, prendre quelques leçons pour améliorer leur tennis débutant et faire bonne figure devant leurs maris. Il y en avait pour tous les goûts, des belles, des très belles même, des mères avec leur fille, des brus avec leur belle-mère, des jeunes, des très jeunes et des vieilles. Johnny dispensait ses leçons et ses sourires à toutes et à tous avec professionnalisme et équité.
Il devint vite la coqueluche de ces dames. Elles voulaient toutes suivre ses leçons. Il en tirait bien des avantages à commencer par une augmentation. En effet, à peine embauché, son patron l’augmenta pour le garder. Puis il y avait les pourboires très généreux de ses clientes. Elles étaient toutes fières et heureuses des leçons dispensées par le beau professeur, de ses remarques, de ses sourires et de ses quelques caresses dispensées par-ci par-là au gré des coups droits et des revers qu’il leur enseignait au plus près. Certaines lui en étaient très reconnaissantes de les avoir traitées comme toutes les autres. Il ne se privait pas pour juger jusqu’où il pouvait aller avec sa victime. Il profitait de la moindre erreur pour se plaquer sur sa proie et coller son corps contre le sien tout en prenant ses mains dans les siennes avec la raquette afin de lui apprendre le mouvement précis qu’il convenait d’exécuter.
La beauté de Johnny subjuguait les femmes mais provoquait chez ses contemporains un ressentiment qui pouvait aller jusqu’à la haine et des désirs de meurtre. Certains rêvaient ainsi de l’éliminer physiquement et ce désir d’exécution se projetait sur leur visage et les rendait bien plus laids.
La journée, entre deux cours, il faisait du sport pour entretenir son physique. Le soir, il sortait dans des boites à la mode à courir les jupons de jolies jeunes filles nettement plus fraîches. Au club, il draguait les femmes mariées de trente ou quarante ans pleines d’oseille. Il était né beau mais pauvre, et il avait vu ses parents trimés toute leur vie pour pas grand chose. Son vieux était mort alors qu’il avait vingt-quatre ans. Usé le père, pourri l’ouvrier à trimer des jours sans fin pour le bonheur des autres. Sa mère le suivit à peine deux ans plus tard. Il en est des couples comme des paysages. On coupe un arbre, le site disparaît et on s’interroge sur l’origine de son attrait.
Johnny, lui, avait choisi son boulot, il ramassait les mères de famille pas très fidèles et leur jouait Casanova au lit.
Elles n’avaient plus l’habitude, elles étaient flattées, pensez un beau garçon aussi jeune accroché à leur jupon à leur âge?
Inespéré, elles en rêvaient la nuit au son des ronflements de leur cher et tendre époux, de cet homme qui gisait près d’elle, qu’elles avaient épousé par amour.
Lui, s’amusait de ce piège grossier. Trop de femmes parsemaient le monde pour qu’une seule le retint. L’amour n’était qu’un leurre, une illusion d’optique à un âge où l’on ne perçoit que les brumes de sa vie.
Après il pleurait un peu contre la cherté de la vie, la dureté de l’existence, la difficulté des jeunes, et il avait droit à des pourboires bienvenus. Il donnait des cours à leurs maris et il se marrait bien en voyant les cocus. Parfois un peu moins quand un costaud se décidait à lui casser sa petite gueule de pute. Alors il foutait le camp un peu plus loin. Parce que son visage, c’était son gagne pain, son remède contre la misère.
Donc, pas question qu’on lui arrange le portrait, il mettait les voiles vers la ville suivante et montait un peu plus vers le Nord. Il était natif d’une petite bourgade du Wyoming, Jacksonville, que personne ne connaissait hormis les habitants situés près de Casper.
Son égocentrisme effrayant et cruel attirait les filles qui recherchaient ainsi des raisons de le faire douter, de se donner en croyant faire une bonne action.
Au fil du temps, il devint un petit gigolo, un trou du cul de seconde zone à ses tous débuts. Puis la chance et l’émigration aidant, il échoua dans un club très sélect. A présent, il était dans le Montana. Ses pérégrinations l’avaient conduit à Missoula, une ville relativement importante de cet état.
Petit à petit, il se douta qu’il ne pourrait bâtir toute sa vie de cette façon. Un copain, professeur comme lui, lui suggéra une idée qui germa lentement dans son cerveau de trou du cul :
« Johnny, avec ta gueule et la jeunesse qui se tire, un jour tu risques des ennuis avec un teigneux. A ta place, j’en chercherai une pas trop mal et très riche. Après, en te démerdant bien, tu lui joues la grande scène de l’amour fou, du mariage et de la famille, enfin tout le tintouin. Tu l’épouses et tu seras peinard. Avec un peu de pot, si elle est plus vieille que toi, elle meurt avant. Tu hérites et tu finis comme un pacha. »
Génial ! s’était-il écrié
En trouver une bien riche, fortunée et l’épouser.
Comment ne pas y avoir penser auparavant, songea-t-il ?
Immédiatement, il se mit en tête de dénicher l’oiseau rare avant ses trente ans.
Il avait croisé Elisabeth Bernstein au club de Tennis Country Club de Missoula. L’une de ses anciennes maîtresses la lui avait présentée. Son nom lui disait quelque chose. Il lisait la presse mondaine spécialisée depuis un bon moment à la recherche de l’oiseau rare. Instantanément, il comprit qu’il l’avait trouvé. En plus, il avait une côte pas possible.
Quand il la croisait, elle ne pouvait ne pas le voir et il pouvait lire dans ses yeux qu’elle n’était pas insensible. Lui, la gratifiait d’un sourire des plus charmeurs. De toute manière, il faisait ça avec tout le monde, on ne sait jamais.
Elle était veuve depuis deux années d’un des hommes les plus riches de la région. Elle avait tout hérité et n’avait pas d’enfant. Pour cause, ils avaient vingt ans de différence.
A cette époque, Elisabeth était une très belle fille, ancienne miss d’Oklahoma city, elle avait fait un peu de cinéma puis avait rencontré David, son futur mari, et l’avait épousé pour sa gentillesse et sa fortune. C’était une femme très avenante qui promenait sa solitude et sa beauté avec une nonchalance acceptée.
Elle avait ce charme infini des anciennes reines de beauté qui ont admirablement vieilli. Elle rayonnait avec un charme irradiant et tranquille.
Elle prenait des leçons avec un autre professeur qui n’était pas à proprement parler un ami, un certain Vince. Johnny patientait, attendant l’instant propice.
La chance lui sourit opportunément.
Son professeur attitré était tombé malade et son patron l’avait désigné pour le remplacer. Elle prenait des leçons une à deux fois par semaine. Quatre heures d’affilée en un après-midi généralement. Elle avait sourcillé quand le patron du club lui avait présenté Johnny, qui allait remplacer pour quelque temps son prof habituel, mais au sourire charmeur qu’il lui avait décroché, elle fut flattée et enchantée de cette rencontre.
Johnny avait compris immédiatement qu’il lui plaisait énormément.
Le contraire aurait été improbable par ailleurs.
Il lui prodigua pendant quatre heures ses meilleurs conseils. Elle était douée et suivait sans difficulté. Il fallait marquer le coup d’entrée et il ne se priva pas pour signer des points précieux. A la moindre erreur il se plaçait tout près d’elle et la reprenait en lui montrant le bon mouvement ; au besoin, il se plaquait contre elle, la prenait entre ses bras, mettait ses mains sur les siennes et dispensait le coup, lui communiquant ainsi sa chaleur. En épousant son corps, il était comme un fauve devant sa future proie. Très vite, il ressentit son émoi. Elle était plus que troublée et ne savait que faire sinon rester immobile et cacher son embarras sans rien en laisser paraître.
Elle ne bougeait plus semblant attendre l’étreinte. Lui, faisait comme si de rien n’était et reprenait son rôle comme s’il ne subsistait aucun malentendu. En somme, ce qu’il faisait avec toutes, ni plus, ni moins. Il pratiquait ces méthodes depuis si longtemps que c’en était devenu un exercice familier mais effectué de la manière anodine qui soit pour être passé maître à ce jeu. C’était une manière de tester ses futures maîtresses car certaines refusaient ce corps à corps et il savait alors qu’il n’y avait plus rien à faire de ce coté là. En revanche, si cet exercice ne leur déplaisait pas, il réalisait que ce n’était qu’une question de temps pour qu’elles finissent dans son lit un jour ou l’autre.
Au fil de la leçon, il se risqua davantage, collant sa joue contre la sienne, la mettant derrière lui pour qu’elle ressente le mouvement par lui initié et sente son corps à lui avec sa musculature et sa jeunesse. Son trouble augmentait et elle ne savait comment y faire face. Parfois, elle restait ainsi tout contre lui n’osant rompre l’enlacement. Vers la fin de la séance, il lui proposa un match entre eux pour la détendre. Elle lui en était reconnaissante et avait entrepris de mettre dans ce duel toute la frustration engendrée par son corps bouleversé par ces contacts.
Elle avait perdu cette joute sans enjeu rapidement, trop contractée pour placer ses coups aussi sûrement qu’elle le faisait habituellement. Il la reprenait à chaque point perdu et lui prodiguait maints conseils qu’elle n’écoutait plus depuis belle lurette.
Dix-huit heures sonnèrent. Il l’accompagna à son vestiaire en l’assurant qu’il était à son service pour une prochaine fois. La phrase était interrogative avec le même sourire dévastateur. Elle baissa les yeux en promettant d’y réfléchir et disparut soudainement.
Elle avait eu envie à cet instant qu’il la prenne dans ses bras et l’embrasse puis la prenne comme une bête dans quelques recoins. Elle lui en voulait maintenant d’avoir réveillé ses sens enfouis au plus profond d’elle-même depuis deux ans. Deux longues années que son époux était décédé d’une longue maladie, quatre ans qu’elle n’avait eu de rapport avec un homme. Parfois un embrasement surgissait mais elle y mettait bon ordre. Quelquefois un rêve érotique troublait son sommeil, un somnifère réglait le problème. Là, elle ne savait que faire.
La douche froide fut bienvenue et elle resta longtemps à attendre que le feu s’éteigne. Malheureusement, il se consumait toujours. Pendant sa toilette, ses mains effleurant ses seins encore fort beaux, ses cuisses longues et fermes, sa croupe ronde et potelée, tout son corps lui rappelait l’amour et elle se surprenait à l’appeler du tréfonds de son âme, de l’antre de son désir, de tous ses charmes épanouis.
Elle chassa cette idée qui revenait sans cesse, s’habilla bien vite et marcha vers sa voiture. Elle le croisa inévitablement sur son chemin. Il était avec une jeune demoiselle qui visiblement était subjuguée par sa prestance. Elle en ressentit une grande peine et s’aperçut avec effroi qu’elle était jalouse.
Affreusement tourmentée, elle, comment se pouvait-il ?
Il n’y avait rien entre eux et que pouvait-il y avoir entre une femme mûre, très riche, et un beau jeune homme professeur de tennis ?
Grand dieu, elle perdait la tête, elle courut à sa voiture et partit avec un grand crissement de pneus.
Johnny la vit partir et sut qu’il avait marqué des points.
Maintenant, les dés étaient jetés, il fallait patienter. En attendant, la jeune fille à ses cotés était un fruit très tentant. Il n’y avait encore aucune raison pour qu’il n’en tire pas profit. Le sempiternel sourire charmeur réapparut, une autre leçon, une autre créature, une autre proie.
*
Il attendit plus qu’il ne le pensait.
Elle n’était pas venue pendant deux semaines. C’était inhabituel et son patron avait demandé de ses nouvelles. Il lui téléphona et la questionna pour savoir si son protégé s’était mal conduit.
Non, avait-elle répondu, pas le moins du monde, mais elle était légèrement souffrante et ne se sentait pas très bien pour une leçon de tennis. En réalité, elle n’osait retourner au club et craignait de se retrouver avec ce jeune homme qui enflammait toutes ses nuits. Elle ne dormait qu’avec des somnifères et avec bien du mal. Elle tournait dans son grand lit cherchant un hypothétique sommeil. Elle se réveillait parfois au milieu du même rêve érotique avec ce jeune homme lui faisant l’amour. Elle en pleurait de honte. Elle ne savait plus que faire.
Il lui arrivait d’y penser aussi la journée, au bureau, avec ses amies autour d’une tasse de thé. A ces moments, une grande bouffée de chaleur l’envahissait et une moiteur ancienne apparaissait entre ses cuisses. Elle n’avait que trente-huit ans après tout, c’était encore jeune.
Elle en parla à son médecin, un vieux monsieur à l’aube de la retraite. Il lui avait assuré que c’était normal à son âge et qu’il était fort étonné car il pensait qu’elle avait déjà pris un amant depuis la mort de son époux.
Il se dit fort surpris qu’elle ait renoncé à des rapports depuis si longtemps. Il lui dit que c’était une très belle femme et que la nature se souciait peu des convenances et des raisons sociales. Elle avait été une épouse honnête mais son mari étant décédé depuis deux années maintenant, elle pouvait prendre un amant ou refaire sa vie avec un homme de son âge. Malgré la mort de David, la vie continuait et il devait en être ainsi. Il lui avait prescrit un calmant qui ne ferait pas longtemps effet vu son jeune âge. Elle n’avait pas dit un mot durant toute la visite. Elle savait qu’elle pouvait faire confiance à ce vieux docteur qui était aussi un vieil ami de son mari. Elle avait deviné que ses sens se réveillaient devant ce beau jeune homme. Elle se rappelait sa jeunesse et les quelques aventures qu’elle avait connues avant son mariage. Une surtout lui avait fait entrevoir les joies et les délices des amants. C’était un homme qui collectionnait les femmes et les voitures, un amant exceptionnel qui lui avait fait découvrir des horizons inconnus et fertiles en émotion. Elle avait eu peur du chemin qu’elle empruntait. Sa volonté, sa foi et une certaine morale l’avaient remise dans le droit chemin. Heureusement, il était reparti aussi vite qu’il était entré dans sa vie. Elle avait abondamment pleuré puis avait rencontré son futur époux qui lui offrait une vie sûre et confortable.
Ce n’était pas un grand amant mais il avait suffit jusque-là.
A présent, son corps criait de nouveau au loup car il n’y avait plus de contrainte, plus de mari, seul un corps qui réclamait son dû.
La médication du médecin la calma et elle se sentit la force de repartir au club affronter l’impertinent. Elle téléphona et prit un rendez-vous pour le jour même. Elle apprit que son professeur était de retour et qu’il se ferait un plaisir de se dégager. Elle était en colère contre ce contre temps et hésitait à répondre au téléphone. La personne à l’autre bout, étonnée par ce silence, demanda si elle désirait un autre professeur. Elle bredouilla et murmura des mots incompréhensibles pour son interlocutrice. L’autre ne comprenant rien, croyant bien faire, suggéra un cours avec Johnny Parker comme la fois précédente.
Malgré elle, elle répondit :
« Oui, je veux Parker. »
Elle resta pétrifiée par sa propre réponse, regardant le téléphone avec horreur.
La personne lui répondait déjà:
« Bien, madame Bernstein, quatorze heures avec Johnny Parker, merci madame, au-revoir madame. »
Elle était toujours interloquée devant le combiné qui crachait ses bips bips à tout va. Elle raccrocha et demeura ainsi effondrée par son choix. Son corps commandait à son cerveau et réclamait cet homme.
Le patron du club en personne avait averti Parker que madame Bernstein avait pris une leçon avec lui pour l’après-midi. Et il ajouta :
« Tu as de la chance petit. Si cette dame n’était pas revenue, je te foutais dehors toi et ta petite gueule. C’est une des plus grosses fortunes du coin. Elle et ses amies contribuent et pas qu’un peu à la réussite de ce club, alors attention Johnny, doucement.
Pas de bile patron, je soigne toutes vos clientes et vous le savez bien. »
Bon, je t’ai averti, maintenant je me charge de l’autre pour qu’il ne fasse pas d’histoires car avec les pourboires qu’elle lui refilait, il va faire la gueule. »
Puis il tourna les talons.
Johnny souria, enfin, elle revenait.
Il patienta jusqu’à quatorze heures avec impatience. Elle l’avait demandé, mais avait mis quinze jours pour cela.
Avait-il commis un impair la première fois ?
Avait-il été trop loin ?
De toute façon se dit-il au bout d’un moment, si cela ne marche pas avec celle là, j’en trouverai bien une autre. Oui, mais celle-ci était bien faite et très riche.
Après tout, on verrait bien cette après midi. Son adolescence mouvementée et basée sur le sexe ne lui permettait pas une réflexion riche et entière. Il s’en remettait perpétuellement au lendemain.
Il l’attendait sur le parking quand il vit la jaguar pénétrer au club. Elle l’avait aperçu et son cœur s’était mis à cogner comme un sourd dans sa poitrine.
Elle pensa :
Tu n’es plus une gamine. A ton age, c’est ridicule.
Fière et heureuse de ressentir à nouveau ces pulsions, elle stoppa près de lui.
Il arborait un grand sourire et lui ouvrit sa portière en lui disant :
« Madame Bernstein, je suis très heureux et flatté de votre choix. Je me suis beaucoup inquiété de votre santé et je me suis posé des questions sur mon comportement et les conseils que je vous avais prodigué.
Peut-être avez-vous trouvé mes leçons trop particulières, trop intimes ? »
Non, répondit-elle, c’était parfait, j’ai juste eu une indisposition momentanée, ça va mieux maintenant, vos leçons n’y sont pour rien. La preuve, je reviens vers vous et non pas vers Vince. Il n’est pas trop déçu de ce changement j’espère. »
Non, répondit Johnny. Le boss l’a prévenu, ça va maintenant.
« J’en suis fort heureuse. »
La prenant par le bras il lui décocha un sourire et lui fit des yeux qui la chavirèrent.
« Je vous attends sur le court numéro huit madame Bernstein. »
Elle se changea en cherchant à dissimuler le trouble qui la gagnait. Elle se surprit à jeter un coup d’œil à la glace près de la sortie et s’aperçut qu’elle était encore très désirable même pour un homme de moins de trente ans.
Le court numéro huit était situé tout au bout du club dans un endroit isolé. Johnny l’attendait assis sur un banc au soleil. Il était bien plus beau que dans ses souvenirs. Ils reprirent la leçon.
A son grand désespoir, cette fois là, il ne la serrait plus comme auparavant et elle se sentait privée d’une récompense. Il lui indiquait les corrections à un mètre d’elle. Il ne la touchait plus. Elle était moins perturbée, mais une certaine frustration persistait dans sa tête. Cette situation la mit de mauvaise humeur. Elle pensa à son absence depuis deux semaines, à cette jeune femme extrêmement sensible au charme de ce jeune homme. Il était célibataire et il devait compter beaucoup d’aventures. Il se moquait pas mal d’Elisabeth Bernstein. Elle devenait furieuse contre lui, contre elle-même.
Et ce qui devait arriver arriva. A la suit d’une balle mal négociée, Johnny l’interpella gentiment, comme d’habitude. Elle répondit d’une voix mal assurée :
« Je sais, je l’ai fait exprès. Vous ne me croyez pas ? »
Il sentit à sa voix qu’elle était furibonde. Il lui sourit. C’est ce qui marchait le mieux dans ces cas-là et il s’excusa :
« Je m’excuse madame Bernstein, je suis trop distant avec vous aujourd’hui, je vais changer d’attitude. »
Il se dirigea vers elle et entreprit de la reprendre doucement et avec calme. Il faisait les mouvements en tournant autour d’elle, à droite, à gauche, devant, derrière. Elle en avait presque le tournis. Puis, il lui demanda de faire de même. Elle s’exécuta de bonne grâce. Elle variait les positions et les mouvements comme lui. Elle se calmait quand brusquement, à cause d’un mauvais coup de sa part, il lui demanda de stopper, la prit dans ses bras et commença à la corriger. Ils étaient étroitement collés l’un à l’autre et elle se laissait faire. Elle sentait son odeur, ses muscles. Son cœur battait contre son dos. Une pensée horrible et alarmante s’imprima dans son cerveau :
Mes fesses sont contre son ventre chaud et pas encore dur.
Cette vision immorale lui plut et elle sursauta.
Il s’excusa aussitôt, pensant l’avoir choquée par son attitude.
Elle le rassura immédiatement :
« Non, vous n’y êtes pour rien Johnny mais si on nous voyait, on jaserait. Pensez donc, une vieille femme de mon âge enlacée par un jeune homme comme vous. La position est équivoque et je sais que vous ne pensez pas à mal, mais si on nous voyait ? »
Elle le regardait droit dans les yeux pour voir la réponse qu’il n’allait pas manquer de faire. Elle fut intimidée et étonnée de l’intensité de son regard.
« Vous êtes très belle madame Bernstein et je ne suis qu’un petit professeur de tennis qui vous dispense son savoir.
J’aimerais bien être plus que cela. »
Ses yeux avaient une teinte sombre, un bleu si profond qu’on pouvait s’y perdre et s’y noyer. Elle tressauta et baissa les yeux en répondant :
« N’y pensons plus, reprenons les leçons. »
Le charme était rompu et elle s’en voulut beaucoup car c’était de sa faute. Ils continuèrent comme si de rien n’était mais le cœur n’y était plus. Il entreprit alors de la faire rire et il y parvint non sans mal. Il faisait le pitre sur des coups faciles, se moquant de lui-même.
Ils avaient terminé par un match l’un contre l’autre et elle avait fort bien résisté. Il l’avait félicitée chaleureusement et s’était enquis de sa prochaine leçon. Elle le regardait hésitante et craintive comme une proie attend d’être dévorée par son prédateur.
« Je ne sais pas, demain peut être, s’entendit-elle répondre. »
Il l’a pris au mot immédiatement
« OK pour demain quatorze heures, merci madame Bernstein et à demain. »
Un sourire, une poignée de main qui s’attarde un peu et provoque un fourmillement de désir.
Elle avait disparu dans son vestiaire et constata qu’elle n’était pas libre demain. Elle déjeunait avec Douglas, son chargé d’affaires comme tous les mercredis d’ailleurs. Mais, entre le conseiller et Johnny, il n’y avait pas photo. Pour la première fois depuis des années, elle décommanda son rendez-vous avec Doug comme elle l’appelait parfois. Il fut fort étonné mais s’exécuta de bonne grâce. Madame Bernstein était sa meilleure cliente et surtout la plus riche. Il ne pouvait la contrarier.
Elisabeth rêva pendant vingt-quatre heures à sa prochaine confrontation avec cet homme qui embrasait son corps et son âme comme une adolescente rêvant à son premier flirt.
Le lendemain, à quatorze heures, Johnny l’attendait sur le parking avec son sourire, sa jeunesse et sa beauté. Elle avait à peine dormi de la nuit. Des cernes sous ses yeux la rendaient encore plus désirable. Il s’en aperçut immédiatement. Il reprit ses leçons mais, cette fois-ci, à la moindre occasion, il se jetait sur elle et la recouvrait de son corps, de ses bras. De temps en temps, il posait sa tête sur son épaule ou bien soufflait sur sa nuque son désir et sa chaleur. Elle en tremblait comme une fillette apeurée et intriguée à la fois. Elle se demandait comment il allait s’y prendre pour oser l’étreinte tant redoutée. Johnny s’énervait lui aussi maintenant de cette situation. Il lui fallait conclure mais d’une manière différente, pas comme avec ces putes, ces chattes en chaleur qu’il draguait pour un coup vite fait, dans un coin du vestiaire, au sauna, voire sous la douche. Là, c’était plus sérieux, il fallait montrer des sentiments. Quelle connerie l’amour pensa t il, mais le jeu en valait la chandelle !
Dix millions de dollars, madame Elisabeth Bernstein valait environ dix millions de dollars. Ce n’était pas rien, surtout pour un pauvre comme lui. Alors il joua la scène du gentil amoureux un rien intimidé.
Ils étaient joue contre joue et il déposa un baiser léger comme une caresse sur sa joue, puis reculant et baissant les yeux il dit :
« Je m’excuse madame, vous êtes si belle, si désirable, je n’ai pu retenir ce geste trop familier, je suis désolé »
Elle était joyeuse et surprise par ce baiser d’enfant, ce baiser volé si timide, si candide. Elle attendait autre chose, plus fort, plus grand, une étreinte de mâle.
Néanmoins, elle répondit d’un ton moqueur :
« Ce n’est pas bien, je suis étonnée car rien dans ma personne ne vous a autorisé ce geste déplacé.
N’est ce pas Johnny ? »
En disant cela elle le regardait avec un air ironique, il lui sourit en lui disant :
« Je vois que vous m’avez pardonné Elisabeth !
Vous permettez que je vous appelle Elisabeth ? »
Elle restait confuse et embarrassée par la tournure que prenait le débat.
Elle bredouilla :
« Oui, mais le baiser, vous m’avez bien embrassé que je sache, sans ma permission Johnny, n’est ce pas ? »
Les mots étaient lâchés sans conviction, sans sens précis, elle parlait en baissant la tête, essayant tant bien que mal de manifester une volonté de mettre un terme définitif à un début de flirt. Il s’était jeté à ses genoux en disant :
« Je m’excuse, je suis confus, gêné, je ne sais pas ce qui m’a pris. Je crois que je suis épris de vous. Je, je vous aime Elisabeth. »
Il s’était redressé, l’avait prise dans ses bras. Elle leva la tête, redoutant et aspirant à cet acte de toute son âme. Il l’embrassa longuement à pleine bouche, un baiser d’homme, de mâle dominant et conquérant, sur de lui, de sa force de son charme. Elle succombait sans rien dire, juste profiter de l’instant. Un moment après il se retira. Un coup d’œil lui apprit que personne ne les avait vus. Le mercredi après-midi était un jour calme et le court numéro huit, très à l’écart, était idéal pour les passages à l’acte. Les mères de famille trop honnêtes vaquaient à leurs chers petits anges et les maris rentraient plus tôt pour profiter des joies de la famille. Il la contempla. Elle était immobile, abasourdie et heureuse de ce dénouement. Cela se lisait dans ses yeux.
Il répéta les mots magiques :
« Je t’aime Elisabeth. »
Elle répondit plus par habitude que par réflexion :
« Vous êtes fou, vous êtes si jeune. Je n’aurais pas dû, je suis folle. »
Elle aurait aimé partir mais elle ne s’en sentait pas la force, ni même l’envie.
L’endroit était désert à cette heure sur les courts, personne ne pouvait venir à son secours. Alors il la serra et l’embrassa de nouveau. Elle se laissa faire, heureuse et tremblante entre ses bras. Il l’embrassait maintenant à bouche que veux-tu et elle répondait avec une énergie rare. Elle ne pouvait se voiler la face maintenant et quand il relâcha sa proie, il lui dit avec une grande fierté :
« Tu réponds à mes baisers, tu vois, toi aussi est amoureuse. »
Elle ne savait que répondre. Elle paniquait et regardait autour d’elle. Heureusement il n’y avait pas âme qui vive. Elle tenta de se reprendre et avoua d’une voix plaintive :
« Tu es si beau, si jeune et ça fait si longtemps, si longtemps. »
Il la reprit dans ses bras et ils partirent dans un coin du club, derrière les courts. Elle marchait sans rien dire, sans se rendre compte de la situation. Plus aucune certitude n’encombrait sa tête rivée sur une idée fixe, arbitraire. Un homme, il lui fallait un homme. C’était une vérité qui se développait dans toute sa personne, mais elle ne savait comment faire, comment lui dire. Ils s’étaient assis sur un banc. Il parla longuement, d’elle, de lui, de tous les d’eux. Il la calmait, la réconfortait, lui prédisait un avenir merveilleux d’amour et de passion réciproques. Il savait si bien parler le langage amoureux qui plait aux femmes, la langue du désir, de l’éternel amant, de l’amour fatal, du bonheur insensé de deux êtres se rencontrant, s’aimant et ne formant plus qu’un, un couple pour l’éternité. Elisabeth approchait la quarantaine, l’automne de sa vie se dessinait sans personne à ses côtés, pas de mari, pas d’enfant.
Une fortune pour elle seule, pour quoi faire ?
Elle ne pouvait que souscrire sans peine à ces rêves, à ce bonheur qu’un jeune homme d’une beauté surnaturelle lui susurrait à ses oreilles ivres de déraison.
Il mentait si bien, elle n’était qu’une proie parmi tant d’autres, juste un peu plus importante pour l’avenir qu’il se destinait.
Longtemps après, ils firent comme d’habitude, il l’avait raccompagnée jusqu’au vestiaire, puis à sa voiture. Elle était partie lentement comme à regrets. Il s’était lavé, s’était changé et s’était dirigé vers le minable studio qu’il occupait depuis maintenant un an. Il s’était allongé sur son lit, les mains croisées derrière la tête et rêvait à un destin meilleur. Il l’avait charmée mais il lui restait à la conquérir tout à fait et à se marier pour partager cette fortune colossale qui lui tendait les bras.
Le plus dur était fait, restait le plus délicat.
En attendant, comme pour se laver de cette hypocrisie, de ces soi-disant sentiments, il téléphona à une de ces maîtresses peu exigeantes sur ses affections mais reconnaissantes de sa beauté et de son sexe.
Il en connaissait trois de cette nature :
Sandra, une jeune femme blonde de vingt-deux ans qui vivait de ses charmes dispensés auprès de vieux messieurs fortunés. Pour lui, c’était gratuit à condition qu’il s’emploie à combler ses délires sexuels mis à mal avec ces vieillard. Comme elle était très belle et très ouverte, il s’y employait de bonne grâce.
Catherine, une belle brune de vingt-cinq ans mariée à un homosexuel qui ne la touchait jamais et pour cause. C’était une union arrangée pour cacher les turpitudes de son mari qui était très riche et envisageait une carrière politique. Elle avait le droit de tout faire mais en cachette, sans bruit ni tapage.
Enfin Nancy, une jeune madone libre de trente ans, pigiste de son état et qui vivait dans une grande maison isolée près du lac. Libre sexuellement, sans réelle contrainte et jouissant de la vie comme un homme, comme lui. Un mâle passait, s’il lui plaisait, elle s’offrait libre et consentante à la recherche du plaisir infini dans une totale liberté.
C’est Sandra qui gagna ce soir-là, Elisabeth l’avait passablement énervé, elle en profita plus que de raison.
*
Elisabeth n’avait pas dormi de la nuit. Elle transpirait et ne cessait de penser à cette folie, à ce tourment qui la rongeait au plus profond de sa chair. Son entrecuisse était constamment humide, ses seins se redressaient orgueilleusement et pointaient des mamelons drus sous la soie de la chemise de nuit. Sa langue était sèche, ses reins se creusaient parfois sous les pensées avides d’étreintes passionnées. Ses mains cherchaient un autre corps, une autre présence. Elles ne rencontraient qu’un vide béant dans le trop grand lit. Ses jambes bougeaient sans cesse, s’ouvrant, se fermant, cherchant désespérément un appui pour s’y coller et enserrer l’enlacement tant désiré. Tout son corps, tout son être appelait l’amour, la possession. Sa raison de femme honnête et sérieuse ne pouvait résister aux pulsions de sa sexualité.
Elle ne pensait plus qu’à lui :
Johnny.
A son corps musclé et bronzé, à ses yeux bleus, à son sourire dévastateur. Après tout, qu’est ce qu’elle risquait à assouvir ses sens avec ce type, pensait-elle quand le soleil inonda sa chambre remplit d’incertitude. Une aventure de plus pour lui, un rayon de soleil pour moi. Sa décision fut prise pendant le déjeuner. Ce soir, elle serait sa maîtresse. Aussitôt, ses sens se calmèrent et une joie radieuse et communicative gagna tout son entourage. Il rayonnait autour d’elle un bonheur immense, incroyablement contagieux.
Elle succomba le soir même à ses charmes. Cela faisait quatre ans qu’elle avait cessé tout rapport, depuis la maladie qui avait emporté son époux. Ils firent l’amour avec une énergie farouche comme si sa vie en dépendait. Elle n’avait de cesse de se libérer de ce fardeau qui lui pesait sur ses épaules d’épouse trop honnête. Elle pensait tromper son mari en baisant à tout va avec ce beau jeune homme. Mais sa morale s’était envolée comme sa robe qui trônait au milieu de la chambre. Leurs ébats passionnés embaumaient la chambre comme un parfum d’amour qui l’enivrait à tout moment.
Ils s’étaient retrouvés dans un motel loin de cette ville aux mœurs trop pensantes. Elle n’y tenait plus. Elle s’était laissée emporter par ses sens et par Johnny. Il n’arrêtait pas de la caresser, de l’aimer, de la palper. Elle aimait sentir et se laisser prendre par cette fougue, cette jeunesse ardente et irraisonnée. Il était tendre et très doux, de plus c’était un très bon amant, exceptionnel. Il la rendait heureuse à chaque caresse, à chaque étreinte. Ils s’endormirent heureux et repus l’un sur l’autre, sans même se laver de leurs étreintes passées.
Elle s’était réveillée dans la nuit, la présence d’un homme près d’elle l’avait tirée de sa torpeur. Cela faisait longtemps, si longtemps pensait-elle, une éternité.
Avec David, ils faisaient chambre à part. Il ne lui rendait visite que si elle agréait à sa requête qu’il formulait d’une manière polie et voilée pendant le repas. Il l’honorait juste ce qu’il fallait en gardant son pyjama et repartait dans sa chambre. Cela durait dix minutes tout au plus et une ou deux fois par mois. En somme un couple très correct et respectueux l’un envers l’autre. Cela lui avait suffi pourtant pendant des années, dix ans déjà songeait-elle.
Elle le regardait maintenant, son torse athlétique, ses cheveux blonds qu’il portait un peu longs, éparpillés autour de lui, un ange, on dirait un ange. Elle se surprenait ainsi à le contempler comme un gosse émerveillé par des cadeaux qu’il juge trop beaux pour lui. Johnny était un merveilleux présent, le plus beau de son existence, un rêve, une illusion, elle s’aperçut qu’elle tombait amoureuse de ce jeune homme qui aurait pu être son frère. Maintenant c’était son amant, un remarquable amoureux pour elle, rien que pour elle. Elle sentait une fièvre l’envahir. Une passion naissait dans ce lieu si commun, dans ce lit qui avait dû en voir des couples illégitimes. La lumière de l’enseigne de l’établissement qui scintillait au dehors éclairait les deux corps par intermittence.
Elle était si belle Elisabeth, si amoureuse, elle n’en revenait pas de la chance qui s’offrait, de la vie merveilleuse qui se projetait à l’avenir. Pourtant en y regardant de plus près, peut-être aurait-elle pu apercevoir que la route était semée d’embûches et que Johnny avait un passé si lourd que le ciel s’annonçait bien nuageux. L’amour est aveugle, une femme folle amoureuse devient amblyope, muette et sourde.
Elle se rendormit lovée contre lui et l’entoura de ses bras comme une mère aurait fait avec son enfant pour mieux le sentir et le protéger.
Leur liaison dura ainsi plusieurs mois en cachette de tout le petit monde honnête et respectable de cette ville. Elle s’était habituée à ces amours clandestines et volages, cachées, inavouables et si ensorcelantes. Ils se rencontraient secrètement trois fois par semaine, parfois plus, le soir dans des motels loin de la ville. Johnny était un amant hors pair, un prétendant qui se découvrait peu à peu.
Mais, jour après jour il travaillait son œuvre : s’attacher cette femme d’une manière définitive avec un mariage à la clef. Il ne cessait de la flatter, de lui plaire, de lui avouer ses sentiments. Il lui faisait l’amour avec délicatesse, longtemps, souvent et elle lui rendait la pareille. Elle tombait petit à petit sous le charme de ce beau mec sans scrupules qui se l’appropriait par tous les moyens. Tant et si bien qu’il devait y arriver fatalement. Sa jeunesse, sa beauté, sa fougue. L’envie de croire au bonheur, à l’amour, au grand amour, s’était emparée d’Elisabeth. Elle s’abandonna avec une joie exquise à cet emportement. Enfin se dit-elle, j’ai rencontré l’homme de ma vie, mon prince charmant. De nouveau, elle était une petite fille et les étreintes sexuelles librement consenties n’étaient que les concessions de deux corps se livrant l’un à l’autre. Elle ne pouvait en être honteuse, mais sacrément fière de sacrifier à cette passion.
Elle ne voulut croire qu’à cet amour. Tout lui paraissait beau à cet instant, le ciel, les oiseaux, la lune. Toutes ces petites choses habituelles prenaient une dimension insoupçonnée et irréelle qui l’entraîna dans un rêve magique. Le temps passait et renforçait son attachement pour Johnny.
Elisabeth réalisa loin de lui qu’elle y tenait plus que tout. Elle était partie en voyage d’affaires. Absente depuis trois jours et il lui manquait déjà. Elle le cherchait dans son lit, humait l’air pour y détecter son odeur, son parfum. Elle briguait sa silhouette, son ombre. Mais elle restait désespérément seule, triste et abandonnée. Elle se rendait compte à quel point elle l’aimait et qu’elle tenait à lui plus que tout. Dorénavant elle en était sûre, elle voulait vivre avec lui le restant de ses jours et de ses nuits. Elle n’en finissait plus de se languir de son amant. Son absence lui faisait cruellement ressentir les errances de sa solitude.
Les retrouvailles dans un hôtel de bonne qualité furent exceptionnelles. Elle lui avoua qu’elle l’aimait entre deux étreintes. Il était fou de bonheur et lui demanda de vivre avec lui. Elle fronça les sourcils, vivre ensemble, bien sûr, mais quelle folie !
Quels obstacles cette liaison allait-elle déclencher ?
Elle ne savait comment faire pour que son entourage accepte cet homme comme son amant, l’homme de sa vie, de sa nouvelle existence.
Mais après tout n’avait-elle pas donné sa jeunesse à un homme beaucoup plus vieux qu’elle qui aurait pu sans mal être son père. Certes il était riche, mais enfin elle ne l’avait pas épousé que pour cela. Elle trouvait donc normal que la réciproque fut acceptée.
Elle ne savait comment faire mais une chose était évidente : Johnny serait son prochain mari. En attendant, ils prirent une semaine de vacances. Sa quarantaine momentanée avait ouvert les yeux d’Elisabeth. Elle voulait voir si la vie à deux était possible avant une quelconque union. Ils partirent séparément au Mexique. Elle avait retenu une chambre dans un hôtel magnifique sur la baie d’Acapulco. Ce fut une semaine admirable pour Elisabeth. Johnny était aux petits soins pour elle. De plus, ils faisaient l’amour le matin, l’après-midi et la nuit. Ils n’arrêtaient pas. Elle redécouvrait son corps et les délices qu’il pouvait procurer. Les journées se passaient sur la plage à bronzer ou à nager dans cette eau chaude et transparente ; les repas bien arrosés et les siestes crapuleuses qui s’ensuivaient ; les parties de tennis pour s’amuser et rire des pitreries de ce jeune homme devenu son amant ; les soirées romantiques avec des dîners au clair de lune à n’en plus finir ; les balades sur la plage pieds nus et les étreintes au gré des caprices de la plage, cachés par des rochers, sur le sable encore tiède, et parfois dans les vagues accrochés l’un à l’autre à s’aimer, à se perdre, à se fondre dans l’être chéri pour mieux savourer son bonheur.
Un paradis sur terre avec un ange à ses côtés. Voilà ce qui se projetait dans la tête d’Elisabeth pendant toute cette semaine qui passa à une vitesse folle.
Elle avait pris sa décision avant leur retour. Elle lui annonça, au cours d’une étreinte torride, hagarde et heureuse sur le lit défait :
« Johnny, si on se mariait ? »
Il revenait de la salle de bains, une serviette enroulée autour de sa taille, sa musculature ressortait avec ce bronzage intense. Il était beau comme un dieu, comme un athlète sûr de lui déambulant fier de son physique.
C’était son homme à elle.
En une seconde, il avait compris qu’il avait réussi. Elle lui offrait ce qu’il avait espéré depuis le début. Il avait gagné, il avait vaincu. Tout le mal qu’il s’était donné pendant ces mois et ces semaines, ces bavardages libidineux et ridicules, la débauche d’énergie qu’il déployait pendant leurs étreintes sans fin, tous ces mots d’amour bêtes et stupides qu’il lui susurrait à tout bout de champ, toutes ces ridicules bassesses auxquelles il avait dû se plier pour arriver à ses fins, sans compter les sacrifices qu’il avait faits en ne la trompant qu’à de rares exceptions et avec des femmes de petite vertu, de mœurs légères, de crainte qu’une quelconque jalouse n’en profite pour montrer son vrai visage à cette société de bourgeois faux-culs, avaient finalement opéré.
Peut-être que si Elisabeth avait été moins amoureuse, aurait-elle vu passer dans le regard de son amant cette flamme et ce petit rictus qui trahissaient les aspirations de Johnny. Hélas elle ne sut voir que le regard d’un jeune homme beau et heureux d’un bonheur qu’elle croyait partagé.
Il répondit d’une fausse hésitation :
« Tu veux qu’on se marie, toi la femme riche et moi le pauvre professeur de tennis ?
Tu es sûre ? »
D’une seule phrase il ébranla toutes ses certitudes. Son monde à elle se dessinait et excluait Johnny de cet univers. En voyant son visage anxieux et grave, elle était certaine qu’elle surpasserait toutes les difficultés. Son mari David avait fait de même pour arriver à l’épouser elle, l’ex miss Oklahoma city, petite starlette débutante du cinéma. Il avait réussi à l’imposer à sa famille, à son milieu et ils étaient devenus au fil du temps un couple de référence pour leurs relations et amis. Il n’y avait aucune raison qu’elle n’y arrive pas.
« Oui, je le veux si tu le désires aussi.
Le veux-tu Johnny ? »
C’est mon vœu le plus cher Babeth, tu le sais bien d’ailleurs.
Veux-tu que je te le montre ? »
Il dénoua la serviette qui recouvrait ses hanches et en disant cela se jeta sur elle de toute sa silhouette. Il savait qu’elle adorait sentir toute sa force et son poids afin de découvrir au plus profond de sa chair sa féminité à elle trop longtemps enfouie sous sa morale bourgeoise.
Elle avait envie dans ces moments-là de lui mordre la peau afin d’y laisser sa marque, de le griffer pour laisser dans sa chair son empreinte et son souvenir. Elle craignait quelquefois de n’être qu’une femme parmi tant d’autres, qu’un corps semblable à ses rivales.
Elle voulait imprimer dans sa chair tout le bonheur qu’il lui donnait et lui faire partager sa féminité, ses sentiments et son caractère afin qu’ils se fondent en un être chimérique.
Les vacances touchaient à leur fin. Ils firent leur bagage.
Ils se séparèrent dans l’avion et reprirent chacun leur chemin.
*
Johnny en profita pour téléphoner à une ex maîtresse pour passer la nuit avec et retrouver ses anciennes sensations. Il avait pourtant sa ration de sexe mais ne pouvait s’empêcher de s’encanailler avec des salopes, des vraies, à la seule recherche du plaisir, le sexe pour le sexe, sans autre chose, sans mots tendres, sans tendresse, juste un plaisir éphémère et court, sans surprise, sans hypocrisie.
Il avait l’impression de se laver ainsi et de sortir de ses mensonges, de ses doutes et de tout ce boniment qui l’encombrait. Après avoir baisé maintes fois cette amie, il était reparti chez lui pour enfin dormir seul et tranquille dans son lit à lui.
Il reposa heureux, un avenir merveilleux se projetait sur l’ombre de ses yeux fermés comme un écran de cinéma. C’était lui le héros du film. Immensément riche, heureux et comblé. Dans ce film, malheureusement, il n’y avait aucun rôle pour sa future femme.
Elisabeth dormit mal cette nuit-là, seule dans son vaste lit. Elle cherchait Johnny et n’attrapait que l’oreiller. Elle ne sentait que l’odeur des draps bien lavés. Aucune chaleur ne parvenait à sa peau moite. Aucune main n’attrapait sa chair tiède et disposée. Elle comprit que désormais elle ne pouvait plus dormir seule, sans lui.
La solitude angoissante de la nuit et l’immensité du lit dressaient devant ses yeux une barrière où elle se voyait close à vie et désespérément seule. Il fallait changer cet état de choses au plus vite. Ce célibat vécu comme une punition devait cesser rapidement. Son esseulement accélérait sa soif de désir conjugal. Elle ne pouvait plus vivre ainsi dorénavant.
Elle déjeuna triste et solitaire dans cette maison bien trop grande pour y déceler une parcelle d’intimité chaleureuse et prospère.
Johnny, lui, se levait pendant ce temps-là, et, satisfait de sa soirée, se préparait pour rejoindre le club qui lui manquait, tel un coq au milieu du poulailler.
Elisabeth ne savait comment faire pour préparer son milieu à accueillir Johnny. Elle en parla à son confident et ami, Douglas.
« Doug, j’ai un homme dans ma vie lui annonça t elle.
Je m’en doute, répondit-il d’un ton acerbe. Toute la ville en parle. On dit que c’est un jeune professeur de tennis du Country club.
Est-ce exact Elisabeth ?
Comment le savez-vous ?
Vous avez pu prendre toutes les précautions voulues, certaines personnes vous ont aperçus dans des motels des environs. Je pensais que c’était une passade. Vous êtes encore jeune, très belle et très riche, vous pouvez attirer ce genre d’individus. »
Elle avait senti une légère déception dans sa voix comme s’il eut aimé attirer son attention à elle.
« Je vous défends de parler de lui ainsi. »
Répondit-elle excédée par cette remarque. Elle enchaîna :
« Ce n’est pas une passade. Nous sommes épris l’un l’autre et nous désirons nous marier le plus rapidement possible. J’ai besoin de votre aide Douglas. »
En disant cela, elle s’était levée et le regardait d’un air dominateur, sûre d’elle-même. Ce n’était plus la madame Bernstein qu’il avait côtoyée des années durant. L’amour l’avait transcendée, elle était résolue. Elle paraissait plus jeune, elle riait pour un rien, elle était heureuse de vivre, d’aimer, d’être aimée et de sentir dans tout son être cette force et cette vigueur insoupçonnées. Il ne la reconnaissait plus. Il perçut immédiatement le changement de ton. Elle l’appelait Doug quand elle était heureuse, amicale. Douglas était plus solennel et masquait généralement une incertitude, un agacement.
Il s’entêta pourtant car cela faisait partie de son rôle de fidèle ami et de conseiller.
« Il est plus jeune, c’est un aventurier sans scrupules. On raconte qu’il a eu plus de cinquante aventures amoureuses depuis qu’il est dans ce club. Il cherche une femme belle et surtout riche. Il a trouvé sa proie. Ressaisissez-vous Elisabeth, vous n’êtes plus une enfant. Pensez à David. »
C’est ce qu’il ne fallait pas dire, Elisabeth s’emporta.
« Je croyais que vous étiez un ami, Douglas, je me suis trompée, nous n’aurons plus à revenir sur ce sujet. Je vais prendre des dispositions pour transférer mes affaires dans un autre cabinet. Je vous demandais de l’aide, pas une critique. Me croyez-vous folle à ce point et ne rien connaître sur Johnny. Il m’a avoué ses turpitudes précédentes, ses nombreuses expériences avec les femmes, mais voyez-vous, regardez le, il est jeune, il est beau comme un dieu, on ne pense qu’à l’amour quand on l’aperçoit et je ne peux lui reprocher de céder aussi facilement.
De plus, il est célibataire, peut-on lui reprocher de céder aux charmes de ses nombreuses clientes ?
Depuis qu’il est avec moi, il n’a eu aucune autre aventure et j’en suis fière.
David, mon défunt époux, je ne l’ai jamais trompée, je suis restée fidèle à un homme qui était plus vieux que moi, y avez-vous songé ? »
« Vous me reprochez ce qu’a fait David avec moi, vous en rendez-vous compte ? »
Elle avait parlé d’une voix ferme et très en colère. Douglas avait compris qu’il n’y avait rien à faire pour stopper cette liaison. Le mal était fait. Elle était trop amoureuse de ce vaurien. Il fit machine arrière pour ne pas perdre cette cliente qui assurait plus de la moitié de son chiffre d’affaires. Il se reprit :
« Je m’excuse Elisabeth, les mots ont dépassé ma pensée et c’est de mon devoir de vous avertir de ce qu’on raconte sur ce garçon. »
« Avez-vous songé à votre entourage, vos amies, vos relations ? »
Je m’en fous Douglas, je suis heureuse comme rarement je l’ai été dans ma vie, ne le voyez-vous pas ?
Il n’y a que cela qui compte.
Oui Elisabeth, vous avez sans doute raison. Je vous aiderai de mon mieux, je vous le promets. »
Il disait cela en cherchant déjà comment procéder pour mettre le doute sur ce petit maquereau.
Ils parlèrent ensuite des différentes affaires en cours et il sauva les meubles en lui suggérant quelques opportunités plus qu’intéressantes.
« C’est bon pour cette fois Doug, mais que je ne vous y reprenne plus. »
Elle sortit de cette rencontre avec un sentiment désagréable. Elle aurait du mal à imposer Johnny à son entourage de cette manière. Il fallait procéder autrement, les mettre devant le fait accompli.
De fait, quand elle mit ses amies au courant, au cours d’un thé donné chez elle, ce fut un mur de protestation :
« Tu es devenue folle, tu ne parles pas sérieusement.
C’est un petit Jules, un maquereau.
Il a couché avec presque toutes les femmes de la ville.
Il vise ta fortune. C’est un escroc, un profiteur.
Il s’est fait virer de tous les clubs avec les histoires de cocu qu’il traîne derrière lui. Renseigne-toi, ce type ne vaut pas grand-chose. »
Mais au lieu de l’accabler, toutes ces certitudes ne firent que renforcer sa détermination. Quand le murmure cessa, elle annonça avec fierté.
« Mes chères amies, je n’en attendais pas moins de vous. Mais l’amour est plus fort que tout. Etant la première à pénétrer son cœur, il m’a rapporté les noms de celles d’entre vous qui n’ont connu que son lit. Reconnaissez vos défaites et souhaitez-moi bonne chance avec le nouvel homme de ma vie, j’ai nommé Johnny Parker. »
Les désapprobations reprirent de plus belle, mais elle avait dépassé ce seuil. A présent, c’était une certitude, elle allait épouser Johnny envers et surtout contre toutes.
La présentation officielle faite, ils ne se cachèrent plus pour étaler leurs sentiments au grand jour et au grand dam de toute la bonne société de cette ville. Il fallut se rendre à l’évidence, Elisabeth allait faire cette folie. Malgré toutes les mises en garde de son entourage, rien n’y faisait, elle restait déterminée et plus fermement décidée que jamais. Elle était resplendissante ainsi en femme véritablement amoureuse et totalement méconnaissable tant elle rayonnait de bonheur. C’est vrai qu’elle était heureuse et ne s’en cachait pas. Sa passion la transcendait et fascinait son entourage par la joie qu’on pouvait lire dans toute sa personne.
*
Johnny s’installa peu après dans la propriété qu’elle possédait près du lac, une grande maison de l’époque Victorienne. C’est le grand-père de son mari qui l’avait fait construire et c’est lui qui était à la base de la fortune de la famille Bernstein. Un émigrant juif Hongrois qui à force de travail et de réussite était vite devenu une personnalité respectable et riche du comté.
C’était une grande maison bâtie sur les hauteurs. Elle faisait trois cent mètres carrés sur un terrain d’un hectare. Elle était meublée d’une manière luxueuse mais ancienne. Beaucoup de meubles provenaient de la vielle Europe :
Des armoires Bretonnes, Normandes, Espagnoles, Suisses, de grands lits en bois des mêmes régions, des commodes, quelques immenses tableaux de paysages. Bref, une très belle propriété avec un charme inouï. Une chaleur conviviale se dégageait de cette demeure, on s-y sentait bien. Le jardin était magnifique et superbement entretenu. Un gazon anglais entourait tous les massifs de fleurs. De grandes allées de graviers parsemaient les chemins. Une vaste terrasse était flanquée sur le versant sud et donnait sur le lac. Le site était magnifique et faisait ressortir le calme et la sérénité de l’habitation. Le Yellowstone situé non loin amenait sa cohorte de paysages singuliers et magnifiquement beaux comme seule la nature de cet état sait en donner.
La maison était perchée sur une colline et semblait protéger les demeures alentour tout en rayonnant avec son imposante majesté.
Elisabeth possédait peu de personnel : un jardinier et une domestique qui faisait le ménage et préparait les repas. Elle dormait dans un coin sous les combles. C’était une dame très discrète entre deux âges qui se prénommait Maria. Le jardinier vivait dans une petite maison dans le coin et n’était présent que la journée. L’intimité, de ce fait, était préservée et on pouvait vivre comme deux amoureux peuvent le faire.
Johnny ne craignait plus grand-chose désormais. Il passait ses soirées avec Babeth et ne cessait de lui témoigner une affection rare, un amour exceptionnel, tant et si bien qu’ils fixèrent une date pour officialiser leur union. Les jours et les semaines qui défilaient confirmèrent la détermination d’Elisabeth. Elle attendait ce jour comme une délivrance et le début de sa nouvelle vie. Le jour des noces arriva enfin.
Ce jour-là, Johnny s’écria :
« Enfin la pauvreté qui s’enfuit et la richesse qui se laisse prendre. »
En se regardant dans la glace fier et vaniteux de ses fourberies.
Il irradiait au bras de cette splendide créature plus âgée que lui qu’il avait rendu folle amoureuse. Il rayonnait autour d’eux quelque chose de rare, une complicité équivoque, un destin grandiose, une fortune magnifique. Elisabeth dégageait le bonheur effrontément égoïste et fatal d’une femme plus que comblée et Johnny une sûreté et une majesté qui le rendaient encore plus beau quoiqu’un peu plus froid. Les noces terminées, ils s’enfuirent pour une lune de miel qui s’annonçait sous les meilleurs auspices. Un avion attendait pour les emmener au pays des amoureux, des amants éternels :
L’Europe.
Les trois semaines passèrent bien vite à visiter des noms qui ne faisaient plus rêver Johnny maintenant.
Paris, Londres, Rome, Venise, Cannes, Vienne, Madrid, Lisbonne, Athènes, Istanbul. Une vie rêvée se dévoilait devant lui. Il promenait sa petite gueule dans les plus grands hôtels et restaurants du monde avec une madone âgée qui resplendissait de bonheur. Il était la cible de bien des femmes et des hommes aussi. Il s’en moquait éperdument et se préoccupa de cette épouse dignement pendant ce périple. Il voulait mériter sa confiance et prendre part à ce monde qu’il côtoyait maintenant après en avoir tant songé. Il ne la trompa pas une seule fois bien qu’il eût plusieurs occasions. Mais il se méfiait de ces créatures qu’il ne connaissait pas dans ces milieux si hostiles.
Pour Elisabeth, ce fut la période la plus heureuse de sa vie, la seule qui ait réellement comptée dans son existence.
Le retour vers le nouveau monde s’avéra difficile et coûteux pour les deux tourtereaux. Il y avait beaucoup de peine à quitter Paris et ses rives de Seine, ses bistrots le soir, ses fêtes, ses éclats et sa magie enchanteresse ; Rome et ses nuits chaude d’envie ; Madrid et ses soirées éblouissantes de joie de vivre ; Londres avec ses pubs cloîtrés et les petits matins bien au chaud qui s’éternisent ; Venise et ses canaux à s’aimer, à mourir de plaisir caché et réciproque ; Cannes et son éternel printemps avec ses parfums à enivrer les femmes dans un plaisir malin ; Lisbonne et sa bonhomie coutumière qui aime à se tourner vers le passé pour mieux apprécier le présent. Le vieux continent n’en finissait plus de leur offrir un cadre idéal pour un amour si resplendissant.
Douglas attendait Elisabeth à sa descente d’avion. Les affaires pressaient et l’attendaient. Elle avait réglé les plus urgentes par téléphone durant leur séjour.
Johnny détestait Douglas et réciproquement. Il avait compris d’emblée que c’était un rival très dangereux, un éconduit qui n’attendait qu’une occasion pour se venger. A charge pour lui d’éviter cela. D’un autre côté, c’était un conseiller financier fort habile et dont son épouse ne pouvait se passer. C’est pourquoi il fit preuve de diplomatie, l’évita le plus possible et l’appela par son nom M. Brendan, Douglas fit de même avec un M. Parker très courtois.
La vie des deux tourtereaux s’enfonça dans une routine inaccoutumée pour chacun d’eux. Johnny traînait ça et là dans le grand domaine à la recherche de quelques activités.
Elisabeth traitait ses affaires avec constance et régularité. Les repas ainsi qu’un match de tennis qu’ils disputaient l’un contre l’autre avec acharnement deux fois par semaine sonnaient le rassemblement des époux. Ils sortaient assez souvent dans les meilleurs endroits de la ville, restaurants, boites de nuit, réception etc. La richesse soudaine de Johnny liée à son mariage avec Elisabeth lui donnait une assurance et une nonchalance qui ajoutaient à son charme. Dorénavant il était encore plus sûr de lui. Décontracté à l’extrême, il semblait planer au milieu de toute cette gente féminine qui n’avait d’yeux que pour ce petit pauvre, beau comme un dieu, avide comme un miséreux qui accède au paradis.
Johnny adorait se voir jalouser par tous ces bourgeois hypocrites. Il aurait pu décrire les particularités de certaines femmes mieux que leurs époux. Telle adorait sucer, telle autre se faire sodomiser comme une patronne de bordel, celle-ci se faire prendre dans des postures quasi-impossibles. Et pourtant, tout ce beau linge mis sur son trente et un n’en laissait rien paraître et se donnait des airs respectables sous des fantasmes inavoués. Il se revoyait parfois discutant avec celle-là et se rappelant sous un air indolent comment elle aimait à lui prendre le sexe dans sa bouche chaude et attendre que le sperme lui coule sur le menton. Alors il riait et regardait sans équivoque son interlocutrice lui faisant comprendre qu’il n’était pas dupe. Les maris aussi lui prodiguaient de grandes joies. Ainsi ce jeune rédacteur en chef du journal parlant des femmes qu’il aurait aimées mettre dans son lit alors qu’il ne touchait plus son épouse depuis des mois. Ce notaire si respectable alors que sa conjointe cherchait dans les bras de tous les hommes du club à assouvir ses vils besoins. Il y en avait des cocus, plein et de tous les genres jusqu’à sa Babeth qui jurait sur tous les dieux la fidélité de son jeune époux alors qu’il n’attendait qu’une occasion pour la tromper et reprendre sa vie libertine d’auparavant.
Elisabeth se lassa très vite de cette vie trop nocturne pour elle qu’elle avait côtoyée dans son passé. Elle laissa Johnny sortir seul de temps à autre. Il comprit très rapidement que sans la compagnie de son épouse, il n’était rien, et rares étaient les personnes qui lui adressaient la parole dans les réceptions officielles de la ville de Missoula. Il était accepté comme son mari. Sans elle, il redevenait le petit prof de tennis beau mais sans éducation. Il n’était pas de leur monde, pas de leur milieu, seulement admis pour un temps. Alors, il recommença ses virées avec des maîtresses peu regardantes sur sa nouvelle raison sociale. Il retrouvait avec ces salopes son honneur et sa dignité de mâle conquérant sans une ombre de pitié pour ces chiennes perpétuellement en chaleur.
De temps en temps, il retournait dans des soirées frivoles et guindées promener sa silhouette avec une nonchalance accrue qui lui donnait une hauteur et un dédain qui renforçaient sa beauté naturelle. Les femmes présentes à ces réceptions ne pouvaient s’empêcher de frissonner au songe d’une étreinte dans les bras de Johnny Parker.
Les hommes tentaient de masquer leur haine et leur jalousie envers ce qui apparaissait à leurs regards comme un sublime maquereau.
Puis il se lassa aussi de cette société trop bien élevée mais garda les virées chez les salopes de sa connaissance. Il était moins assidu auprès d’elle et elle lui en fit la remarque.
Elle avait raison. Il ne fallait pas éveiller ses soupçons et il redevint par moments l’époux qu’elle était en droit d’attendre. Une année passa ainsi. Johnny s’ennuyait maintenant. Il avait tâté du ski nautique, de la moto, de la compétition automobile lorsque Elisabeth lui avait offert une Porsche. Cela l’avait amusé un temps puis il s’était à nouveau langui.
Son meilleur passe-temps était de draguer et de se faire une belle blondasse bien conne comme il disait juste pour s’assurer que son physique fonctionnait inlassablement, qu’il restait le beau Johnny envers et contre tout.
Il y arrivait parfois loin du cadre de vie de son épouse. Il prétextait n’importe quoi, un entraînement, une sortie officielle, l’essai d’une voiture, et partait vers une ville voisine relativement lointaine pour se livrer à ses frasques.
L’argent n’était pas un problème, avec sa voiture de sport et ses costumes sur mesure taillés dans la meilleure laine, son physique et sa belle gueule faisaient le reste. Il revenait vers Elisabeth avec une reconnaissance éperdue pour sa connerie amoureuse comme il disait.
Une année qu’ils étaient mariés.
Il en avait marre de cette présence féminine. Heureusement qu’elle était riche, sinon elle serait devenue une emmerdeuse de première.
Il réalisa au cours de sa vie de couple qu’il avait eu raison de fuir le mariage. Il aimait les femmes pour leur sexe et non pour leur manifestation affective qu’il trouvait ridicule.
Il détestait son épouse quand elle avait sa menstruation. Il trouvait cela horrible, abominable. Cette exaspérante odeur de contamination lui faisait détester le moindre rapport, fut-ce de loin. Babeth avait des pertes très importantes qui l’indisposaient une ou deux journées par mois. Elle quémandait sa présence et ne rencontrait qu’un être froid, cruel écoeuré par cette faiblesse caractéristique de la gente féminine. Il préférait partir et dormir seul pendant ce laps de temps.
C’est sur ce détail qu’ils firent chambre à part au commencement.
Un soir elle lui annonça qu’elle avait refait son testament. Il était le seul bénéficiaire en cas de décès moins deux cent mille dollars pour Doug afin qu’il l’assiste pour s’occuper de ses affaires pendant une durée de cinq ans.
« Quelle idée lui lança-t-il. Tu n’es pas à la veille de mourir et ce type m’ennuie et me déteste.
On ne sait jamais dit-elle. C’est mon premier mari qui m’a habitué ainsi. Les affaires n’attendent jamais, la mort non plus. Doug t’aiderait beaucoup quand même, c’est un excellent conseiller. »
Sur le coup la nouvelle ne le troubla point, il trouva cela curieux, sans plus.
Il s’ennuyait et voulut participer à ses affaires. Elle en fut heureuse au début. Ils partaient ensemble à son bureau qui était situé en centre ville. Elle lui avait aménagé un espace pour lui tout près. Elle lui confia des menus détails, des comptes, des contrôles qu’il effectua fort bien mais il voulut passer à des choses plus importantes pour prouver qu’il n’était pas plus bête qu’un autre.
Elle en parla à Doug qui n’était pas d’accord. Elle lui força la main. Il ne put s’opposer. Johnny prit ainsi part aux réunions avec son épouse et Douglas qui attendait l’occasion pour prouver à Elisabeth qu’il n’était pas fait pour le business.
Il était persuadé qu’il la trompait mais n’arrivait pas à le prouver. Johnny faisait attention, très attention. Rien ne laissait supposer qu’il la trompait.
Johnny aimait les affaires, ça le changeait du tennis et des pétasses qui venaient que pour se faire baiser, des trous du cul qui ne comprenaient rien au sport, qui pratiquaient pour un standing, une façon de se faire voir dans un endroit branché. Il ne se privait pas pour leur mettre une raclée dès qu’il le pouvait. En outre, il avait envie de démontrer qu’il n’était pas idiot et qu’avec un peu de chance il pouvait réussir.
Par maladresse, il loupa piteusement les deux premières affaires qu’il initia. Babeth entra dans une folle colère car il avait perdu dix mille dollars sur ces deux opérations malheureuses.
Il s’excusa et prétexta non sans raison que son manque d’expérience était la cause de cette faute. A l’avenir, il ferait plus attention. Sa femme et Douglas s’unirent rapidement contre lui et le persuadèrent de renoncer à la finance. On ne pouvait se permettre de perdre une telle somme pour acquérir une expérience. Il était fort déçu et fit remarquer à son épouse qu’elle lui offrait peu de chance de la seconder avec brio et que dix mille dollars n’était rien comparé aux mille par semaine qu’elle lui octroyait rien que pour son argent de poche. Voyant qu’il était de trop dans cette équipe et que tout le monde était contre lui, il arrêta net sa carrière dans les milieux financiers. Pour se racheter, Elisabeth lui proposa une autre activité, au journal, au concessionnaire, en vain. Il bouda plusieurs jours et en profita pour faire un tour chez une salope de sa connaissance.
Il était furieux contre lui-même, contre Babeth, contre Brendan. Il n’arrivait pas à démontrer ses capacités qu’il pensait réelles et fondées. Il n’avait eu guère de temps pour se familiariser avec ce genre de commerce. Il ne pouvait nier qu’il avait agi trop rapidement sans réellement s’être familiarisé avec tous les instruments financiers mis à sa disposition.
C’était trop tard. Il se sentait meurtri et incompris une fois de plus. Personne ne valait grâce à ces yeux. Mieux valait vivre intensément pour soi et en profiter plus que jamais. Sans l’avoir désiré, Elisabeth renvoyait Johnny dans sa solitude froide et glacée où aucun sentiment n’était admis. Il se renferma dans son narcissisme.
Sandra n’était pas chez elle, Cat n’était pas libre et le regrettait mais elle ne pouvait refuser une sortie officielle avec son cher et tendre époux, cela faisait partie des contraintes de son mariage. Restait Nancy, ça faisait longtemps qu’il ne l’avait appelée, il hésita un moment. Il se remémorait leur rencontre. Il l’avait rencontré au tennis. Elle avait été amenée par une amie qui lui avait présenté. Elle ne s’était pas cachée de son attirance et s’était offerte de suite. Il l’avait prise dans le sauna, elle l’avait ramenée chez elle et ils avaient baisé comme des bêtes toute la nuit. C’était une bonne baiseuse, elle aimait tout, ne refusait rien et en plus était très belle. Pas de sentiment entre eux, du sexe, du plaisir et au-revoir. De temps en temps, il lui passait un coup de fil et elle lui indiquait de passer ou pas. Depuis son mariage avec Babeth, il ne l’avait revu et surtout ne s’était inquiété de sa santé.
Comment allait-elle réagir à ce rendez-vous impromptu ?
Elle n’était même pas en colère. Elle le félicita pour son mariage regrettant qu’il ne l’ait pas invitée. Elle riait au téléphone, elle n’était pas rancunière, il pouvait venir, elle l’attendait impatiemment.
Ouf ! Il était soulagé. Il partit en trombe avec la porsche.
A peine arrivé chez elle, elle lui sauta dessus, trois jours qu’elle n’avait pas baisé. Une fois satisfaite, allongés tous deux sur le lit, elle lui avoua qu’elle le trouvait changé.
« Tu as grossi lui dit-elle. Regarde, tu as un début de bide. Ta figure est plus ronde. Tu t’empâtes Johnny. Tu vieillis avec ta mémère
Qu’est ce que tu racontes ! »
Répondit-il d’un ton vif.
Elle lui pinça la peau du ventre puis des joues en se marrant.
Il était furieux, elle avait raison. Il se leva, se dirigea vers la salle de bains et s’examina dans la grande glace. Merde s’écria t-il, c’est vrai que je commence à avoir du ventre et que j’ai la figure bien ronde. Il se pesa, il avait pris cinq kilos. Il ne faisait plus de tennis depuis deux mois, les leçons avec sa femme l’ennuyaient car il la battait chaque fois. Avec ses amis c’était pareil, il était bien trop fort pour eux. Rejouer avec ses potes d’avant ne l’intéressait plus, ils lui posaient trop de questions sur sa fortune récente et le tapaient régulièrement. De plus, certains ne se seraient pas gênés pour rapporter à son épouse ses conduites infidèles. Il fallait qu’il fasse quelque chose, il ne pouvait rester ainsi.
En attendant, il retourna en rage dans la chambre et entreprit de se dépenser davantage. Nancy ne demandait que cela.
Le lendemain matin, il en parla à Babeth au petit-déjeuner. Elle rit étonnée et ravie qu’il s’intéresse ainsi à son physique. Elle le rassura lui affirmant qu’elle l’aimait ainsi et qu’elle l’aimerait toujours. La réponse ne le satisfit pas.
Il fallait trouver un remède contre son relâchement.
En désespoir de cause il retourna au court de tennis, mais ses anciens collègues l’ennuyaient davantage. Il ne supportait plus rien d’eux, ils n’avaient rien en commun. Il chercha un autre club. Il en trouva un au nord de la ville dans un quartier moins aisé.
Il était fréquenté par une classe moyenne. Il y avait peu de monde la semaine. Il trouvait rarement un partenaire. Il avait vu peu de femmes et qui plus est des matrones âgées et pas très attirantes. Il repartit vers ses anciennes conquêtes. Il entama une liaison durable avec Catherine. Son mari faisait campagne pour un poste de gouverneur dans l’état voisin. Par conséquent, elle était souvent très seule. Elle ne demandait qu’un peu de sexe de temps à autre. Il ne prit garde qu’il délaissa Elisabeth d’un seul coup. Il sortait souvent, rentrait tard dans la nuit, se levait tardivement. Dès qu’il le pouvait, il filait à un des clubs de tennis ou chez Catherine pour tirer un coup. Elisabeth constata très vite sa désaffection et en parla au seul confident qui était à ses côtés :
Douglas.
Il essaya de la consoler en lui disant que c’était normal après tout qu’il y ait une petite pause dans leur relation après un peu plus d’un an de mariage.
Mais il engagea un détective privé, à l’insu d’Elisabeth, pour suivre Johnny. Trois jours après, il était au courant de la liaison de son époux avec cette dénommée Catherine. Sa vengeance prenait forme. Restait à convaincre Elisabeth sans perdre sa confiance. Elle tenait tellement à ce petit con. Il allait voir le bellâtre.
Il fallait suggérer l’adultère sans laisser paraître qu’il était l’instigateur du coup. Johnny et sa maîtresse se retrouvaient dans un motel, très discret pour ce genre de choses, dans les environs, trois fois par semaine, le lundi, mercredi et vendredi. Ils se rejoignaient en fin d’après-midi, vers seize heures et ressortaient vers dix neuf heures. Il fallait amener Elisabeth dans cet endroit et dans cette tranche de temps. Douglas déjeunait avec sa cliente tous les mercredis midi dans un restaurant chic du centre ville. Une de ses meilleures amies ne manquerait pas de lui instiller un doute et surtout le lieu du péché. Il rencontra Marlène le mardi midi, elle lui devait un service. Il la mit immédiatement au courant de l’adultère de Johnny et lui suggéra de passer le lendemain vers treize heures au restaurant, de feindre de les découvrir en train de déjeuner et de lâcher d’un air détaché qu’elle avait vu son mari en charmante compagnie.
Le mercredi arriva. Après l’expédition des affaires courantes et un suivi de celles en cours, ils partirent manger comme d’habitude. Il était près de treize heures. Marlène passa, les reconnut, les salua avec les banalités d’usage puis, au moment de repartir, attrapa le bras de son amie et dit d’un air innocent :
« Au fait, dis bonjour à Johnny de ma part et dis-lui que je m’excuse pour l’autre fois. Je n’ai pas osé le saluer de peur de le déranger. Il avait l’air si absorbé par sa compagne, Au revoir. »
Elisabeth fut interloquée. Elle n’avait rien vu venir et resta ainsi devant son assiette, triste et abasourdie.
Une foule de pensées plus terribles les unes que les autres assaillait son cerveau :
Johnny avec une fille ?
Où ça ?
Pourquoi ?
Un doute terrible s’emparait de sa personne, il la trompait.
Pour quelle raison ?
Avec qui ?
D’un seul coup, elle n’avait plus faim, plus soif, un étau broyait sa poitrine, elle avait mal, son cerveau n’arrivait plus à raisonner. Douglas vit son état se détériorer à toute vitesse. Il la prit par un bras et sortit en faisant un signe de tête au patron.
L’air frais lui fit du bien. Elle avait envie de marcher. Ils se promenèrent longuement dans la ville.
Doug n’osait parler de peur de se faire rabrouer vertement.
D’une indécision maladive, elle passa peu à peu à une colère et une jalousie hystérique. Elle voulait savoir absolument.
Ils rentrèrent au bureau. Elle téléphona à son amie. Marlène se fit un plaisir de lui indiquer le lieu. Elle partit immédiatement avec sa voiture à l’endroit énoncé. Avec de l’argent et sans mal elle apprit les différents rendez-vous de son mari avec cette femme. Ils avaient retenu la même chambre pour le lendemain. Elle but deux whiskies coup sur coup, c’était inaccoutumé, et elle repartit à vive allure vers la propriété.
Elle mit peu de temps pour regagner la maison et ne sut trop comment elle réussit tant la douleur l’avait amenée à conduire si rapidement et si dangereusement.
Elle s’enferma à double tour dans sa chambre et pleura une grande partie de la nuit. Son univers s’écroulait, il la trompait, il ne l’aimait plus, il allait partir. Elle redeviendrait une femme seule, irrémédiablement solitaire. Toute sa vie précédente lui apparaissait avec toutes les solitudes et les égarements issus de cette quarantaine malheureuse et subie. Elle redoutait à l’avenir de marcher seule et abandonnée. Elle s’était tant habituée à cet amour, à cette passion qu’elle n’avait pas sollicitée. Finalement, elle avait quelqu’un à ses côtés, un homme qu’elle avait librement choisi, qu’elle aimait, qu’elle choyait. Elle aurait fait n’importe quoi pour le garder. Cette pensée soudaine lui inspira de prendre du recul pour juger de l’opportunité d’agir.
Elle s’endormit au petit matin, saoule de douleur et de chagrin, lasse de penser, de réfléchir, de se monter la tête.
Douglas avait tenté de prendre de ses nouvelles au téléphone ainsi que Johnny qui avait frappé plusieurs fois à sa porte.
Elle était restée seule, désespérément seule comme la dame riche qu’elle devenait. Elle se réveilla tard, son époux n’était plus là. Elle réfléchit longuement à ce qu’elle allait faire. La nuit avait porté conseil, elle était plus calme. Elle put réfléchir d’une manière plus sereine à sa situation.
*
Johnny arriva à dix sept heures quinze à l’hôtel. Il avait traîné en route songeant à l’attitude de sa femme la veille. Cette façon de s’isoler dans sa piaule lui semblait étrange Qu’est ce qu’elle avait ?
Avait-elle quelque soupçon sur sa fidélité ?
Il prenait peu de précautions à cette heure. Elle devait être indisposée, encore un truc de gonzesses, pensa-t-il pour se rassurer. Il rangea la voiture dans le garage derrière celle de Cat.
Catherine était dans la chambre allongée nue à l’attendre sur le lit. Sur le seuil, il fut frappé par sa beauté. Elle était superbe ainsi et totalement impudique.
Comment pouvait-on être pédé avec une créature pareille ?
Décidément il ne comprenait rien de ce qui se passait dans la tête des gens. Quelle chance si Catherine avait put être Elisabeth, riche, belle, jeune et sans complexes, sans sentiments, sans fioritures, le sexe pour le sexe. Oui mais elle en aurait pris d’autres, beaucoup d’autres. Il y en avait des Johnny qui rodaient pour ce genre de nanas. Il était bien placé pour le savoir. Allez, en attendant, il fallait en profiter.
Ils n’entendirent, ni l’un, ni l’autre la porte s’ouvrir, trop occupés à prendre leur plaisir au moment opportun. Johnny crut entendre des pleurs mais il continua à besogner sa partenaire. Il entendit un froissement de tissu comme si quelqu’un se déplaçait et, stoppant momentanément, il perçut une présence. Il se retourna et vit Babeth qui les fixait d’un regard vide et inondé de larmes.
Un effroi le saisit. Il se détacha aussitôt de sa partenaire et se mit sur le dos, allongé sur ses coudes, cachant avec le drap son sexe en érection. Elisabeth était livide. Elle serrait les poings avec une hargne inaccoutumée. Catherine se leva et partit en courant vers la salle de bains. Il ne savait que dire, que faire. Il était pris au piège. Un long silence s’installa dans la chambre où flottait une indicible odeur de souffre. Catherine réapparut sans un mot, s’habilla avec une vitesse folle et sortit avec juste un regard vers lui comme pour lui signifier :
Bon courage et à jamais.
Vite, pensa-t-il, parler avant que ce calme ne devienne poignant et irréparable.
« Chérie, je m’excuse, je ne sais ce qui m’a pris, je suis désolé. »
Il balbutiait des mots d’une manière malhabile, grossière. Elle fondit en larmes et s’abattit sur le lit. Elle pleurait à chaudes larmes avec des hoquets sonores comme un petit enfant. Il n’osait la prendre dans ses bras de peur qu’elle hurle. Il le fallait bien pourtant et il fut surpris qu’elle se laisse toucher après cette scène. Sans un mot, il l’entoura dans ses bras et la berça longtemps. Tout le temps il resta muet, n’osant rompre la quiétude mortelle qui baignait la chambre. Il ne savait comment faire. Il n’avait jamais subi une telle déroute. Il la berçait sans une parole, étant fort étonné qu’elle puisse rester ainsi entre ses bras à sangloter.
Elle s’endormit presque heureuse dans ses bras, incroyablement lasse et fatiguée. Elle avait beaucoup bu pour se donner du courage.
Quand il s’aperçut qu’elle dormait, il l’allongea confortablement sur le lit, ôta son imperméable, sa robe et la recouvrit avec une couverture et il partit prendre une douche.
L’eau froide calma sa colère. Elle l’avait surpris. Il s’en était douté en partant pour son rendez-vous. Il aurait dû se méfier davantage. L’habitude avait eu raison des familières précautions. Quelqu’un l’avait trahi, mais qui ?
Pas Cat, elle avait l’air furieuse. Ce n’était pas le problème. Il fallait éviter la rupture, le divorce, le retour à la case départ. Merde, il ne s’était pas donné tout ce mal pour rien.
Il la regardait avec haine. Il aurait voulu la tuer, là, tout de suite et hériter de cet argent pour en jouir à son aise avec Cat et les autres, toutes les autres. Cette conasse le faisait chier avec ses sentiments, son amour, sa charité trop chrétienne et son fric, son pognon qu’elle avait gagné avec son cul comme lui. Salope, chienne pensait-il dans sa tête. Tu n’es qu’une gueuse avec ton flouze. Il cracha sur la silhouette qui gisait endormie et qui pleurait encore.
Il fallait se calmer, réfléchir et trouver une porte de sortie honorable. Il but plusieurs alcools de suite pour s’enivrer légèrement et dominer d’une manière paisible la situation.
Finalement, emporté par sa hargne et les nombreux verres qu’il se servait, il s’endormit auprès d’elle passablement ivre.
La chambre avait retrouvé un calme de bon aloi. Leurs corps dénudés et dormant dégageaient un amour tronqué, malheureux.
Il se réveilla en pleine nuit, une érection troublait son sommeil. Un moment il crut qu’il était avec sa maîtresse et entreprit de caresser Babeth. Elle répondit avec plaisir à ses sollicitations. La mémoire lui revint d’un coup, c’était sa compagne. Après tout c’était un bon moyen de réconciliation. Le plumard, il n’y avait que cela pour les vieux couples comme eux. Elisabeth dormait profondément. Elle percevait vaguement qu’on la déshabillait. Elle se laissa faire, occupée par son rêve. Elle sentait des caresses plus précises sur son corps et y répondait d’une manière instinctive. Quand une masse lourde s’allongea sur elle, elle ouvrit les cuisses en grand, elle était trempée. Elle sentit la douce chaleur envahir son être au plus profond. C’était bon, chaud, doux comme un songe. Elle reprit ses esprits quand elle eut son premier orgasme. Un cri vite étouffé, elle vit Johnny dans ses bras serrés et son regard, bleu, sombre, pénétrant qui la travaillait avec rage, avec force. Elle s’abandonna complètement, remontant ses jambes sur ses reins et le ceignant avec une force insoupçonnée. Elle lui fit mal, il serra les dents et s’enfonça de tout son poids en elle comme pour l’attacher à lui éternellement. Il resta très longtemps dans son utérus, la douleur lui faisait perdre l’envie d’éjaculer, c’était son châtiment, sa punition pensait-t-il. Leurs organes génitaux étaient trempés de sueur et de plaisir mêlés. Elle ne comptait plus les orgasmes, elle était saoule de bonheur. Elle avait envie d’être prise de partout. Il s’en aperçut. Elle relâcha son étreinte, elle n’en pouvait plus. Sans un mot, il se détacha d’elle et lui permit de s’allonger sur le ventre, ce qu’elle fit le plus naturellement du monde. Il ouvrit ses cuisses d’une main ferme. Elle se laissa faire, intriguée par la suite. Il s’allongea sur elle, la reprit ainsi doucement. Ses doigts cherchaient et palpaient son anus fort dilaté. Elle sentit une chaleur irréelle dans ses reins. Petit à petit il la sodomisait avec un plaisir inégalé. Elle le laissa aller et venir ainsi. Un plaisir sans nom la gagnait et elle ahanait sous les coups de boutoir qu’il donnait maintenant dans ses fesses offertes. Elle jouit comme jamais quand elle sentit le membre cracher dans son ventre le liquide sacré.
Ils se rendormirent ainsi emmêlés, repus et satisfaits.
Elle se réveilla la première et constata son désarroi. Elle l’avait surpris et s’était laissée baisée comme une pute en chaleur, pas de quoi être fière.
Que pouvait-elle faire maintenant ?
Que pouvait-elle lui dire ?
Avec cette façon de se faire prendre qu’elle avait toujours refusée d’accomplir. Et là, dans cette chambre remplie d’adultère, encore soumise à l’odeur de l’autre, elle s’était fait sodomiser comme n’importe quelle petite salope. Elle le regarda malgré tout avec amour.
Elle pensa :
C’est vraiment l’homme de ma vie.
Elle savait déjà qu’elle lui pardonnerait.
Le reste ne fut que des discussions interminables où il tenta par tous les moyens de se justifier de son attitude. Tout y passa et il avait de l’imagination :
Son désœuvrement, sa solitude, sa quête de plaisirs par la faute de sa beauté qui ne cessait de rameuter de jeunes et belles femmes pour y goûter. Il jura sur la croix, sur sa tête, qu’il ne la tromperait plus, que c’était la première et la dernière fois. Il fit tant et tant qu’elle lui pardonna. Ils repartirent du motel en fin de matinée, lui complètement épuisé par ces longs discours et elle presque rassérénée quant à leur avenir et à son amour.
Toute la ville fut au courant de la mésaventure d’Elisabeth. Douglas avait tout fait pour cela avec son amie Marlène. Aussi furent-ils très étonnés de voir le couple se reformer et faire comme si de rien n’était. Ils tentèrent à plusieurs reprises de la convaincre de se séparer de Johnny. Au cours d’un repas, il y avait Douglas, Marlène et des amies très proches et très sincères. Ils n’y parvinrent pas. Ils comprirent rapidement qu’elle était follement éprise de cette petite ordure. Elle n’écoutait rien, réfutait tout, l’excusait pour sa jeunesse, son milieu, sa beauté. C’était un enfant, un gamin trop vite grandi, un ange, son petit ange à elle.
Ils s’épuisèrent à essayer de la convaincre qu’elle allait droit au malheur, qu’une situation dramatique se profilait à l’horizon, qu’il l’avait trompée avant le mariage, pendant et qu’il remettrait ça un jour ou l’autre.
Elle allait souffrir, terriblement.
Rien n’y fit. En désespoir de cause, ils renoncèrent momentanément. Ce n’était que partie remise pensait le fidèle conseiller.
*
La vie reprit son cours. Johnny était plus présent à la maison et dormait presque toutes les nuits avec elle. La chambre à part devenait un souvenir ancien.
Il s’ennuyait de plus en plus. En outre, Babeth commençait vraiment à l’emmerder avec sa tendresse envahissante. Avec ses conneries, il était toujours près d’elle à en prendre soin, tâchant de faire oublier sa faute. A la moindre occasion, elle en profitait pour le lui rappeler et en pleurnichant se plaignait de son manque d’affection. Il avait beau lui jurer qu’il n’en était rien, elle ne voulait rien savoir. Elle se drapait dans sa dignité de femme honnête. Parfois, elle le comparait à son époux décédé et la comparaison n’était guère flatteuse pour lui. Elle lui trouvait tous les défauts :
Froideur, cynisme, indifférence, cupidité.
Il lui fallait une énergie et une patience exceptionnelles pour la faire douter et accepter l’idée qu’il l’aimait à sa manière, qu’il lui fallait du temps pour s’habituer à ce luxe, à cette oisiveté, à cette richesse. Tout cela lui avait tourné la tête, lui, le petit professeur de tennis si pauvre, amoureux d’une étoile nommée Babeth. Cet astre l’abandonnait trop souvent pour ses affaires, pour ses amies, ses relations qui le détestaient plus que tout autre. Elle savait tout cela, il fallait en tenir compte pour le juger avec une sérénité parfaite et objective. Elle savait aussi ce que c’était à son âge de coucher avec une personne plus âgée et qui ne vous plairait forcément plus au fil du temps. Elle se souvenait qu’elle avait trahi David une fois. Il était parti loin d’elle pour ses affaires. Il l’avait abandonnée sur une plage pendant leurs vacances. Elle s’était retrouvée bien seule dans cet hôtel situé aux caraïbes dans un endroit idyllique. Un homme jeune l’avait dragué gentiment. Ils avaient dîné ensemble, s’étaient trop attardés à table. Elle était flattée de se faire courtiser encore par un mâle aussi jeune. Ils avaient longtemps dansé dans la boite de nuit, trop bus aussi sans doute. Elle n’avait pas eu assez de force pour le repousser hors de sa chambre. Il faisait trop chaud. La nuit était merveilleuse et ses sens avaient pris le dessus.
Elle avait beaucoup regretté ce faux- pas mais n’en avait jamais parlé à quiconque. Elle savait, elle comprenait, elle lui dit naïvement :
« Je ne te plais plus ?
Mon amour, comment peux-tu dire cela après la nuit que nous avons passé. »
Il avait raison. Il avait fauté comme elle. Le pardon s’imposait mais il fallait montrer de fortes réticences.
Au fil du temps et des femmes Johnny avait accumulé bien des choses sur celles-ci et il savait les restituer dans un contexte donné. Elle continuait à douter. Encore une nuit d’amour et elle aurait pardonné comme les autres fois. C’était sa faiblesse et sa force à lui. Après avoir tant parlé, il s’approchait et baisait ses mains, sa joue, ses lèvres. Sa main caressait ses seins lourds et épanouis, descendaient vers le ventre légèrement bombé, transmettaient une chaleur animale, sensuelle. Il savait mieux que quiconque que depuis leur rencontre elle était accroc au sexe maintenant, du sien surtout.
Elisabeth l’aimait assidûment, peut-être bien plus depuis son infidélité, elle ne savait dire pourquoi. Probablement parce qu’elle avait cru le perdre. Rien que l’idée lui était insupportable. Elle ne pouvait plus se passer de cette petite crapule. Elle l’avait dans la tête, dans le corps, dans le sang.
Son baratin sonnait faux oui mais elle voulait y croire plus que tout. Toutefois, ces caresses, ces baisers, l’appel de ses sens la rendaient folle, elle ne songeait plus alors qu’aux merveilleux moments qu’ils allaient passer tous les deux unis pour le meilleur. Elle se laissait emporter par le tourbillon ivre de ses sens, c’était si bon.
Pour se racheter de sa faute, il restait avec elle jusqu’au matin. Il la retrouvait enlacée autour de lui comme l’eut fait un marin avec sa bouée. Elle était belle ainsi, les yeux cernés, le corps abandonné. Parfois, il aurait désiré l’aimer sans aucun souci, rien qu’elle mais c’était trop tard, impossible. La vie avait tissé un rideau qui le rendait inaccessible aux sentiments et surtout à l’amour. Au bout d’un certain temps, il la trouvait ridicule, presque trop vieille pour lui, et grotesque avec son amour.
Il avait l’impression de coucher avec sa mère vu comment elle le tenait avec son argent. Elle avait une curieuse façon de lui donner son argent de poche. Tous les lundis, il trouvait une enveloppe, glissée sous son oreiller, contenant les mille dollars comme une mère eut fait avec son fils pour lui éviter un remerciement honteux et dégradant !
Pourtant, les mille dollars valaient bien le plaisir qu’il lui donnait lors de leurs ébats. Parfois, quand il la prenait et qu’elle gémissait de plaisir, il avait été tenté de stopper et de savoir combien ça valait, à combien elle chiffrait l’orgasme qu’elle allait prendre grâce à lui. Il se retenait et continuait à faire jouir sa femme pour rester Johnny et pour toutes les autres qui jalonneraient son chemin.
C’est au tennis qu’il trouva la solution de s’évader de nouveau. Pas question qu’il retourne la seconder. Elle lui avait suggéré mais il avait été ferme. Hors de question, avait-il répondu. Il avait été trop humilié. Il tournait entre les deux clubs de tennis, cherchant des partenaires. Un jour, lors d’une rencontre, un homme lui apprit qu’il y avait un autre club à soixante kilomètres de là. Il fut étonné. Personne ne lui en avait parlé. Pour cause, il était fermé depuis environ un an. Il avait fait faillite.
Le type ajouta :
« C’est dans un bon coin, une bonne gestion et ça repart. Le patron d’avant avait fait de grosses conneries, trop luxueux pour le bled, un restaurant qui ne marchait pas, un club de gym. Là bas ce sont des classes moyennes, il faut juste le minimum. »
L’idée germa lentement dans sa tête. Il se renseigna sur l’endroit exact et un jour décida d’aller voir.
Immédiatement il comprit que c’était un emplacement idéal, à la lisière d’un lotissement récent de classes moyennes, à trois kilomètres de la ville de Broderick. On pouvait se garer facilement au dehors. Il y avait six courts, un grand bâtiment où devaient se trouver les vestiaires et les douches, une terrasse qui pouvait faire bar et solarium. Il tourna une bonne partie de la journée tout autour, regardant et jugeant des améliorations à apporter ainsi que l’environnement. Le club était à vendre. Il y avait une pancarte avec un numéro de téléphone. Il le nota et repartit pensif et songeur.
Le club était à vendre pour cinquante mille dollars. C’était une affaire, pas cher pour un bon investisseur. Il se sentait capable de le remonter. Il n’avait pas une telle somme. Il fallait demander à Babeth, attendre l’occasion où elle ne pourrait refuser ce prêt, autrement dit après une autre nuit d’amour.
Une fois de plus, il avait gagné. Elle avait accepté à la seule condition de voir ce club et de vérifier si c’était viable. Elle trouva que c’était bien loin de leur propriété. Une soixantaine de kilomètres n’était pas grand-chose pour un conducteur expérimenté avec sa Porsche, avança-t-il comme argument.
Elle comprit immédiatement qu’il avait raison. Ce n’était pas cher et il y avait l’environnement adéquat autour. Elle accepta de lui prêter cette somme à la condition qu’il rentre tous les soirs à la maison et qu’il ne la trompe pas encore avec une pétasse du coin. Il jura une fois de plus, il ne croyait en rien, surtout pas en Dieu qui l’avait rendu pauvre, cela n’avait aucune importance.
Les documents furent signés peu de temps après. Il commença les quelques travaux de remise en état immédiatement. Les courts furent nettoyés, le bar pourvu en boisson, les vestiaires repeints, les jardins entretenus. Bref, il paraissait neuf. Son épouse lui avait avancé soixante mille dollars en tout pour l’achat et les travaux. Il n’en dépensa que cinquante huit mille, le reste lui servit pour faire une campagne de publicité, acheter des serviettes de bain, des raquettes et des balles, démarcher des professeurs et un personnel pour l’accueil et l’entretien.
Le jour de l’ouverture, il fit un grand buffet avec boissons à volonté avec ce qui restait du pécule. Tout le comté se précipita pour l’événement de l’année. Au fil du temps et des travaux, la nouvelle s’était transmise dans le lotissement qu’un superbe mec rouvrait le club de tennis. Aussi ce jour-là, il y eut une très grande quantité de filles et de ménagères qui étaient juste venus pour le voir. Babeth aussi était là pour l’encourager et elle fut surprise et inquiète de toutes les femelles qui tournaient et lançaient des oeillades intempestives à son mari. Une nouvelle source d’inquiétude freinait son enthousiaste élan. Il s’en aperçut et l’embrassa, par surprise, à pleine bouche devant tout le monde en la présentant comme sa chère et tendre épouse qu’il aimait et chérissait plus que tout.
« Mesdames, regardez bien un mari fidèle et amoureux »
S’exclama-t-il.
Toute l’assemblée rit mais certaines savaient déjà que ce véritable apollon n’était pas plus sincère qu’elles-mêmes. Il était drôlement bien et s’il baisait aussi bien que sa gueule, il allait avoir du travail.
Elisabeth ne fut guère plus rassurée, mais enfin il allait s’occuper et être moins oisif. C’était déjà ça, on ne pouvait pas tout lui demander.
Le succès dépassa ce qu’avait escompté Johnny. Après un mois d’ouverture il avait cinq cent abonnements. A vingt dollars mensuels, cela faisait dix mille dollars. En plus, il louait les cours à ceux qui n’avaient pas de carte d’abonnement. Trois dollars l’heure exactement.
Le bar lui rapportait mille dollars. Si on ôtait les salaires, les frais de fonctionnement et diverses dépenses, il lui restait trois mille dollars. En deux ans, il pouvait rembourser sa femme. Fier et heureux il le lui annonça le soir même au cours du repas. Elle resta stupéfaite et regretta de l’avoir évincé aussi rapidement de ses affaires.
« Félicitations lui dit-elle, je suis très heureuse pour toi. Je ne pensais pas que tu réussirais aussi vite. »
Trois mois plus tard, il avait mille adhérents, il fut obligé d’embaucher plus de personnel et de rester plus longtemps sur place. Parfois, il n’arrivait pas à rentrer et c’est avec une pointe d’émotion qu’il l’annonçait à Babeth au téléphone en lui précisant bien que c’était provisoire juste pour faire face à l’augmentation de clientèle. Il aménagea un petit appartement au-dessus du bar juste à côté de son bureau, une chambre avec un lit, une douche et un WC. C’était amplement suffisant, très coquet et luxueusement meublé. Avec le pognon qu’il gagnait, il n’allait pas se priver.
La nouvelle se répandit rapidement dans le coin et les filles ne tardèrent pas à rôder autour du club le soir. Cela faisait trois mois qu’il se tenait à carreaux, trois mois de fidélité à une seule femelle, c’était la première fois que ça lui arrivait. Il n’y tenait plus. Un soir il sortit, tomba sur une blonde outrageusement maquillée qu’il avait remarquée au club, elle lui lançait des regards franchement osés. Bonsoir, bonsoir pour engager la conversation et puis un grand sourire pour la conquérir définitivement. Une heure plus tard il la baisait dans un pré à-même l’herbe. Il n’osait pas la ramener au studio de peur que sa femme ne rapplique inopinément et de recommencer la scène du couple en crise une seconde fois.
Sa vie dissolue reprit ainsi pour son plus grand plaisir. Cette fois ci, il ne courtisait que les salopes sans rien ni personne, celles qui voulaient se faire Johnny et basta !
Une ou deux fois et puis adios, passons à la prochaine.
De toute façon, Elisabeth n’aurait voulu pour rien au monde revivre l’épisode du motel, elle avait trop souffert, elle avait eu trop mal. Elle l’aimait tellement qu’elle le garderait même et avec ses infidélités, c’était le prix de l’amour, le prix de son amour à elle.
Elle cherchait à se l’attacher par n’importe quel moyen. Elle le couvrait de cadeaux, des montres, des cravates, des polos, des chemises, des parfums, à la moindre occasion, un présent. Johnny était passablement énervé par tous ces achats, ça et les marques d’affection qu’il devait sans cesse renouveler. Elle lui prenait les bras et s’attachait à lui sur le canapé. Elle l’embrassait sans cesse quand elle était près de lui. Elle lui prenait la main, lui caressait les cheveux, une grande quantité de marques d’amour qui le gênaient passablement. Il était mal à l’aise devant son omniprésence et parfois sans qu’il n’y prenne garde, il l’envoyait paître. Il s’apercevait immédiatement de son erreur et courrait vers elle en lui jurant qu’il n’était pas bien, une migraine, une douleur musculaire et il partait en mille excuses qui le bouleversaient tout à fait devant sa couardise et sa lâcheté.
Seul, il la maudissait et souhaitait sa mort quelquefois.
Sans qu’il n’y prenne garde, cette idée s’insinua lentement dans son esprit et éveilla sa curiosité. La mémoire du testament lui revint !
Babeth morte, il hériterait de tout, environ onze à douze millions de dollars, la propriété pour lui tout seul, les voitures, et tous les placements que Douglas gérerait fort bien, elle lui avait assuré. Cette idée germa et au fil du temps et des saisons s’imposa à son esprit. Il serait mieux veuf.
Quand allait-elle se décider à mourir ?
Deux ans qu’ils étaient mariés. Elle avait quarante ans et lui vingt-huit. A moins d’un accident, il en avait pour un bon bout de temps à la supporter. Il en parlait quelquefois à ses maîtresses de rencontre sur le ton de :
« J’aimerais bien que ma femme meure dans un quelconque accident. »
La plupart riait aux éclats croyant à une plaisanterie. Un soir, une petite brune au fort tempérament lui répondit :
« Quel âge a-t-elle ta bourgeoise ?
Quarante ans, Il n’y a pas beaucoup de chance ?
Cela dépend, lui dit-elle. Un accident est toujours possible.
Possible mais fortuit, et très improbable.»
Il y a des accidents qui sont arrangés pour en être mais qui n’en sont pas.
Lui lança-t-elle..
Comment ça ?
Bein! Tu maquilles un crime en accident et ni vu, ni connu j’t’embrouille. Des fois les flics y voient que du feu.
Un de mes copains dit qu’il a mis le feu en pleine nuit à la baraque de son oncle quand il dormait pour hériter. Avant il l’avait fait boire. Le vieux était bourré. Quand les pompiers sont arrivés, le type avait brûlé et la maison avec. Mon ami a hérité.
Accidentel qu’ils ont dit tous : les flics, les pompiers et le juge. Pas mal hein ! »
Comment n’y avait-il pas songé auparavant ?
Un accident, bien sûr, un accident.
Pour remercier la gonzesse, il la baisa un peu plus consciencieusement, ça valait le coup.
Maintenant, il fallait inventer un accident qui ait l’air vrai. C’était son idée fixe et il ne songeait plus qu’à cela. Il imprima cette certitude dans son cerveau avec un réalisme effroyable.
Elisabeth s’aperçut immédiatement du changement. Il ne s’énervait plus quand elle recherchait sa présence, quand elle le caressait, le taquinait. Il avait l’air songeur, il était ailleurs, elle ne savait où mais il n’était plus là. Parfois il ne s’apercevait même pas de sa présence. Devant ses questions, il répondit que la gestion du club l’obsédait mais que c’était provisoire, juste le temps de régler les derniers problèmes.
Si elle avait pu deviner, elle se serait enfuie au plus vite.
*
C’est au cours de ses nombreux allers retours qu’il trouva la solution : sur le parcours qu’il effectuait rapidement avec sa Porsche. Un matin, il faillit perdre le contrôle de la voiture et terminer dans le fossé. Il roulait vite et dans une courbe, abordée à soixante-dix miles, la voiture avait chassé de l’arrière et allait se fracasser contre des billes de bois rangées sur le bas-côté quand il avait réussi à en reprendre le contrôle par un contre-braquage et une accélération. Ce réflexe lui avait évité l’accident. Il s’était arrêté peu après et était revenu à l’endroit du dérapage pour comprendre. La route avait été refaite récemment car on pouvait voir du gravier généreusement dispensé un peu partout. Le véhicule était parti faute d’adhérence. Son expérience de la compétition automobile lui avait permis d’avoir la bonne réaction. Il repartit en roulant plus doucement mais un cheminement se faisait dans sa tête. En contrôlant un peu moins le dérapage, en laissant glisser l’auto sur le flanc, avec un passager à ses côtés, la voiture percuterait les billots énormes sur le bord de la route. A vive allure, le passager, étant assis à la place du mort, serait sans doute gravement blessé tout comme il pourrait l’être. Mais au moins il s’y attendait contrairement à l’autre. Il se cramponnerait au volant, attendrait le choc et peut-être même qu’Elisabeth amortirait le choc au besoin par sa présence à ses côtés. Il y avait de grandes possibilités qu’à cette vitesse, elle n’en réchappe pas.
Cela ne serait qu’un banal accident mortel de la route, un de plus.
Il fallait s’entraîner un peu pour bien maîtriser la glissade. Il allait reprendre quelques cours dans les environs du club de tennis.
Il en trouva un à quelques kilomètres de là. En une demi-journée, il maîtrisa le dérapage : arriver à grande vitesse, braquer, serrer le frein à main soudainement, attendre que l’arrière se dérobe et à l’angle voulu, desserrer le frein à main, contre-braquer en accélérant pour remettre le véhicule dans le bon chemin.
Ca, c’était pour éviter l’obstacle.
Pour cogner dedans, il suffisait d’avoir un temps de retard au frein à main pour le heurter sur le flanc droit. Il repartit heureux et soulagé. Restait à passer à l’acte. C’était une autre affaire. Johnny n’était pas un tueur, juste une petite crapule sans foi ni loi. Passer au meurtre était autrement plus compliqué. Il ne pouvait se résoudre à tuer de manière délibérée Babeth. Alors il se persuada qu’il allait avoir un accident.
Elisabeth redécouvrit un nouveau mari, moins soucieux, moins songeur, plus attentionné pour sa personne. Elle fut heureuse de ce changement de comportement. Sa liberté relative et son travail l’avaient changé pensait-elle. Il devenait un homme. Fasse le ciel qu’il n’y parvienne avant qu’elle ne soit trop vieille et qu’il la désire encore.
C’est tout ce qu’elle demandait.
Johnny en avait marre de ces simagrées, de cette tendresse, de cette bonne femme. Elle devenait insupportable et plus que tout, une vraie emmerdeuse. A le questionner sur son emploi du temps, sur ses clientes, sur sa fidélité. Il en avait plus qu’assez. L’accident était imparable, il était excédé.
Elle le gonflait régulièrement avec son amour, ses sentiments, sa façon de le toucher comme s’il n’appartenait qu’à elle seule !
Avec son fric, elle s’appropriait tout et tout le monde. Cela l’horripilait atrocement. Il serrait les poings, se retenant de la frapper. Ce n’était pourtant pas son genre. Il jugea qu’elle passait les bornes. Dans un accès de colère froide, il résolut d’en finir.
Peu de temps après, il insista pour qu’elle l’accompagne au club toute une journée pour qu’elle lui dispense quelques conseils si elle le jugeait utile. Elle agréa à sa demande avec une joie non feinte.
Johnny avait l’air nerveux ce matin-là. Il tournait autour de la voiture, l’appelait pour qu’elle arrive, se ravisait, lui demandant si elle pouvait abandonner ses affaires toute une journée, sinon ce n’était pas grave, il remettrait ça une autre fois. Mais non insistait-elle, je t’ai dit oui pour aujourd’hui, je me suis débrouillée, ce n’est pas un problème. C’était le grand jour et sa couardise surgissait à un bien mauvais moment. La nuit avait été pénible. Par intervalles, il se sentait le courage, l’instant d’après, les difficultés et la réalisation de l’accident lui paraissaient impossibles. Jamais il n’arriverait à ses fins. Il était continuellement entre deux eaux, entre deux rives. Le mal, le bien, c’était difficile pour lui de fixer une frontière et de s’y tenir. Il s’était endormi en se disant qu’il verrait bien demain. Maintenant, elle était là et il fallait choisir.
A force de tergiverser elle lui demanda :
« Qu’est ce que tu as ce matin ?
Tu n’as pas l’air dans ton assiette, tu prépares quoi mon chéri ? »
La phrase le fit sursauter.
Merde, ça ne se voyait pas autant que ça quand même ?
Sa voiture immaculée lui renvoya l’image d’un homme malhabile et nerveux, tremblant devant l’effroi que la machine lui inspirait.
Il souffla un coup, partit dans la maison en prétextant un oubli de dernière minute et but un grand verre de gin cul sec. Il toussa un peu puis repartit à la voiture. Babeth était dedans, l’attendant en se mirant dans la glace passager. Il monta sans un mot, démarra et partit en flèche. Elisabeth s’écria :
« Doucement, on a toute la journée mon chéri. »
Il était très nerveux mais au bout de cinq minutes, l’alcool fit son effet. Il buvait rarement. L’eau de vie le détendit et il entreprit de conduire aussi vite que possible. Son épouse lui fit remarquer qu’il dépassait la vitesse autorisée.
Tu ne risques rien lui dit-il, je suis un bon conducteur qui a fait quelques compétitions et c’est une excellente voiture. Le silence s’installa. Il n’était troublé que par le ronronnement du moteur et de l’air qui les entourait tous deux. Il ne pensait plus à rien, s’appliquant à conduire du mieux possible. De temps en temps, il lui jetait un regard à la dérobée. Elle regardait le paysage d’un air heureux. Elle était contente avec son mari à ses côtés, bien assise dans une voiture de sport avec l’homme de sa vie. C’était une très belle route qui serpentait dans des forêts magnifiques. C’était l’automne et les couleurs reflétaient son bonheur. Elle était comme ces bois, à l’automne de sa vie, rayonnante et fière de l’être. Au loin se dessinait une courbe avec des grands arbres. La voiture allait vite, trop vite pensa-t-elle un court instant. Pourtant, l’auto ne broncha pas en entrant dans cette portion. Puis elle vit la voiture déraper sur le côté. Johnny avait une main sur le frein à main. Elle leva les yeux sur lui. Pendant une fraction de secondes son visage était grimaçant, tordu de douleur, son regard mauvais. Elle mit sa main gauche sur la sienne par réflexe. Elle eut peur. Elle cria. La Porsche était en marche arrière maintenant. Elle entendit un grand choc et puis plus rien.
Juste après l’entrée de la courbe, Johnny serra le frein à main brutalement. L’auto partit sur le côté comme prévu. Il serrait les dents, concentré sur cette manœuvre peu coutumière. La voiture était parallèle aux arbres. Il allait le desserrer quand il sentit sa main sur la sienne. Il sursauta, lui jeta un bref regard. Elle le fixait incrédule, ne comprenant que trop bien. Quand il desserra ce foutu frein, il était déjà trop tard, la voiture était presque en marche arrière, elle heurta les arbres dans un grand fracas. Il se cramponnait de toutes ses forces au volant, ses pieds repoussant son corps loin dans le siège pour amortir le choc, il rentra la tête dans ses épaules. Il pensa :
Je suis fou, on va se tuer.
Le choc fut terrible et plus fort qu’il ne s’y attendait.
Il lui fallut plusieurs minutes pour se remettre. Il était groggy, un peu de sang coulait de sa tempe gauche. Il avait mal aux mains et aux bras. Son genou droit le lançait. Un nuage de poussière les entourait. Il n’arrivait pas à ouvrir sa portière. Des éclats de verre s’éparpillaient sur ses jambes. Un gémissement attira son attention. Babeth était contre lui. Elle semblait désarticulée. Son bras droit pendait bizarrement, son visage était ensanglanté.
Il tenta de sortir mais n’y arriva point. Un chauffeur routier qui passait par-là leur prodigua les premiers secours. Il réussit à ouvrir la portière du chauffeur non sans mal et seulement à moitié. Il sortit Johnny et l’allongea dans l’herbe. Il reprenait ses esprits peu à peu. Il avait mal à la tête. Il n’arrivait pas à penser clairement. Pourtant, quand il réussit péniblement à s’asseoir, il pensa en voyant l’état de la voiture :
Elle est sûrement morte.
D’autres conducteurs qui passaient stoppaient maintenant et aidaient le chauffeur. L’un d’entre eux partit prévenir les secours. Ils n’arrivaient pas à extraire Elisabeth de l’amas de ferraille. Elle geignait doucement, évanouie, son état était sérieux. Quand l’ambulance arriva, Johnny était toujours assis avec une migraine abominable. Il monta dans la première ambulance et s’endormit avant son arrivée à l’hôpital.
Il se réveilla d’un coup, effrayé par un cauchemar. Il conduisait avec Babeth à ses côtés. Dans un virage, elle se tournait vers lui en souriant, et, prenant le volant de sa main gauche, donnait un grand coup pour qu’ils entrent dans un mur immensément grand. Le choc était inévitable. Il voyait la mort et criait car une douleur insupportable déchirait son flanc.
La chambre était blanche et faiblement éclairée. Il avait mal un peu partout. Une bande entourait le haut de son crâne, un plâtre ceignait son bras droit et une bande son genou du même côté. Il ne pouvait bouger, ses côtes le torturaient. Il distingua une infirmière qui le surveillait assise dans un coin.
Elle prononça d’une voix douce et tendre :
« Vous êtes réveillé, comment allez-vous ? »
Elle était jeune, mignonne. Par réflexe il lui dispensa son sourire. Elle rougit, intimidée par ce bel homme.
« J’ai mal partout répondit-il.
C’est normal après le choc. »
Elle se leva et vint près de lui.
« Cela aurait pu être beaucoup plus grave. Vous n’avez pas grand chose vous savez. Un bras cassé, une entorse du genou, trois côtes fêlées et quelques contusions sans importance. Vous avez eu énormément de chance.»
Il pensa soudainement à Babeth et demanda :
« Ma femme, comment va mon épouse ? »
Elle est hors de danger elle aussi, mais elle était à la mauvaise place, elle a plusieurs fractures. Elle est dans la chambre à côté, elle dort.»
Il devint livide. Un échec, c’était un échec. Il avait raté.
« Ca va monsieur, vous êtes tout pâle ? »
« Ca va, mon petit, ça va. »
Il pensait le contraire, le mal de tête devenait insupportable, il demanda un somnifère et se rendormit.
Elisabeth reprit ses esprits dans la nuit. Tout lui revint d’un coup. Elle avait mal dans tout le corps. Elle découvrit que sa jambe et son bras droit étaient plâtrés. Elle avait un bandage au front et avait très mal sur le flanc droit. Elle était vivante, dieu merci. Elle s’enquit immédiatement de l’état de son mari.
Johnny comment allait-il ?
Elle appela avec la sonnette le service de nuit. Une infirmière arriva rapidement et la soulagea avec la bonne nouvelle. Il dormait dans la chambre adjacente, légèrement blessé.
Ils avaient eu de la chance tous deux, ils s’en sortaient bien, c’était un miracle.
Débarrassée d’un grand poids, elle revit l’accident :
Johnny nerveux, la vitesse, le paysage magnifique en cette saison, la courbe qui se dessinait, le dérapage soudain, le regard de Johnny, sa main sur le frein à main, elle s’était pourtant réfugiée contre lui dans un dernier réflexe.
Se pouvait-il qu’il en vienne à la tuer ?
Le doute s’insinuait, elle ne pouvait y croire. Non c’était un mauvais rêve, un cauchemar de plus. Elle eut beaucoup de mal à se rendormir. Le lendemain, le médecin lui apprit qu’elle avait la jambe et le bras droit cassés, cinq côtes fracturées et un traumatisme crânien relativement bénin. Elle sortirait dans une semaine si tout allait bien. Son époux était à côté avec trois fois rien. Elle pourrait même le voir d’ici quelques jours, le temps que son entorse se calme un peu.
Il vint la voir le lendemain, l’air grave et soucieux, semblant inquiet pour sa santé. Il lui demanda pardon pour sa faute en projetant sa tête sur son giron. Elle lui caressait les cheveux distraitement pendant qu’il s’excusait de sa maladresse. Elle vit dans un reflet métallique son visage froid, dur, hautain, un contraste formidable avec les mots d’amour qu’il déclamait. Il lui fit horreur. Le doute se précisait désavantage. Néanmoins, elle ne cessait de l’aimer, encore à cet instant. Pour rompre l’effet diabolique qui s’installait, elle le congédia sèchement prétextant une grande fatigue et une affreuse migraine.
Johnny partit. Elle se replongea dans ses souvenirs du temps où elle était si heureuse, si insouciante, se persuadant que ce temps pouvait revenir.
Elle sortit de l’hôpital une semaine après son entrée. Une ambulance la reconduisit à sa propriété. Johnny l’attendait sur le perron avec une canne.
Elle se posait constamment les sempiternelles questions et son attitude ne l’avait pas éclairée davantage. Elle cherchait des certitudes plutôt que des doutes qui lui déchiraient le cœur. Elle l’aimait tellement qu’elle se rassurait et se raccrochait à n’importe quoi pour sauver son amour. Elle y parvenait quelquefois, mais la plupart du temps, elle restait indécise. Toutefois, elle se disait qu’avec le temps ce soupçon disparaîtrait.
Douglas passa à la propriété pour régler les affaires. C’est lui qui relança cette interrogation. Une fois les plus importantes questions réglées, il l’interrogea sur sa santé. Elle allait mieux. Bientôt ce ne serait qu’un mauvais souvenir. Il lui demanda ce qu’elle pensait de cette collision. Elle ne sut que répondre, de la malchance, une maladresse, les graviers sur la route, la vitesse excessive.
Douglas saisit l’occasion qui se présentait :
« Votre mari est un excellent conducteur, il a pris des leçons de pilotage, il a fait quelques rallyes. La voiture est une sportive avec une tenue de route exceptionnelle. Les experts ont des doutes. Les graviers ont contribué au dérapage bien sûr mais ils ont relevé que les roues arrière étaient bloquées, ce qui a exagéré la glissade.
Elisabeth ne vous rappelez-vous rien au moment de l’accident ?
Un geste insolite de votre mari ?
Une évidente action de faire déraper le véhicule ? »
Elle ne pouvait s’empêcher de penser à Johnny, à son visage, à ce rictus, et à sa main sur le frein à main. Il serrait le frein à main pour faire déraper l’auto. Il n’y avait pas d’autre explication. Elle semblait en être sûre mais après, il y avait eu le choc, le coma et l’hôpital. Elle ne savait plus, elle hésitait maintenant.
Douglas insista :
« Vous vous en êtes sortie miraculeusement, une bénédiction, et aussi le fait que vous vous soyez rapprochée de lui au moment du choc. C’est ce qui vous a sauvé pensent les experts. Sinon vous seriez morte ou terriblement paralysée. »
Il l’ennuyait à présent. Ce n’était pas possible que Johnny ait tenté de l’éliminer. Ce n’était pas concevable dans sa tête de femme amoureuse. Il s’en aperçut, parla de choses et d’autres et prit congé. Il avait semé des doutes réels et fondés. Désormais, Elisabeth ne cessa de s’interroger sur Johnny.
Pendant sa convalescence, il s’occupa bien d’elle au début. Il évitait de parler des circonstances de l’accident et pour cause.
*
Il avait échoué, lamentablement. Il s’en voulait énormément. Il avait tant répété dans sa tête comment faire. Il avait suffi qu’elle pose sa main sur la sienne et la seconde d’inattention avait été une catastrophe. Il avait relâché le frein trop tard, l’auto était en position presque de demi-tour et le choc s’était produit sur l’arrière droit. Son épouse avait été relativement épargnée et lui avait subi un choc qu’il n’attendait pas. En revoyant la voiture, il savait que si tout s’était passé comme prévu, elle serait morte et enterrée à ce jour alors que maintenant, il fallait tout reprendre à zéro.
Et surtout, surtout, refaire toutes ces simagrées qui l’épouvantaient pour dissiper tous les doutes qui subsistaient autour de cette malheureuse sortie de route. Il sentait que bien des interrogations persistaient malgré ses nombreuses dénégations.
Alors, pendant un mois, il s’occupa d’elle du mieux qu’il put. Il allait néanmoins deux fois par semaine à son club pour gérer les affaires courantes et prendre quelques parties de plaisir avec une salope des environs. Il en avait bien besoin après les turpitudes de sa vie familiale.
Puis, au cours des mois suivants, il l’abandonna à nouveau. Il partait à son club le lundi matin et ne revenait que le jeudi ou vendredi soir. Il lui parlait peu et ne s’inquiétait pas le moins du monde de sa santé.
Clouée ainsi à la maison la rendait folle et terriblement jalouse. Douglas y contribuait aussi en relançant à chaque fois les spéculations sur ce bizarre accident.
Bientôt elle n’y tint plus et pria Douglas de faire suivre son époux par un détective privé afin de vérifier sa fidélité.
Le rapport qu’il lui remit trois jours plus tard était sans appel. Il avait reprit ses équipées avec ses anciennes maîtresses du coin et collectionnait les aventures autour de son club.
Elle s’effondra littéralement et mit plusieurs jours pour surmonter sa peine et sa déception. Elle se rappelait la scène du Motel avec cette jeune et belle demoiselle. Mais elle n’arrivait pas à se détacher de lui. Elle lui trouvait toujours une excuse. Il était rempli de défauts mais elle l’aimait aussi pour cela.
C’était surprenant mais c’était ainsi.
Néanmoins, pour en avoir le cœur net, elle chercha à rencontrer cette ancienne maîtresse qu’il fréquentait par intermittence. Elle la connaissait de vue. Elle l’avait rencontrée à plusieurs reprises dans des soirées. Elle n’eut aucun mal, avec l’aide de Douglas, à ce que celle-ci accepte de lui rendre visite.
Catherine avait accepté pour voir la femme de Johnny et se venger un peu de cet amant un peu trop égoïste à son goût. Elle connaissait Elisabeth de vue et sa situation. Elle ne tenait pas à se la mettre mal pour la suite de la carrière qui se profilait pour son mari. Plus il faisait de la politique et plus elle était libre. Elle tenait à garder cette relative indépendance.
Après les salutations d’usage, elles prirent un thé, assises l’une en face de l’autre. Elles étaient très belles mais très vite la jeunesse de l’une éclipsait l’autre. Elisabeth s’en était aperçue rapidement. C’est Cat qui commença :
« Je tiens à m’excuser pour mon comportement l’autre jour au Motel. Vous n’avez rien à craindre de moi. Je ne tiens pas à vous prendre votre époux. Johnny est un bon copain. D’ailleurs je le connaissais avant vous. Comme il est très beau, il est difficile à une femme normalement constituée de lui résister. Je ne suis pas fidèle. J’ai passé un contrat avec mon époux et je m’y tiens. Il fait ce qu’il veut, moi de même sans scandale et sans bruit. Je ne crois pas en l’amour, mais j’aime le sexe avec de beaux hommes. Johnny est comme moi, il aime ça, sans problèmes et sans fioritures. Il me donne ce que j’attends et moi itou. C’est tout, il n’y a rien de plus. Je ne suis pas une concurrente et surtout pas une rivale.»
Elisabeth l’écoutait sans rien dire. Elle découvrait une autre facette de cet homme qu’elle chérissait plus que tout. Un Johnny qu’elle ne connaissait pas mais qu’elle soupçonnait à plusieurs signes.
« Madame, que pensez-vous de mon mariage, sincèrement ? »
Catherine fut surprise par la question. Voyant une certaine tristesse s’installer sur le visage de cette rivale malheureuse, elle répondit avec franchise à la question.
« Pour moi, il vous a épousé pour votre argent. Il n’empêche que vous êtes très belle et intelligente. Vous savez, des Johnny, j’en ai rencontrés dans ma vie. Ce sont des petites putes, des maquereaux qui n’ont pas le courage d’aller jusqu’au bout. Alors ils cherchent des pauvres femmes comme vous, comme moi et s’accrochent à elles tant qu’ils peuvent. Ce sont des lâches. Leurs seules qualités sont leur beauté et leurs connaissances de nos faiblesses féminines ainsi que de leur art à nous faire l’amour comme on le désire. Peut-être qu’il vous aime un peu, comme moi, comme les autres. Un dernier conseil madame, profitez en le plus possible avant qu’il s’en aille, qu’il n’en trouve une autre, plus jeune, plus riche. »
Elisabeth avait aimé cette franchise même si cela lui faisait mal.
« Pensez-vous qu’il puisse me tuer ? »
Catherine sursauta sur sa chaise.
« Non, ce sont des lâches madame, des petites crapules. Aucun n’a le courage pour ça. Faites-moi confiance.
Et pour douze millions de dollars ? »
Elle manqua s’étouffer en avalant une gorgée de thé.
Elisabeth reprit :
« Si je décède, il hérite de douze millions de dollars environ. »
Un silence s’installa. Catherine savait qu’elle était riche mais pas à ce point.
« Evidemment, c’est une somme.
Je ne sais pas. Peut-être. Franchement je n’en sais rien. »
Elle restait indécise, et puis qu’est ce qu’elle connaissait de Johnny, son sexe uniquement, sa bite à plaisir. Mais il avait aussi une tête, des idées, des rêves, des souhaits. Elle réalisa soudainement qu’elle ne le connaissait pas du tout. Et que lui non plus ne savait rien d’elle. Ils avaient été un couple sans rien connaître des aspirations et des désirs de l’autre. C’était juste une liaison pornographique.
La discussion prit fin ainsi. Catherine partit en se promettant de ne jamais revoir ce type. Elle était mal à l’aise maintenant.
Le rapport des experts arriva peu après. Elisabeth était en pleine expectative sur la conduite de son époux à son égard
Le procès-verbal était évasif sur l’accident. Pour eux, les graviers seuls ne justifiaient pas le dérapage de la Porsche. Il y avait eu une maladresse, un coup de volant, un freinage brutal qui avait bloqué les roues arrière et décroché brutalement la voiture de sa trajectoire initiale. La vitesse n’était pas excessive pour ce genre de véhicule. Cette machine pouvait aller beaucoup plus vite dans ce type de courbe. Il y avait eu certainement une erreur de conduite mais ils ne savaient laquelle avec certitude.
Douglas s’employait jour après jour à insinuer le doute dans l’esprit de sa cliente. Il y parvint non sans mal. L’attitude de Johnny, le rapport, ses infidélités, sa richesse et le testament.
Quelle folie lui avait-il signifié de lui faire savoir qu’il héritait de tant d’argent à son décès ?
Il n’avait de cesse de lui faire modifier ce legs et d’en avertir le bénéficiaire. Il y réussit dans un moment de grande faiblesse de sa cliente. En revanche, elle ne voulut pas que Johnny l’apprenne. Pas de tout de suite, pas maintenant, plus tard, on verra plus tard s’il le mérite toujours.
Douglas trouvait que c’était une hérésie. Si elle lui apprenait qu’une modification importante était intervenue, elle serait hors de danger, elle ne risquait absolument plus rien. Il ne put l’infléchir et on en resta là.
Elisabeth nageait en plein doute et donna le rapport à son mari. Johnny, en le lisant, s’évertua à dissiper tout malentendu.
Pour lui, c’étaient les graviers et les experts dégageaient ainsi le comté responsable de travaux mal réalisés, bâclés. C’est vrai qu’il était déjà passé plus vite à cet endroit et qu’il n’avait eu aucun problème, alors pourquoi ce jour, juste après les travaux. Il savait conduire, c’était un bon pilote.
Il fit ce qu’il pouvait mais il le sentait, Babeth doutait.
Il redevint tendre, prévenant, gentil, amoureux mais parfois sa femme le fuyait ostensiblement. Il tenta le tout pour le tout.
Un soir, il rentra plus tôt avec un immense bouquet de roses. Il le déposa à ses pieds avec humilité. Elisabeth fut surprise et heureuse de ce présent.
« Pour quelle raison, demanda-t-elle ?
Pour rien, comme ça. »
Elle se mit à sentir les fleurs. Il y avait une petite boite à l’intérieur. Elle l’ouvrit. Un merveilleux diamant scintillait de mille éclats. Un papier ourlait la bague, elle le déplia. On pouvait lire :
Mon amour, comme ce diamant, est éternel.
Il faisait trois carats et brillait de mille feux. Johnny voyait son gain de près d’une année de travail partir en fumée. Il lui avait coûté trente mille dollars et il avait emprunté pour l’acheter. Elle lui coûtait cher la vieille peau qui refusait de mourir. Dorénavant pensait-il, à chaque fois que je le verrai briller, je n’oublierai pas de lui faire payer un jour avec les intérêts.
Elle le porta aussitôt et tenta de chasser de son cerveau ses pensées malsaines. Au cours des jours et des semaines qui suivirent, elle fut à nouveau très heureuse avec Johnny et elle oublia le testament.
*
Trois mois après la collision, elle n’avait plus aucune séquelle et marchait normalement. Elle avait repris ses affaires et lui les siennes. Il avait racheté une autre voiture, moins puissante, Babeth ne voulait plus d’une auto si rapide. Il avait une mustang cabriolet. C’était une bonne bagnole aussi pour les filles.
Il pensait qu’elle avait oublié toute cette histoire et ne se gênait pas pour la tromper. Son club marchait très bien, il était plein pratiquement tout le temps. Il avait embauché deux jeunes filles bien roulées comme prof de tennis et elles avaient un succès fou avec tous les hommes mariés du coin. Les serveuses aussi étaient bien roulées, il en savait quelque chose. Devant cette réussite, il s’était aménagé un appartement près de son bureau. Un vrai baisodrome. Comme cela, il pouvait baiser une salope le matin, l’après-midi. Bref à n’importe quelle heure. Il vivait un rêve et ne pensait plus à liquider de nouveau sa chère et tendre épouse.
Une année passa ainsi. L’accident était presque oublié. La vie à deux n’était pas facile tous les jours. Elisabeth se montrait plus exigeante, plus autoritaire, plus maternelle aussi, ce qui l’agaçait au plus haut degré. Et puis, alors que les jours coulaient relativement heureux, elle lui annonça un soir qu’elle voulait un enfant.
Ils étaient assis l’un en face de l’autre. Il en resta pétrifié. Elle lui expliqua qu’elle allait sur quarante et un ans et qu’elle désirait avoir un bébé avant qu’il ne soit trop tard. Cela les rapprocherait définitivement, dissiperait tout malentendu et elle lui en serait éternellement reconnaissante.
Il répondit passablement contrarié :
« Tu es trop âgée chérie, c’est trop dangereux. »
« Le docteur m’a assuré que non. C’est possible à condition de faire attention durant la grossesse, c’est tout. On fonderait ainsi une famille. C’est une façon heureuse de conclure notre amour.
Ce serait notre enfant Johnny et ton fils qui sait ? »
Un enfant, elle était folle. Johnny Parker papa, la paternité l’effrayait plus que tout. Il détestait les mômes, des petits cons sales et difformes, des sacs à merde, à téter, à pisser comme de jeunes chiots, des hurleurs de première, des casse couilles, des empêcheurs de baiser, des tueurs d’amour, des morveux. Brusquement, il n’avait plus faim. Il sortit de table furieux et marcha à grandes enjambées dans le parc tentant de chasser la colère qui le gagnait.
Un môme, maintenant elle voulait un gniard. Mais c’était n’importe quoi, une folle, elles sont toutes fêlées. Il n’en voulait pas d’enfant, qu’est ce qu’il en avait à foutre de fonder une famille, papa, maman, et les anges autour. Il allait prendre un sacré coup de vieux avec cette connerie.
Et dire, pensait-il, qu’elle devrait être morte à cette heure. L’idée revint et s’attacha dans son esprit. Il était peut être temps d’envisager un autre accident. Il dormit peu cette nuit-là, tournant et retournant dans le grand lit conjugal. Parfois, il apercevait l’éclat du diamant qui brillait de tous ses feux éclairé par le rayon de la lune solitaire. Alors sa haine le reprenait et il devait serrer les poings pour éviter de l’étrangler. Il se disait entre ses dents :
Un accident Johnny, il faut que ce soit un accident.
C’est vers cette époque qu’il remarqua une jeune serveuse fraîchement embauchée. Elle se nommait Florence. Elle était mignonne avec un charme en plus, il ne savait quoi. Il décida de la draguer. Elle s’en aperçut rapidement. Il lui plaisait énormément et en plus c’était le patron. Comment ne pas mélanger le plaisir et le boulot quand tout va de pair. Le soir même, elle était dans son lit.
Elle fumait une cigarette. Nue, allongée sur le dos, elle semblait savourer le plaisir qu’il lui avait donné. Il la regardait fixement, détaillant ses charmes, cette petite poitrine bien haute, son ventre plat, sa croupe ronde et charnue, sa bouche sensuelle et ses grands yeux noirs. C’était une bonne baiseuse qui ne refusait aucune caresse. Rien n’était tabou à ses yeux. Il ne savait pourquoi mais elle lui plaisait bien celle-ci, alors il engagea une conversation.
« Tu es de quel bled ?
Je suis d’un patelin à l’ouest de la ville, dans un trou perdu, un ancien lotissement construit pour les mineurs de la vieille mine d’or.
Une ancienne mine d’or ?
Oui, elle a fermé il y a une quinzaine d’années. Mes parents vivaient là. Mon père y travaillait. Puis le filon s’est tari, la mine a fermé et nous sommes partis deux ou trois ans après. J’avais sept ou huit ans à l’époque. Nous sommes allés au Nevada. J’ai fait mes études là-bas et je me suis barrée à dix-huit ans pour voir du pays. J’en avais marre de la misère, de mes vieux, des bouseux du coin, de cette vie de merde. J’ai voyagé, j’ai rencontré des tas de gens, j’ai vu des paysages, j’ai tâté un peu de tout. Dernièrement je me suis dit que ce serait marrant de revenir sur les lieux de mon enfance. Alors je suis passée. Mais, je ne pense pas rester. D’ici trois à six mois, je monte plus au nord.
Et toi, tu es d’où ?
De Jacksonville, près de Casper, enfin un petit coin à côté. Je suis parti à cause de mecs jaloux parce que je baisais leurs nanas. Je me suis casé ici depuis presque quatre ans. Je suis marié à une femme très riche et très chiante. »
En plaisantant, il ajouta :
« J’attends qu’elle meure pour hériter.
Quel âge a-t-elle ? »
lui demanda Florence
Elle va avoir quarante et un ans. »
La conversation était banale, insignifiante et il ne savait dire pourquoi il s’intéressait à d’aussi stupides propos.
Elle répondit en riant :
« Tu ferais mieux de la tuer, tu gagnerais du temps. »
Il bondit en criant :
« Petite conne, tu crois que c’est facile de tuer quelqu’un. Pétasse, conasse, fous le camp d’ici. Allez casse-toi.»
Elle était éberluée de sa réaction sur des sujets abordés aussi négligemment. Très futée, elle flaira un bon coup. Elle dit à voix basse :
« Tu as essayé et tu as raté. »
Devant son silence, elle continua.
« Je sais, ce n’est pas facile mais avec de l’astuce et des bons amis, on peut y arriver. Crois-moi, c’est possible.
Mais tu n’es qu’une petite gamine qui n’a que son cul à vendre et encore, qu’est ce que tu connais à la vie ? »
Il parlait d’un ton agacé, légèrement énervé. Elle le laissa ainsi réciter sa litanie en remuant ses pieds au-dessus de ses fesses. Elle était sur le ventre. Elle était bandante ainsi et elle avait un bien joli cul. Il se jeta sur elle et entreprit de la sodomiser. Cela n’effrayait pas Florence. Elle en avait vu d’autre, beaucoup d’autre. Ce n’était pas une bite dans le cul qui allait changer grand-chose. En outre, elle adorait ça, alors.
Johnny était calmé après. Elle avait vu la gamine. Il avait bien remarqué qu’elle avait aimé ça, la salope. Cependant, cela n’avait rien changé.
Elle reprit immédiatement :
« Tu veux vraiment qu’elle disparaisse ta vieille ? »
« Arrête Flo, remets pas ça, qu’est ce que tu y connais, ce sont des trucs de tueurs, d’assassins professionnels, laisse tomber.
Si je trouvais une solution, tu accepterais ? »
Agacé il finit par répondre :
Trouve et je prends. Allez maintenant prends tes fringues et rentre chez toi. Il faut que je retrouve ma charmante épouse. »
Deux jours se passèrent sans que rien ne change. Il avait oublié cette conversation quand il vit Florence qui venait vers lui. Elle avait un beau corps qu’elle savait mettre en valeur. Elle lui fit un signe de la main comme si elle voulait lui parler.
« Salut beauté, ça va ?
Ouais! Et toi, toujours intéressé pour te débarrasser de ta femme ?
Arrête avec ça, ce n’est plus drôle.
Tu ne veux pas passer un bon moment avec ton patron, j’ai une petite heure à t‘accorder.
C’est bon, répondit-elle, tu baises pas mal, cela ne se refuse pas, et puis c’est toi le boss.
Ils montèrent discrètement dans son appartement. Une demi-heure après, ils étaient allongés l’un près de l’autre, Johnny songeur, content et Florence fumant une cigarette en savourant le plaisir qu’il lui avait donné.
« Alors, veux-tu qu’on se débarrasse de ta moitié ?
Parce que si tu es toujours d’accord, j’ai la solution. »
Amusé, il répondit :
« Vas-y, tu m’intéresses.
Voilà ce que je te propose :
On enlève ta moitié, on exige une rançon, tu paies et on la liquide quand même. Toi tu es blanc comme neige. La police aura beau avoir des doutes, des soupçons, ils ne trouveront rien à redire. Pendant tout le rapt, les seuls contacts qu’on aura avec toi seront des contacts officiels, c’est-à-dire ravisseur et victime. Tu paies tant, tu mets l’argent ici etc…
A la fin de l’opération, on tue malgré tout ta charmante épouse.
Aucune autre démarche. Si tu es d’accord, on se connaît plus, on s’est jamais vu. Je disparais de ta vie, du club et de la région.
Mais, comment je paie vos services ?
La rançon mec, la rançon. Tu verses la rançon. On s’est entendu avec mon frère, on veut deux millions de dollars. Tu la mets à l’endroit indiqué, on la ramasse, on culbute ta vieille et on disparaît.
Deux millions de dollars, vous n’exagérez pas un peu ?
Deux millions, tu trouves que c’est beaucoup pour un crime, il va t’en rester une dizaine, non ?
Et on t’en débarrasse pour le restant de tes jours, c’est pas cher. »
Il réfléchissait à toute vitesse. L’idée était séduisante, la somme pas si élevée que cela pour se libérer définitivement de l’emmerdeuse. Mais il y avait des interrogations.
« Je serai obligé de passer par son conseiller financier pour l’argent. Je ne pourrai le sortir seul. Il avertira le FBI, c’est certain. Ils chercheront à vous coincer, surtout au moment du paiement.
Si je cherche à les semer, ils auront des doutes sur moi.
Comment allez-vous faire pour la toucher ?
Ca, c’est notre affaire, mais mon frère a tout prévu. Il a une idée formidable, géniale, je ne t’en dis pas plus. Elle se servait de son frère alors que c’était elle qui l’avait trouvée. Johnny était trop macho pour s’en remettre entièrement à une femelle.
Alors qu’est ce que tu en dis ? »
Je ne sais pas. Il faut que je réfléchisse. Je ne m’attendais pas à cela. Je croyais que tu plaisantais avec tes airs de petite pute. Je vais réfléchir et je te contacte dès que je prends la décision. »
Il était abasourdi, sonné, étonné par sa proposition. Quel culot pour une gamine de cet age. Mais en y réfléchissant bien, c‘était une sacrée idée, une très bonne proposition.
Il ne pensa qu’à cette idée pendant deux jours et deux nuits. C’était obsédant. Il soupesait le pour et le contre. Il ne voyait pas beaucoup d’objections. Un kidnapping suivi d’un meurtre, cela arrivait parfois et c’était très difficile, voire impossible de retrouver les auteurs sauf pour la rançon. Si le FBI était averti avant, il pinçait toujours les ravisseurs quand la somme était versée. C’était inévitable, ils n’avaient qu’à attendre, planqués, qu’ils viennent la chercher. Imparable. Elle avait dit qu’ils avaient une idée géniale, laquelle ?
Et si ce n’était que des jeunes cons, des fumistes ?
Oui, mais si cela marchait ?
Il tournait toutes les suppositions dans sa tête, il ne savait que faire, que penser. Il avait compris qu’il fallait qu’il se débarrasse au plus vite de son épouse avant qu’il ne vienne à l’éliminer tant elle l’exaspérait. Elle le faisait vraiment chier avec son besoin de maternité. Elle faisait tout pour le ramener dans son lit. Elle était pitoyable ainsi, le peignoir ouvert, l’entrejambe offerte, le ventre prêt à pondre. Il aimait les femmes, il les adorait pour le plaisir inouï qu’elle pouvait donner par tous les orifices que Dieu leur avait octroyés. Mais il détestait les mères, les poules à marmot, les pondeuses de moutard, les orphelines du cul. Il les haïssait, les fuyait comme la peste, comme des futures chieuses qu’elles seraient immanquablement un jour, c’était certain, c’était écrit.
Elle le dégoûtait avec son sexe offert comme un cageot de légumes, un coquillage à goûter, un fromage à sentir. Il en avait marre de sa tendresse, de ses épanchements de fausse pute, de putain de mère de famille. Elle n’avait qu’à se laisser baiser et prendre dans ses bras tout le plaisir que lui en tirait, ce n’était pourtant pas si compliqué.
Il dormit mal pendant deux jours, ressassant sans cesse s’il devait marcher dans cette combine. Il avait raté la première. Pas chaud pour recommencer à l’époque. Maintenant c’était oublié, mais il ne fallait pas rater la deuxième, il n’y aurait vraisemblablement pas de troisième fois. Toutefois, il ne participait pas directement. Si cela foirait, il pouvait nier. Il ne connaissait que Florence et encore, fallait-il le prouver. Elle était au club depuis un mois. Il pouvait la rayer des effectifs. Les filles de son genre, il en passait deux, trois par mois. D’ici un trimestre, personne ne se rappellerait de cette nana. Les risques étaient minimes.
Ca valait le coup d’essayer.
Les deux nuits suivantes renforcèrent ses certitudes. Il avait fait l’amour plusieurs fois à Elisabeth durant ces deux nuits pour lui faire un enfant. Elle cessait toute contraception et le harcelait. Il avait dû se résoudre. A l’aube du troisième jour, sa décision était prise et le sort de son épouse scellé. Sur la route qui menait au club son destin allait passer aux mains d’une petite pute et de son frère qu’il ne connaissait même pas.
Il convoqua Florence le plus rapidement possible après avoir réglé les affaires courantes. Ils firent l’amour une dernière fois. Il aimait bien sa façon de le faire. Au fond elle était un peu comme lui, libre comme l’air, rebelle à tout, un petit animal. Elle lui faisait penser à ces chats qu’on invite à la maison mais qui choisissent leur maître. Ils étaient domestiqués mais libres comme elle, comme lui. Ils côtoyaient leurs semblables avec respect et sans se soucier de leurs problèmes, ils prenaient leur plaisir où bon leur semblait et en se cachant pour ne pas éveiller des rancunes et des jalousies pour tous les culs terreux qui manquaient de courage pour faire comme eux. Ils étaient similaires.
Il lui annonça qu‘il était pratiquement d’accord. Il avait un doute pour le paiement de la rançon, qu’est ce que c’était l’idée géniale ?
« Si je te la dis, tu risques de ne pas être toi-même pendant l’enlèvement. Tu dois te douter que pendant tout ce laps de temps, les fédéraux vont te surveiller sans cesse, jour et nuit, à la recherche du moindre contact que tu pourras avoir avec les ravisseurs de ta femme. Et ce sont des sacrés fouineurs, tu peux me croire. Moins tu en sais, mieux tu t’en sors. Tu paraîtras plus naturel, tu ne sais pas grand-chose, tu t’inquiètes, tu pleures, tu cries, tu fais du cinéma comme si on t’arrachait ta chère et tendre. Tu te bats pour verser la rançon, pour sauver ta moitié. Tu cries haut et fort que deux millions ce n’est rien pour toi. Tu fais comme si de rien n’était.
Je peux juste te dire que c’est un endroit que l’on connaît très bien et qui a une particularité très intéressante, c’est tout.
Combien de temps faut-il pour réunir cette somme a-ton avis ?
Car on la demandera en petites coupures usagées de dix, vingt, cinquante et cent dollars.
Il réfléchit et dit :
« La banque va demander au moins trois jours, mais le plus ardu sera de convaincre Douglas de lâcher ce montant. Il va refuser, c’est certain.
A toi de le persuader. En l’absence de ta douce, c’est toi le patron. Il faudra qu’il s’y habitue. Sois ferme, il en va de la vie de ta femme. »
Elle parlait avec le même timbre de voix, sans haine et sans passion. Elle disait cela comme s’il ne s’agissait que d’un banal travail routinier, habituel Alors qu’il parlait d’un rapt avec meurtre. Dans cet état, à cette époque, c’était la condamnation à mort assurée avec la chaise électrique comme châtiment.
Un instant, un frisson désagréable lui parcourut le dos, une angoisse effrayante l’envahit ainsi qu’une question lancinante ?
Si ça ne marchait pas ?
Il se voyait assis avec tous les électrodes scotchées partout sur son corps superbe et lié à cette maudite chaise. Il fermait les yeux attendant la décharge mortelle, la dernière poussée d’adrénaline avant le néant. La peur était à son comble. Il crut qu’il allait pisser dans son froc. Il rouvrit ses yeux glacés d’épouvante sur Florence et sa superbe nudité qui lui tournait le dos. Pas un doute ne l’effleurait, pas même une interrogation. Elle était si jeune, elle ne doutait de rien. Il vieillissait. Il s’allongea sur son dos pour décharger son angoisse mortelle dans son vagin étroit et généreux.
Elle était flattée qu’il eut encore envie d’elle et entreprit avec sa bouche de lui démontrer et de remercier ce bout de chair qui la comblait d’aise et de bonheur.
Il allait mieux à cette heure. Détendu, repus, rassasié, il s’en remettait à cette insolente gamine et à son frère. Elle avait l’air si sûre d’elle et de cette opération.
Pour mettre au point le kidnapping, il fallait qu’il donne tous les renseignements et l’emploi du temps complet de son épouse pour qu’ils évaluent le lieu et la date de l’enlèvement. Pendant qu’il racontait les différentes activités d’Elisabeth de la manière la plus précise qui soit, elle notait sur un carnet tous les détails. Cela dura une bonne heure. Il était soucieux et il demanda :
« Quand comptez-vous agir ?
« Johnny, moins tu en sais, mieux c’est. Tu verras bien. Laissons faire le temps. Je vais d’abord me faire oublier des gens du coin et puis on va observer ta bien-aimée pour déterminer l’endroit adéquat. Ensuite, on met le coup au point, on règle les détails et on agit.
Cela va durer quelques mois, je pense, peut-être plus.
On t’avertira par voie officielle du kidnapping et de la demande de rançon. Ensuite, tu suivras les instructions comme si tu étais un mari épris et inquiet pour sa moitié. »
Maintenant il fallait déguerpir au plus vite du club. Elle demanda mille dollars en guise d’adieu pour tenir jusqu’à la date fatidique.
« Je prends mes affaires et je fous le camp dit-elle. Brûle tout ce que tu possèdes sur moi. Je pense que d’ici quelques jours tout le monde m’aura effacée de son esprit et c’est très bien ainsi. »
Elle était habillée et lui souriait d’un air joyeux comme une adolescente ayant conclu une bonne affaire.
« Au fait, j’ai couché avec un prof d’ici avant toi, Jimmy Robertson, vire-le au plus vite pour qu’on l’oublie aussi quand cette histoire commencera.
Je te dis adieu Johnny et j’espère qu’on ne se reverra jamais car, si on se revoit, c’est que ça aura foiré. Adieu mec »
Elle partit d’un seul coup sans se retourner.
Il sortit à son tour, isolé et désemparé, hésitant sur la conduite à tenir. Il avertit Anny, la serveuse, qui officiait au bar que Florence partait définitivement et qu’elle devait se débrouiller seule pour cet après-midi ; demain, il trouverait une remplaçante. Il erra une bonne partie de la journée dans le club s’occupant de tout et de rien. Il s’interrogeait sans cesse sur cette affaire si rapidement conclue.
Une nouvelle jeune fille servait au bar dès le lendemain. En fin de journée, tout le monde avait oublié Florence. C’était plutôt bon signe.
Il convoqua Robertson pour une broutille et le mit à la porte aussi sec avec ses indemnités légales.
Maintenant, il suffisait d’attendre.
Une grande fébrilité s’empara de sa personne pendant plusieurs jours. Il était constamment de mauvaise humeur et d’une grande nervosité. Il ne tenait pas en place. Elisabeth s’en aperçut et s’en enquit.
Cela l’agaça encore plus. Elle était absorbée par ses courbes de température, attendant le grand moment où elle pourrait lui annoncer fière et heureuse qu’elle était enceinte. C’était son unique préoccupation, elle ne vivait plus que pour cela. Dès qu’elle s’apercevait que ça n’avait pas marché, ses menstruations finies, elle attaquait Johnny et l’emportait sur sa couche dès que possible pour soumettre sa matrice à cette aventure. Il n’en pouvait plus de ces simagrées. Lui, il aimait le cul pour le plaisir qu’il donnait et pas au nom de soi-disant faux-semblant pour des familles si mal faites.
Alors, de temps an temps, il sortait et marchait seul dans le grand parc. Il faisait des parties de tennis acharnées où il donnait de grands coups dans les balles pour se défouler. Parfois, certains échanges trop violents les envoyaient hors des limites du cours et c’était insolite chez lui. Il s’emportait contre ses employés pour des broutilles, des riens. Il s’aperçut de son état, mais il ne savait comment y mettre un terme. Tous les jours, il redoutait et souhaitait le moment fatidique. Il était soulagé et désappointé à la fois de retrouver Babeth dans la grande maison lui souriant d’un bonheur qu’elle croyait sans nuage.
Il reconsidérait dans sa tête l’agenda de son épouse pour tenter de saisir quand ils allaient agir. Il y avait plusieurs possibilités :
Quand elle se rendait à son bureau en centre-ville ?
La route qui menait à la ville était parfois très tranquille. Il suffisait d’arrêter la voiture pour une raison quelconque et de l’enlever ainsi.
Quand elle faisait son jogging autour du lac deux fois par semaine ?
Les médecins lui avaient conseillé cet exercice après son accident pour la rééducation de sa jambe Elle avait continué par la suite, ça entretenait sa ligne et c’était bon pour le cœur.
Quand elle sortait le soir pour quelques réceptions officielles en ville ou dans les propriétés de ses relations des environs ?
Il ne l’accompagnait plus depuis l’accident pour éviter les murmures qui courraient sur son compte et qu’il devinait sur leurs visages réprobateurs.
Quand elle allait dans des ventes aux enchères pour acquérir quelques oeuvres d’art qui meubleraient la grande maison ?
Là encore, il ne l’accompagnait pas. Il n’y connaissait rien et ça ne l’intéressait pas du tout.
Quand elle allait au cimetière, toujours désert, poser une gerbe de fleurs sur la tombe de son défunt époux ?
Les deux grandes questions qui l’obsédaient étaient de savoir :
Où et Quand ?
Le lundi suivant le départ de Florence, une angoisse indicible l’envahit quand il vit Babeth se mettre en jogging pour effectuer sa course à pied. Il pensa qu’elle n’allait peut-être pas revenir.
Alors il patienta nerveusement jusqu’à son retour. Quelle ne fut pas sa surprise quand il la vit revenir essoufflée et souriante vers neuf heures !
Pas aujourd’hui et pas là se dit-il.
Toute la semaine se passa ainsi à espérer, attendre et, soulagé ou déçu, il voyait le retour de son épouse lui ôter un grand poids qui comprimait sa poitrine et son cœur, un soulagement bienheureux et une contrariété équivoque. Il ne vivait plus et regrettait ce contrat. L’attente était insupportable. Il chercha Florence un peu partout pour lui dire qu’il abandonnait le meurtre de sa femme. Mais il ne la trouva point. Elle avait littéralement disparue.
Par la force des choses et du temps, il se calma et après deux mois du contrat passé avec Florence, ne voyant rien arriver, il estima qu’elle lui avait escroqué mille dollars. Ce n’était pas une grosse somme et il n’avait aucun dépit. Il se trouvait un peu con d’avoir cru à cette histoire. En y repensant maintes fois, il se dit qu’il avait été vraiment d’une grande stupidité de croire qu’une gamine pouvait réaliser un truc de ce genre. Il vieillissait trop vite, s’embourgeoisait avec cette conne et ses envies de maternité.
*
C’était une vraie emmerdeuse maintenant, une mère poule avant l’heure. Pourtant, il se surprenait parfois à envisager sa vie future avec un enfant. D’autres y étaient parvenus avant lui, il n’y avait pas de raison valable pour qu’il n’y parvînt pas. De toute façon, il n’avait guère le choix : soit il disparaissait et reprenait sa vie errante et aventureuse, soit il restait pour profiter d’une existence luxueuse et sans soucis financiers. Il n’avait plus très envie de repartir à l’aventure draguer les poules qui passaient à sa portée. Avec son club, il était relativement tranquille. Il avait finalement compris qu’Elisabeth ne viendrait jamais le relancer comme elle l’avait fait dans le motel avec Catherine. Elle avait trop souffert et n’était plus disposée à recommencer ce genre de choses. L’âge et l’amour qu’elle lui portait comblaient sa vie et les quelques aventures qu’il vivait ne représentaient rien. Elle était magnanime et acceptait son sort avec résignation et optimisme car la passion qu’il lui avait fait découvrir valait largement les quelques misères de ces aventures sexuelles qui l’attristaient et la privaient de son manque d’affection. Elle pensait que l’amour qu’elle lui portait valait quelques sacrifices. Il était si jeune, si inexpérimenté, elle se devait de lui pardonner. Un jour il comprendrait, pensait-elle.
C’est aussi pour cela qu’elle désirait un enfant. Elle pensait qu’un bébé lui donnerait une sérénité et une confiance qui l’inciteraient à accepter les charges d’une famille réussie. Son amour et le temps feraient le reste. Elle en était sûre et c’est essentiellement pour cette raison qu’elle acceptait tous les risques que comportait une maternité à son âge.
Johnny valait bien des sacrifices.
Ce lundi matin là, il partit tôt. Il avait beaucoup de boulot au club. Plusieurs employés avaient donné leur démission. Il fallait vite trouver des remplaçants. Ces jeunes, ils restaient deux, trois mois et repartaient vers d’autres paysages comme ils disaient. Il avait du mal à leur faire accepter une quelconque discipline. Ils avaient les cheveux trop longs, des tenues trop décontractées, ils se foutaient de tout, travaillaient quand ils en avaient envie. Parfois, les clients se plaignaient de leur insouciance et de leur manque de professionnalisme.
Il quitta la maison avant le jogging de sa femme. Il réglait maints problèmes au club quand le téléphone sonna. C’était Maria, la domestique.
Il se demanda ce qu’elle voulait car elle n’appelait jamais.
Elle était inquiète, il le sentait à sa voix. Elle lui expliqua que madame n’était pas rentrée de son cross. Il fut surpris.
Mais quelle heure était-il donc ?
Disant cela, il regarda sa montre, onze heures !
Qu’est ce qu’elle foutait ?
« Vous êtes certaine qu’elle n’est pas rentrée et repartie sans que vous ne l’aperceviez?
Oui monsieur, je suis formelle, elle n’a pas pris son petit déjeuner. »
Ouais! Babeth ne partait jamais sans un en-cas le matin.
« Je ne sais pas quoi vous dire Maria. Etes-vous allée faire un tour du côté où elle court pour questionner les voisins ?
Oui monsieur, je ne l’ai pas vu, personne ne l’a aperçue.
Bon, écoutez, si elle n’est pas rentrée d’ici une heure, rappelez-moi. »
Il raccrocha avec la voix désespérée de Maria qui résonna longtemps encore dans son esprit. Il reprit ses occupations en pensant de temps à autre à cette question lancinante :
Qu’est ce qu’elle foutait ?
C’était vraiment une emmerdeuse.
Puis, très occupé par ses obligations, il oublia l’appel de Maria.
Elle le rappela à quatorze heures, il s’excusa, il l’avait complètement oubliée. Sa femme n’était toujours pas rentrée. Maria s’inquiétait vraiment. Elle avait refait le tour, personne. Elle avait appelé au bureau, personne ne l‘avait vue. M. Brendan non plus.
Il était arrivé quelque chose à madame, elle en était sûre.
Johnny ne savait que faire devant l’inquiétude de sa domestique. Le club pouvait se passer de lui, il lui annonça qu’il rentrait.
C’est sur le chemin du retour, au passage du lieu de l’accident, que le contrat remonta dans sa mémoire.
Etait-ce possible que Florence et son frérot l’aient enlevée ?
Il n’y croyait plus. Ce n’était guère probable. Près de quatre mois que le contrat avait été passé. Ce n’était pas croyable.
Il était en pleine interrogation.
Arrivé à la propriété, il se rendit à l’évidence, aucune trace de son épouse. Il retournait sur le parcours qu’il connaissait bien, personne ne l’avait aperçue. Seul un vieux monsieur qui sortait son chien l’avait vue vers huit heures vingt. Elle était facilement reconnaissable avec son survêtement clair. Après, il était rentré chez lui.
Il se dirigea vers la cabane abandonnée, pas de traces particulières. Il rentra, fou d’inquiétude. Sa folie apparaissait maintenant dans toute son horreur. Il venait de réaliser qu’il avait commandité le meurtre d’Elisabeth. Il devait reprendre son sang-froid, faire comme s’il n’était pour rien dans cette affaire. Il rentra à la propriété.
Douglas l’appela peu après. Il venait d’apprendre qu’on cherchait sa cliente un peu partout. Il s’enquit de la situation. Johnny l’informa de ses recherches infructueuses. Douglas le pressa d’appeler la police immédiatement, de déclencher des recherches autour du lac. Elle avait peut-être glissée, était tombée dans l’eau qui était fraîche à cette saison. Elle avait pu avoir un malaise.
« Faites quelque chose merde, c’est votre femme ! »
S’indigna-t-il.
Johnny s’emporta aussi et lui répondit brutalement :
« Vous me faites chier Brendan, on se casse le cul pour trouver une solution raisonnable et vous n’annoncez que des résultats si dramatiques que j’en chie dans mon froc rien qu’à les évoquer avec certitude. Vous n’êtes qu’un oiseau de malheur. »
Il raccrocha.
A présent, il en était certain. Babeth venait d’être enlevée par cette gamine et sa bande. Le scénario était parti malgré lui. Il se devait d’être à la hauteur, c’était sa tête qu’il risquait. Il craignait que son angoisse ne s’étale au grand jour dans toute la maison et qu’il apparaisse comme un coupable idéal. Un frisson d’effroi le parcourut, il tremblait, il préféra penser qu’il avait pris froid.
Maria avertit la police qui ne tarda guère. Avec elle, suivait une brigade de secours fluvial. Ils commencèrent à fouiller le lac et ses environs avec des chiens. Des flics questionnaient les habitants du lotissement. Johnny suivait cela de loin, du porche de la propriété. De temps en temps, un flic en civil le questionnait. Il répondait avec calme et sincérité. Le reste de la journée passa ainsi à suivre ces gens qui cherchaient consciencieusement une hypothétique découverte, que Johnny savait trop bien improbable.
Il redoutait maintenant la confrontation avec les ravisseurs et la demande de rançon. Il tremblait de trouille à l’évocation de la demande de contrepartie formulée par la voix si caractéristique de Florence.
A sept heures du soir, le téléphone sonna. Sa sonnerie aiguë et stridente fit bondir Johnny. Il était comme paralysé et ne savait que faire. Il réagit quand il vit Maria se diriger vers l’appareil. Il réussit à le saisir juste avant.
« Allô, dit-il d’une voix mal assurée.
M. Parker, annonça une voix déformée.
« Oui, c’est lui-même, qui êtes-vous ? »
« Nous avons enlevé votre épouse, elle va bien, nous exigeons deux millions de dollars de rançon, faute de quoi, nous l’exécutons. Nous voulons le tout en petites coupures usagées de dix, vingt, cinquante et cent dollars.
Avez-vous bien compris M. Parker ?
Oui je crois, répondit Johnny, abasourdi par la cruelle et impensable vérité.
Bon, nous rappellerons demain pour les détails, pas un mot à la police, sinon votre femme est morte, compris ?
Oui, ne lui faites aucun mal, je paierai. »
Il se retrouva complètement hébété avec le combiné qui pendait dans sa main et la sonnerie d’occupation qui résonnait au plus profond de son cerveau. L’aventure commençait. Il n’en était plus maître et regrettait déjà de l’avoir initiée. Il tremblait de tous ses membres. Il avait froid et une pince lui enserrait le cœur. Ses nerfs le lâchaient.
Il pensa :
Je suis vraiment un lâche, je le savais, pourquoi me suis-je lancé dans cette opération ?
Quelle connerie ! Je vais en perdre la tête.
Il aperçut Maria qui le regardait avec curiosité. Il marmonna à son intention :
« Maria, des gangsters ont enlevé madame, n’en parlez à personne. »
Maria prit sa tête dans ses mains et partit en courant dans la cuisine.
Après un moment de tergiversation, il se calma et appela Douglas d’une voix ferme et décidée. Il se souvenait du conseil de Florence :
Sois énergique, dorénavant c’est toi le patron.
« M. Brendan, c’est Parker. Je viens de recevoir un coup de téléphone. Elisabeth vient d’être victime d’un enlèvement. Ils demandent une rançon de deux millions de dollars en petites coupures usagées avec interdiction de faire appel à la police sinon ils la tuent. Demain matin, à la première heure, je veux que vous appeliez la banque et que vous leur demandiez de réunir la somme le plus vite possible. C’est une question de vie ou de mort, vous entendez Brendan. Ils rappellent demain pour la suite des opérations. Je tiens à Elisabeth, je veux la revoir, exécution. »
Il avait haussé la voix au fur et à mesure des revendications car il savait que seul Douglas avait pouvoir pour sortir cette somme considérable de la banque et qu’il ne serait évidemment pas d’accord de céder si vite. En effet, Douglas, une fois la stupeur passée, entama une discussion avec Johnny et lui demanda maints détails, tentant de l’infléchir dans sa décision. Deux millions, ce n’était pas rien. Il fallait attendre, alerter le FBI, c’étaient les spécialistes pour ce genre de choses. Il fallait les faire patienter, demander des conseils. D’abord est ce que sa femme était encore vivante, qu’est ce qui le prouvait ?
Le débat fut long et difficile. Johnny s’emportait par moments devant les hésitations et les atermoiements de Douglas. Après bien des discussions, ils se séparèrent et se donnèrent rendez-vous le lendemain à huit heures à la propriété.
Johnny était dans tous ses états. Il ne savait que faire et que penser. Douglas était plus coriace qu’il ne l’avait imaginé. Ce n’était pas gagné d’avance.
Il recourut à l’alcool pour trouver le sommeil. Allongé sur le grand lit conjugal, il voyait le visage de Babeth qui pleurait partout sur les murs. C’est fou ce qu’elle était belle ainsi. Il s’endormit tard et à moitié ivre quand l’image fut trop floue pour se fixer dans sa mémoire. C’était sa façon à lui de l’oublier.
Douglas était sceptique, hésitant entre suspicion envers Johnny et le désir de protéger Elisabeth. Pendant plus d’une heure, il tourna et retourna dans sa tête les différentes possibilités qui s’offraient. Devant les nombreuses interrogations, il téléphona à l’avocat d’un de ses amis.
Celui-ci écouta l’histoire, puis fut rapide et précis. Si c’est vraiment un enlèvement, vous devez appeler le FBI immédiatement sans en avertir le mari. Ils prendront toutes les précautions nécessaires pour agir en toute discrétion. Votre responsabilité est dégagée de tout soupçon si l’affaire tourne mal et c’est souvent le cas. Si vous soupçonnez l’époux d’être l’auteur de cette histoire, faites-en part aux fédéraux. Ils le surveilleront et trouveront la faille. Protégez-vous mon ami car ce genre d’affaire est très délicat.
Il raccrocha avec un sentiment de soulagement. Il avait pris le bon conseil. Il appela immédiatement le FBI. La nuit allait être courte.
Une heure après, deux agents du FBI débarquaient dans son bureau. Jusqu’au matin, ils posèrent des tas de question sur tout l’environnement d’Elisabeth, ses habitudes, ses manies, ce qu’il savait sur l’époux, sur le couple, sur leurs ennemis. Douglas était épuisé par toutes les questions qui fusaient de la bouche des deux hommes. Ils n’avaient de cesse de répéter les mêmes demandes et de lui notifier gravement les incohérences et les inexactitudes qui ne manquaient pas de surgir. Il comprit assez vite qu’il était considéré comme un coupable potentiel. Cela le mit hors de lui, mais sa nature de conseiller financier reprit vite le dessus et il se calma s’efforçant de répondre précisément aux interrogations. Au petit matin, ils le laissèrent souffler et prendre un peu de repos. En attendant, ils réclamaient un blocus complet sur cette affaire, pas un mot à quiconque et surtout pas à la presse. Leur réussite dépendait pour beaucoup de sa discrétion. Quand ils décampèrent, Douglas n’avait plus sommeil.
Pour lui, la culpabilité de Johnny était évidente depuis ce faux accident. Il aurait dû se méfier davantage et envisager pareil scénario bien qu’un rapt fût peu courant.
Quelle idée avait eue Elisabeth d’aller s’embarquer avec un type pareil, un petit voyou ?
Mon dieu, que les femmes sont stupides !, se dit il.
*
Elisabeth pleurait, elle avait peur, elle avait froid. Elle était dans l’obscurité la plus complète. Pas la moindre lueur de clarté ne parvenait à ses yeux.
Elle se rappelait son enlèvement :
Depuis leur accident, elle faisait de la course à pied deux fois par semaine, le lundi et vendredi. Elle courait dans le lotissement résidentiel qui entourait leur propriété. Une partie se déroulait au bord du lac. Elle partait vers huit heures et cela durait une heure. Johnny l’avait accompagnée à plusieurs reprises au tout début. C’était généralement désert de bonne heure, surtout près de l’eau, mais c’était très agréable de courir dans cette nature vierge qui venait de s’éveiller. Elle s’arrêtait pour faire des mouvements de gymnastique près d’une cabane écroulée située à cent mètres de la route. Elle profitait des ruines pour ses mouvements. On ne pouvait la voir. C’était le bon endroit, regrettait-elle à cette heure.
Une jeune fille, habillée avec un survêtement, était venue à sa rencontre. Elle lui avait gentiment demandé si elle pouvait l’accompagner. Elle avait accepté. Elle n’avait pas prêté attention aux regards furtifs qu’elle jetait alentour. A la cabane, elle avait réalisé les mêmes mouvements qu’elle. Elle n’avait pas entendu les deux hommes qui descendaient le chemin, occupée par ses évolutions et par la discussion avec la jeune fille. Elle se rappelait une main sur son visage, une odeur désagréable et un long sommeil.
Maintenant, elle était dans cet endroit d’où ne parvenait aucun bruit, aucune clarté. Elle avait froid, elle avait soif. Mais par-dessus tout, une peur indicible s’emparait de son esprit et de son corps, des crampes affreuses tordaient son estomac. Elle cogna de toutes ses forces contre les parois métalliques qui renvoyaient ses appels vains et sourds. N’y tenant plus, elle déféqua dans un coin de la pièce. Une odeur désagréable envahit tout l’espace ajoutant à ses angoisses et à ses frayeurs.
*
Johnny se réveilla très tôt avec une migraine épouvantable. Pour une fois, il était reconnaissant envers cette céphalée qui lui ôtait la possibilité de gamberger au sort de son épouse. Il prit plusieurs cafés pour chasser l’haleine infernale qu’il dégageait. Douglas arriva à huit heures précises, bien mis, avec sa serviette, mais de larges cernes soulignaient que la nuit avait été écourtée.
La discussion s’annonçait difficile et elle le fut. Douglas tentait, sur les conseils du FBI, de faire durer les négociations le plus longtemps possible afin qu’ils puissent étudier toutes les pistes éventuelles.
Johnny était passablement énervé devant son attitude qu’il jugeait irresponsable et lui en fit part. Sa céphalée le lançait inlassablement. Il en avait assez de ces discussions sans fin. A un moment, il sentit que Douglas gagnait du temps. Soudain, il haussa la voix :
« Brendan, je vous ordonne d’appeler la banque immédiatement et de lui commander qu’elle réunisse cette somme le plus vite possible.
Avez-vous compris, petit con ! »
Il se leva, l’empoigna par le col de sa veste et amena son visage en face du sien. Douglas n’était pas de taille avec lui. Il ne dépassait pas le mètre soixante, son ventre bedonnant, ses yeux globuleux chaussés de lunettes, ses petites jambes fluettes ne le destinaient pas à la bagarre. Il ignorait que Johnny n’était pas un querelleur. Il abdiqua rapidement, appela la banque et commanda la somme. L’établissement demandait trois jours, peut-être quatre. Trois répondit Johnny, pas un de plus ou je change d’établissement. C’est à prendre ou à laisser. Le directeur dit qu’il allait faire son possible. Johnny avait gagné. Il le savait en regardant Douglas de son mètre quatre-vingt cinq comme un lézard jauge l’insecte qu’il va croquer.
Douglas se sentait mal à l’aise et si humilié qu’il partit aussitôt.
En partant, Johnny lui lança comme un défi :
« Pas un mot de tout ça à la police M. Brendan. S’il arrive quoi que ce soit à Babeth, je vous en tiendrai pour responsable. »
A son bureau, il avertit le FBI de la tournure que prenait l’affaire.
Ce sont eux qui prirent contact avec la banque pour freiner la mise à disposition. Johnny était complètement dessaoulé. Il ne cessait de penser à Florence. Jamais il n’avait pensé que cette gamine réaliserait ce genre de contrat. Et pourtant il fallait se rendre à l’évidence, elle l’avait enlevée. Peut-être était-ce une coïncidence ? Un gang avait prémédité le rapt de son épouse. C’est vrai que c’était une des plus grosses fortunes de la région. Elle était une proie facile pour des gangsters bien informés. Ce ne pouvait être Florence, trop jeune, et en plus, même pas une femme, une gamine !
Il se persuada peu à peu qu’il n’était pour rien dans cette histoire. C’était fortuit. Elisabeth s’était faite enlever par la mafia. En pensant ainsi, il libérait sa conscience et regagnait un calme incertain et fragile.
Le FBI avait mis tous ses téléphones sur écoute. Il était étroitement surveillé à son insu. Ils inspectaient par ailleurs toutes les maisons isolées des environs et convoquaient leurs différents indicateurs à la recherche de nouveaux indices.
Chacun à son poste attendait le nouvel appel téléphonique qui ne manquerait pas d’avoir lieu, le redoutant pour diverses raisons et l’espérant pour d’autres plus redoutables.
Vingt-quatre heures passèrent ainsi dans un dramatique décompte de temps, uniquement préoccupant pour les protagonistes de cette affaire.
Johnny se persuadait de son innocence.
Douglas cherchait comment ce petit salaud avait put monter ce coup et avec qui. Comment sortir sa cliente des griffes de ses ravisseurs ?
Le FBI investissait sans relâche les moindres éléments de cette affaire.
Elisabeth pleurait et se morfondait dans cet espace clos et était terrorisée par le silence et l’obscurité qui l’entouraient.
L’appel eut lieu à dix-huit heures. La sonnerie déchira l’inquiétant silence de la maison. Johnny, bien qu’éloigné, sursauta instinctivement. C’est Douglas, qui était présent, qui décrocha et lui passa l’appareil. Le cauchemar continue pensa-t-il.
Il saisit le combiné avec une trouille affreuse.
« Johnny Parker à l’appareil. »
Il reconnut la même voix que le jour précédent.
« Quand la somme sera t’elle réunie ?
Dans trois jours, la banque a du mal à réunir les petites coupures que vous exigez.
C’est trop, je vous donne quarante-huit heures. Sinon, couic!
Qu’est ce qui me prouve que vous avez enlevé ma femme et qu’elle est encore vivante ?
Pour vous montrer que l’on possède votre épouse et qu’on ne plaisante pas, je vous envoie un petit cadeau.
Je vous rappelle demain. »
Il avait raccroché.
C’était terminé, la conversation ne dépassait pas une minute, trop court pour les localiser pensa Douglas.
C’est ce que confirma le FBI.
Le silence désespérant retomba dans toute la maison et atteignit ses occupants qui restèrent muets devant tant d’adversité.
*
Elisabeth était restée seule toute la journée assise dans un coin dans le noir le plus complet. Elle avait une soif terrible et elle avait faim. Elle avait tambouriné des centaines de fois sur les parois métalliques de l’endroit dans lequel elle était détenue. Elle avait crié à plusieurs reprises. Seul le silence avait répondu à ses pleurs, à ses cris et à sa solitude mortelle et misérable. Elle se sentait irrémédiablement condamnée, mais pour qui, pour quoi ?
Enfin, la porte s’ouvrit et une immense clarté inonda la pièce. C’était insupportable pour ses yeux. Elle les ferma et tenta de les rouvrir aussitôt découvrant le lieu où elle se trouvait. C’était un drôle d’endroit, ni trop grand ni trop petit. Les murs étaient recouverts de métal, le plafond aussi. Un homme très grand et bedonnant qui se tenait dans l’encadrement de la porte lui adressa la parole :
« Voici à boire et à manger madame, ce n’est pas terrible mais c’est mieux que rien. Ne me regardez pas, ça vaut mieux pour la suite, on ne sait jamais. »
Ca pue grave là-dedans !, ajouta t’il d’un ton désagréable.
« Je vous prie de m’excuser mais je n’ai pu me retenir. Vous savez, j’ai appelé, j’ai cogné à la porte à plusieurs reprises, en vain.
Ne vous en faites pas, je vais nettoyer, déclara Elisabeth, confuse et gênée.
Nous avons oublié que vous pourriez avoir ces envies. J’y veillerai la prochaine fois.
Avez-vous besoin de quelque chose ?
Oui, bien sûr. Je vous remercie. Je voudrais aller aux toilettes et me laver, et des affaires de rechange, je suis sale et je désirerai me changer. »
Elle tenait ses yeux à demi clos, tentant de laisser filtrer une légère fente par laquelle elle pourrait apercevoir ses ravisseurs.
Une voix féminine éclata derrière l’homme :
« Madame veut se changer, madame veut se laver. Elle se croit à l’hôtel, elle nous prend pour des larbins. J’t’en foutrai moi. Avec moi, t’aurais pas eu à bouffer, conasse. De toute manière, tu vas crever, alors profites-en. »
Elisabeth poursuivit malgré cela
« Mais je ne vous ai rien fait, je vous donnerai ce que voulez, fixez vous-même la somme. Vous savez, je suis riche, très riche.
On le sait bien, c’est pour ça qu’on t’a enlevé conasse. »
Puis elle ajouta :
« Mais ça pue là dedans, c’est dégueulasse. Elle a chié de trouille la bourgeoise.
Elle se mit à ricaner. Un rire malfaisant, comme une menace.
« Allez madame, ne faites pas attention, mangez et buvez, cela vous fera du bien. Je vais voir ce que je peux faire pour votre toilette. »
Reprit l’homme.
« Que dalle, elle va crever, alors on s’en branle de cette pétasse. T’en occupe pas Archie, merde, tu es con, c’est pas vrai. On a signé un contrat : deux millions de dollars pour l’éliminer. Alors on la bute et en attendant qu’elle continue de chier et de pisser dans son petit coin, qu’elle sente sa merde jusqu’au bout. »
Elisabeth se risqua et dit d’une voix mal assurée :
« Qui vous a offert cette somme. »
Ton mari, Johnny Parker, ton cher époux ma vieille. Le beau Johnny, la terreur de ces dames, le plus beau prof de tennis du coin.
Tu crois pas qu’il se faisait un plaisir de se taper une vieille pute comme toi ? »
Elisabeth resta pétrifiée et immobile sentant dans toute sa personne une insidieuse angoisse qui la tirait vers la folie. Que disait cette fille, cette jeune femme vulgaire et méchante comme une teigne. Ce n’était pas possible, pas Johnny, pas lui. Elle tombait des nues, perdait le moindre espoir de se retrouver libre.
Un contrat, deux millions, la tuer.
Tout cela tourbillonnait dans sa cervelle et elle n’arrivait plus à fixer une certitude, une évidence à laquelle elle aurait put se raccrocher. Tout son univers s’écroulait. Des pans entiers de sa vie partaient en lambeaux devant l’assurance tranquille de cette petite garce.
« Ah ! Elle est étonnée la vieille peau. Elle l’aime le petit prof de son cœur. Il en a marre de toi, de tes simagrées, de ton fric. Tu pues le flouze. Il préfère les petits culs comme le mien. Regarde-moi bien vielle garce, on va te crever. On sera riches, ton jojo aussi et toi tu seras morte, oubliée à jamais. »
Florence déversait sa haine, toutes ses misères, tous ses errements sur cette rivale. Elle lui imputait tout sans rien omettre, libérant son trop plein d’exécration pour pouvoir assurer jusqu’à son terme cette opération et la justifier. Elle était trop riche et elle trop pauvre.
Elisabeth tenta de mettre ses propos en doute.
Johnny ne ferait pas cela, il en était incapable, pas lui.
Rien n’y faisait, l’accident manqué, son indifférence parfois, sa jeunesse et sa beauté ne plaidaient plus en sa faveur. Elle revoyait défiler le film de sa vie depuis sa rencontre avec lui, les infidélités, les moments heureux, des instants surtout sexuels pour elle, un peu pour lui.
Que savait-elle de ses sentiments réels?
Qu’avait-elle compris ?
La porte se referma sur sa solitude et son anxiété. Heureusement, la lumière s’alluma et éclaira le lieu où elle se trouvait. Elle découvrit qu’elle était dans un endroit curieux, la pièce était rectangulaire et entièrement métallique. En somme, elle était cloîtrée dans un entrepôt frigorifique.
Un néon éclairait l’ensemble qui faisait deux mètres de haut et de large sur quatre mètres de profondeur. Elle reposait sur une couverture sale. Néanmoins, elle se jeta sur la carafe d’eau mise à sa disposition et mangea la pizza qu’on avait posée par terre. Elle avait encore faim et sommeil. Une douce torpeur s’emparait de toute sa personne et elle s’abandonna ainsi pour éviter de sombrer dans une dépression suicidaire dans cet endroit.
Une horrible douleur traversa sa main gauche, se propagea dans le bras et parvint à son cerveau. Un cri déchirant et rauque interrompit son rêve. C’est elle qui hurlait ainsi comme une bête qu’on égorge.
Elle se réveilla brusquement. Un coup d’œil lui apprit que sa main saignait abondamment. Un homme lui tenait le bras, un autre tenait son annulaire d’une main et brandissait un hachoir ensanglanté de l’autre. Cette vision lui arracha un cri d’horreur et d’épouvante. Elle pensa qu’elle rêvait, un cauchemar, c’était un mauvais rêve. Hélas non, elle regardait cet homme qui avait relâché sa main ensanglantée.
C’est fini, lui avait dit la voix qui semblait la plus humaine, celle de l’homme grand et fort. L’autre passait le doigt dans de l’eau oxygénée puis l’emprisonna dans une grande boite d’allumettes cartonnée, insensible à ses cris et à sa douleur. Il se leva et rejoignit la jeune femme qui regardait la scène sur le seuil de la porte.
Florence crut bon de signaler :
« C’est un petit présent pour ton mari. »
Ils disparurent tous deux.
L’autre homme entreprit de lui nettoyer la main avec le restant d’eau oxygénée, puis il lui fit un pansement sommaire autour de sa paume. Il lui donna une bouteille de J & B à moitié entamée ainsi qu’un seau en plastique pour ses besoins. Il se leva en lui disant qu’il repasserait plus tard. Le silence oppressant de l’endroit lui pesait lourdement. Elle le pria de rester avec elle. Elle avait peur ainsi seule dans cet endroit si froid. Elle lui enjoignit une supplique charitable :
« Monsieur s’il vous plaît, je vous en prie, je vous en supplie, je vous donnerai ce que vous voudrez, aidez-moi. »
La voix répondit sèchement :
« Je fais ce que je peux et ce n’est pas facile, je ne peux faire plus, je regrette, je vous laisse la lumière. »
Elle se retrouva une fois de plus seule et abandonnée. La peur la reprit avec son sortilège d’angoisses et de lendemains hypothétiques. La douleur la lançait horriblement. Elle attaqua la bouteille en buvant au goulot de grandes rasades qui la calmèrent et l’amenèrent à un sommeil dépourvu de tout rêve. Son cauchemar s’imprimait dans tout son cerveau avec une cruauté incalculable. L’avenir était rempli d’une peur invisible qui la gagnait peu à peu. Elle en était certaine à cette heure. Johnny voulait sa mort. Cette pensée la plongea dans une accablante détresse sans fin et sans issue.
*
Johnny mangeait peu. Des remords insoupçonnés résonnaient dans toute sa tête. Il n’aurait jamais cru cela possible. Il regrettait mais c’était trop tard, alors il assumait pour sauver sa vie ou ce qui pouvait l’être. Il se forçait à envisager l’avenir serein et dénué de tout obstacle. Il l’espérait à y croire démesurément. C’était la seule façon d’éliminer les nombreux doutes qui l’assaillaient de toutes parts.
Douglas repartit chez lui où l’attendait le responsable du FBI, un lieutenant nommé Lewis Mitchell. Hélas, l’enquête ne progressait pas du tout. M. Parker restait à la maison et aucun individu ne l’avait abordé. Elisabeth Parker était introuvable, peut-être déjà morte, avec les ravisseurs on ne savait jamais. Ils préfèrent parfois se débarrasser immédiatement de leurs victimes pour avoir les mains libres. Il était très pessimiste.
Douglas était désorienté par l’attitude de Johnny. Avant, il aurait été certain qu’il était impliqué dans ce coup diabolique. Mais à ce jour, il ne savait plus, il doutait. Malheureusement, il ne voyait guère d’issue heureuse pour sa cliente.
Johnny reprit une bouteille pour apprivoiser un sommeil lourd et bienfaisant. Il avait envie de fuir cette maison, de décamper au loin et de chasser cette chape de plomb qui tombait sur ses épaules.
Il somnolait voyant Babeth qui lui souriait avec un ventre gros et rond qui affirmait sa maternité bienheureuse. Il s’endormit avec un sourire béat sur le visage. Il savait que cette image ne se réaliserait jamais.
Le lendemain s’annonçait dramatique. Tout le monde en était conscient :
Johnny, Douglas et le FBI dont Johnny ne soupçonnait pas l’existence, tant ils étaient discrets. Tout le monde attendait le cadeau qu’avaient promis les ravisseurs. Les agents fédéraux surveillaient toutes les allées et venues autour de la propriété. Il n’y avait rien dans le courrier qu’avait reçu Johnny.
C’est alors que la banque l’appela.
Ils avaient réceptionné un paquet à son nom.
Pouvait-il passer à l’établissement pour qu’on lui remette ? Il partit en quatrième vitesse vers la banque. Le directeur l’attendait avec Douglas. Au milieu du bureau trônait un petit paquet soigneusement emballé. Les regards des trois hommes étaient rivés sur ce colis. Johnny n’osait l’ouvrir. Il finit par le prendre sous le regard interrogateur du directeur de l’établissement. Il demanda une pièce pour lui et Douglas. Ils allèrent par derrière dans une salle de réunion. Ils s’assirent tous les deux, l’un en face de l’autre. Johnny pria le conseiller d’ouvrir l’objet. Douglas tremblait. Il craignait je ne sais quoi, mais une chose était sûre, une catastrophe approchait. Une fois le papier défait, une boite cartonnée apparut. C’était une grande boite d’allumettes. Tremblotant, Douglas entreprit de l’ouvrir. Lorsqu’il aperçut ce qu’elle contenait, il lâcha l’objet qui se renversa et Johnny put voir le petit doigt de sa femme entouré par son alliance. Il s’effondra et se prit la tête dans les mains. Il leur fallut de longues minutes pour se reprendre tous deux. Douglas avait été vomir aux toilettes. Il détestait la vue du sang, il avait failli perdre connaissance. Johnny remit comme il put le doigt dans la boite, la boite dans sa poche et apostropha Douglas :
« Il nous faut l’argent pour demain au plus tard, sinon elle est morte. »
Douglas ne sut que répondre. Johnny avait raison. Ils allèrent voir le directeur. Une heure plus tard, ils partirent. La somme serait prête dans l’après-midi du lendemain. Johnny prit la route de la propriété. Les ravisseurs n’allaient pas tarder à se manifester. Il fallait être prêt à les affronter de nouveau, un peu d’alcool l’aiderait.
Douglas retourna à son bureau voir l’officier du FBI et le mettre au courant. L’officier grimaçait, ce n’était pas bon signe.
Ils n’avaient peur de rien. Il fallait payer. Ils allaient tenter de les pincer à la remise de la rançon sans risquer la vie de Mme Parker.
Douglas rejoignit Johnny à la propriété attendre le nouvel appel téléphonique. Celui-ci eut lieu à vingt et une heures. Ce fut une longue torture de patienter jusque-là pour les deux hommes. Ils ne se parlaient pas. Douglas restait assis profondément enfoncé dans un fauteuil de cuir immensément grand. Johnny arpentait la pièce nerveusement, parfois il s’asseyait à califourchon sur une chaise ou sur un bras du canapé. Il buvait beaucoup, trop, pensait le conseiller. Pour tuer le temps, il l’observait, l’étudiait car il voulait savoir si Johnny était bien à l’origine de cet enlèvement. Rien ne le laissait supposer pendant cette attente interminable. Ils s’étaient même assoupis lorsque la sonnerie diabolique avait rompu le silence réconfortant du salon.
La voix bien connue lui demanda s’il avait reçu le cadeau.
Johnny hurla :
« Oui, mais je vous en supplie, cessez ce calvaire. Je vous accorderai ce que vous voulez mais ne lui faites aucun mal. »
La voix le coupa sèchement :
« Bon, l’argent est prêt ?
« Oui, presque. On l’aura demain, dans l’après midi.
A quelle heure ?
Environ seize ou dix-sept heures. »
Bien, je vous rappelle demain à seize heures. »
Les bips résonnaient maintenant dans le salon et rythmaient les battements du pouls de Douglas et de Johnny. C’est la seule et unique fois que ce phénomène se produisit. A présent les dés étaient jetés. Johnny pensait qu’il ne reverrait plus sa femme. Elle était peut-être déjà morte. Les heures allaient s’écouler lentement, l’alcool l’aida à ne plus les voir défiler seul dans son lit.
Douglas repartit à son bureau, le FBI l’attendait. On n’avait pas eu le temps de localiser l’appel, trop court. Le lieutenant Lewis Mitchell était désolé. Douglas se mordit les lèvres. Il regrettait presque ce fameux conseil si ce n’est qu’il dégageait entièrement sa responsabilité.
La tension montait et se propageait comme un feu follet. On n’osait parler de peur qu’un malheur tant redouté ne s’abatte comme un éclair sur cette luxueuse et méritante petite communauté si heureuse jusque-là.
Encore une nuit pensèrent-ils au même moment. Le dénouement était proche et terriblement redouté.
La nuit passa lentement pour tout le monde et le sommeil fut difficile à trouver.
Johnny tournait et retournait dans son grand lit. Il se repassait le film de sa vie : le tennis, ses parents, sa pauvreté, ses rencontres, sa tante, le sexe, les femmes et Babeth, son épouse, la riche et belle Madame Bernstein, son hypocrisie, sa solitude, sa peur de la misère. A chaque mouvement, une autre scène renvoyait devant ses yeux grands ouverts les événements majeurs de son existence avec toujours en arrière-plan Elisabeth pleurant dans le noir et le suppliant de lui laisser la vie sauve pour l’aimer davantage.
Un rictus déformait son visage car il pensait qu’il avait bien fait.
Quant à Douglas, il passa la nuit à scruter désespérément tous les événements de ces derniers mois. L’inquiétude de Johnny l’innocentait mais l’accident, le testament, ses infidélités, sa vie dissolue ancraient dans son cerveau une certitude mortelle qui le faisait frissonner et condamnait son épouse. Le corps sans vie de sa cliente se reflétait devant ses yeux et le glaçait d’effroi.
Elisabeth ne pouvait dormir, sa main la lançait horriblement, le sang avait cessé de couler mais la douleur était intolérable. Une autre ne cessait de la torturer dans toute sa personne. Son mari, son amant, l’homme de sa vie. C’est lui qui était à l’origine de cet enlèvement. Toute l’affection et tout l’amour qu’elle n’avait cessé de lui porter s’écroulaient. Elle ne voyait plus qu’une belle petite ordure qui ne désirait que sa fortune. Elle pleurait à chaudes larmes sur ses certitudes qui disparaissaient dans cet horrible endroit. La lumière la blessait et projetait des ombres inquiétantes et terribles sur ses yeux embués. Johnny voulait la tuer. Il désirait sa mort, sa disparition alors qu’elle voulait lui donner un enfant, un enfant de l’amour, un petit ange. Elle était mariée à un monstre, une personne cupide, basse et cynique. Elle revoyait l’accident de voiture et était certaine à cette heure qu’il l’avait provoqué sciemment. La douleur lancinante de son doigt perdu revenait au rythme de son pouls, ses larmes tombaient parfois et se mélangeaient à son sang épais et lourd. Elle n’avait pas mangé, elle buvait un peu par intermittence pour chasser ces mauvais rêves, ce cauchemar absurde.
La lumière était trop vive, trop blanche. Elle renvoyait son malheur sur ces parois métalliques comme un miroir sans fin. Elle se devait de fixer pour l’éternité les derniers instant de sa vie. Sa main gauche la faisait souffrir terriblement. Elle le devait pour elle et pour Johnny. Elle mordit ses lèvres, pria un peu pour trouver la force qui s’éloignait d’elle d’heure en heure et retrouva pour quelque temps un certain courage.
*
Le téléphone sonna à quinze heures trente. La même voix :
« Bon, l’argent est prêt ?
Il le sera dans un peu plus d’une heure.
C’est bon, mettez le pognon dans un sac en toile et portez le dès que possible à l’ancienne mine de Goldtrees. Il y aura une corde accrochée à la grille. Attachez le sac très solidement et laissez glisser la corde dans le trou, puis foutez le camp. Votre femme sera relâchée dans la nuit si le compte est bon, adieu. »
Si court et terriblement efficace. Johnny posa le combiné machinalement, regarda Douglas, lui fit un signe et ils s’en allèrent pour rejoindre la banque.
Après le coup de fil, le lieutenant du FBI expliqua aux autorités convoquées expressément les deux choix qui prévalaient en précisant que les bandits leur laissaient peu de temps :
Soit les laisser prendre la rançon et tenter de les suivre pour les arrêter avant qu’ils n’exécutent l’otage avec le risque de se faire repérer et les suites désastreuses pour Mme Parker.
Soit les arrêter et les faire avouer pour tenter de la libérer avant qu’un quelconque complice ne l’exécute par dépit.
Le maire et l’attorney général choisirent la première solution : tenter de les suivre pour localiser la cachette sans mettre en péril la vie de la victime.
Tous les hommes du FBI détaillaient la carte où se situait la fameuse mine. Quatre fédéraux étaient partis immédiatement pour se cacher aux alentours. Ils étaient remontés vers la mine en passant par les bois environnants.
Pour n’éveiller aucun soupçon, ils étaient habillés en civil.
Johnny et Douglas avaient rejoint l’établissement financier juste après le coup de fil. Ils attendaient impatiemment que la somme soit prête. Ce fut chose faite à dix-sept heures. Les liasses de billets furent mises dans un grand sac en toile acheté pour l’occasion. Johnny jeta le sac sur la banquette arrière et partit avec Douglas à ses côtés en direction de la mine. Elle était située à l’Ouest près d’une forêt et de la départementale 42. Ils avaient juste eu le temps de la trouver sur la carte et de repérer l’itinéraire. Douglas indiquait la route à Johnny qui conduisait docilement. Ils avaient atteint la forêt et roulaient lentement cherchant une route sur le côté gauche. Ils trouvèrent une vieille chaussée mal nettoyée, envahie d’arbustes et de branches. Au bout d’un kilomètre, ils stoppèrent devant une clairière fermée par un grillage très haut. Une grande porte barrait le passage, fermée par une chaîne rouillée et cadenassée. Douglas cherchait des yeux les fédéraux qui devaient cerner l’endroit de toutes parts. Il ne les aperçut pas mais il savait qu’ils étaient présents car ils avaient enregistré toutes les communications téléphoniques de Johnny et connaissaient donc le lieu de l’échange. Johnny vit que le cadenas n’était pas fermé. Il ôta la chaîne et ouvrit un des battants qui grinça parmi les milles silences du bois environnant. Il alla chercher le sac et entra dans la cour.
L’endroit était abandonné depuis fort longtemps. Les cabanes qui abritaient les bureaux et les vestiaires des mineurs étaient entourées d’herbes folles et d’arbustes. Des carreaux étaient brisés, des pierres jonchaient ça et là le sol recouvert de nombreux détritus. Il trouva la corde neuve qui trônait près de l’entrée de la mine. Elle était accrochée à la grille qui clôturait le trou. On apercevait les structures métalliques rouillées du temps où un ascenseur embarquait les ouvriers pour les descendre au boyau. Il attacha le sac solidement. Une trouée récemment faite permettait de le faire glisser dans la cavité béante. La corde devait mesurer une quinzaine de mètres. Arrivé au bout, il jeta un coup d’œil, on n’apercevait rien. Le sort en était jeté, il rebroussa chemin, referma le battant avec le même grincement qui résonna et fit s’envoler quelques corbeaux. Sombre présage ! Leurs noires arabesques dessinaient dans le ciel d’inquiétantes perspectives. La voiture fit demi-tour violemment. Johnny était pressé d’abandonner Florence et ses complices à leur sort.
Il avait été fort étonné de cet endroit qui ressemblait à une voie sans issue. Il y avait une végétation importante qui pouvait les dissimuler aux flics.
Mais comment allaient-ils faire pour récupérer cet argent au milieu d’un trou ?
Puis se barrer au nez des fédés sans se faire prendre ?
Elle lui avait dit et répété que son frère avait une idée géniale. Elle avait intérêt car il se doutait, sans lui en avoir parlé, que Douglas aurait averti la police. Il les sentait dans le coin. Pourtant, il ne les avait pas vus, ni même aperçus. Mais c’est en regardant son passager négligemment qu’il l’avait surpris à scruter les buissons, les nombreuses cachettes environnantes et les arbres. Rien ne laissait supposer une quelconque présence humaine dans les environs. Cependant, ils étaient tous là et allaient jouer pour de bon aux gendarmes et aux voleurs.
Mitchell n’aimait pas agir à la dernière minute. Il détestait cela. Tout en regardant sa montre, il dit :
« On va progressivement mettre un dispositif plus important autour de la mine. Etudiez minutieusement l’environnement, cherchez les failles par lesquelles pourraient passer les malfaiteurs. »
On déplia une carte, l’endroit était situé près d’un bois. Un lotissement se nichait à un kilomètre dans la plaine. Difficile de les suivre sans se faire remarquer. On devait se résoudre à les arrêter et à les faire parler au plus vite pour leur faire avouer l’endroit où ils détenaient cette femme, puis tenter de la délivrer très rapidement. Le lieutenant ne cacha pas à ses hommes ainsi qu’à l’attorney et au shérif local qu’il n’était guère optimiste.
« Je sens un coup fourré mais je ne sais dire lequel. Ils sont malins, très malins, ils ont une longueur d’avance. Il énuméra ses interrogations :
Primo, c’est un endroit bizarre, une ancienne mine.
Très isolé, on se fait immanquablement repéré quand on s’approche si l’endroit est sous surveillance.
Deusio, un sac qui se balance au bout d’une corde dans le vide.
Il faut pouvoir le récupérer, pas facile !
Tercio, ils peuvent se sauver par les bois, mais ils seront à pied.
Une seule route pour se barrer en bagnole, deux issues possibles avec le risque de barrage aux deux bouts.
Curieux comme stratégie, il y a un vice. »
Toutes les personnes autour du lieutenant pesaient les interrogations de cet homme qui tentait de comprendre comment allaient procéder les malfrats. Aucun ne voyait d’issue heureuse à cette affaire crapuleuse.
Lewis reprit :
« On peut espérer qu’ils la libèrent une fois la rançon obtenue mais je n’y crois pas. Leur meilleure sécurité c’est de l’éliminer. Sans témoins pour les identifier, on ne peut espérer qu’une maladresse future pour les confondre. »
Néanmoins, il ferait tout son possible. Il l’assura aux différentes autorités présentes. Le temps pressait, il fallait partir vite. Mais surtout, il fallait ne pas ébruiter l’affaire toujours classée confidentielle.
Les fédéraux mettaient au point leur dispositif : deux voitures banalisées à chaque extrémité de la route départementale qui menait à la mine avec deux hommes à bord prêts à faire un barrage.
Il n’y avait qu’une seule entrée, donc une seule sortie. Il ne croyait pas qu’on puisse les suivre dans cet environnement sans se faire repérer. On pouvait essayer, mais au moindre faux pas, il faudrait les arrêter aussi sec. Surtout, répéta-t-il :
« Il faut absolument repérer la personne qui les observe de loin et qui supervise l’opération. Je pense que c’est elle qui détient les clefs de l’intervention. Si on la repère, on se jette dessus, on l’empêche de prévenir ses complices qui détiennent Mme Parker que l’opération a échouée et qu’ils doivent l’exécuter. Ensuite, il faut les faire avouer le plus rapidement possible sinon au bout d’un certain temps, ils la tueront et s’évanouiront dans la nature. »
Lewis Mitchell surveillait la mine à la jumelle. Il avait trouvé un point d’observation idéal en haut du clocher de l’église. Des arbres lui cachaient certaines parties mais il pouvait apercevoir l’entrée et c’était le principal. Ses hommes, tapis dans les fourrés, ne bougeaient pas. Ils surveillaient sans relâche le trou par lequel le sac contenant la rançon était accroché.
Quel drôle de lieu pensait-il ?
Désert, loin de tout, difficile de s’échapper une fois le sac récupéré. Il n’y avait pas d’autre issue que ce trou ceint d’une grille infranchissable. Il donnait sur les différentes tranchées de cette ancienne mine d’or fermée depuis une quinzaine d’années. Le filon s’était tari. On accédait aux galeries par cette entrée circulaire de quatre mètres de diamètre. Il avait contrôlé tout cela maintes fois avec les différents services de la ville.
Une seule entrée, une seule sortie.
Il avait décidé de les arrêter et de les forcer à confesser le lieu où cette femme était détenue pour essayer de la récupérer saine et sauve. On ne pouvait les suivre sans se faire irrémédiablement remarquer, il n’avait pas le choix. L’attente commençait, elle allait être longue. On s’emmitoufla dans des anoraks chauds et chacun se mit en réserve pour la lente traque qui se préparait. Il y avait les quatre hommes partis en premier plus six autres qui étaient plus loin cachés à proximité de sentiers qui menaient à Goldtrees. Tous cachés tout autour surveillaient comme un bien très précieux l’arrivée de quelque humain.
Le temps s’écoula, le soleil déclina et l’obscurité s’abattit sur le bois, ses occupants et sur la mine.
La nuit amena son cortège d’ombres et de lumières ainsi que tous les bruits de la nature environnante. Les hommes cachés sursautaient au moindre bruit, au vent dans les branches, au cri d’un quelconque oiseau. Un bruissement de serpent ou de mammifère les faisait frémir. La nuit se passa ainsi. Ils luttaient contre le sommeil et ces bruits à demi étouffés étaient pires que le silence et l’absence d’action. La lune éclairait la mine par intermittence comme pour souligner que ce lieu n’était qu’une banale clairière abandonnée par les hommes avides de richesse.
*
L’aube se leva sur la clairière faisant rejaillir la vie dans la forêt. Les différents bruits étaient confus et se mêlaient les uns aux autres. Le soleil levant tira le lieutenant Mitchell et ses hommes de leur torpeur. Personne n’était venu chercher la rançon.
C’était bizarre.
Mitchell pensait qu’il y avait un vice. Il ne savait que faire, que penser. Il se résolut à patienter encore un peu. En attendant, il demanda qu’on ratisse discrètement toute la forêt à moins de cent mètres de la mine.
Les Fédéraux se mirent au travail.
Johnny n’avait pas fermé l’œil de la nuit pensant sans cesse à Babeth et au bonheur qu’elle lui avait offert durant ces années.
Comment avait-il put en arriver là ?
Il regrettait amèrement ce contrat stupide passé avec cette petite pute. Il ne l’avait jamais réellement prise au sérieux et pourtant le mal était fait.
Il scrutait tous les bruits de la maison attendant la sonnerie fatidique où une voix impersonnelle lui annoncerait le décès de sa femme. Il savait qu’il pleurerait, peut-être plus sur lui que sur elle, mais il sangloterait comme l’adolescent qu’il ne serait jamais plus.
Douglas passa toute la nuit à attendre des nouvelles du FBI à son domicile. S’énervant devant le silence grandissant de son bureau, il regardait parfois la ville endormie tout autour. Quelque part, dans un coin, Elisabeth endurait mille tortures, elle souffrait comme une bête. Il ne pouvait s’empêcher de penser à son doigt coupé et un écœurement nauséabond le reprenait avec un haut le cœur. Seul l’alcool le calmait car il n’était pas habitué à ce genre de breuvage. Après quelques verres, il s’endormit dans son grand fauteuil en cuir presque apaisé.
Il était cinq heures du matin.
A huit heures, n’y tenant plus, les recherches n’ayant rien donné, Mitchell descendit du clocher et marcha sur la route qui menait à l’ancienne mine. Il n’y avait décidément personne dans les environs. Ses hommes avaient battu le bois environnant pendant une heure, aucun être humain ne peuplait l’endroit. Il se dirigea vers la porte, l’ouvrit et marcha directement, à regrets, vers la trouée dans le fil de fer.
Il soupesa la corde. On sentait un poids suspendu. La rançon semblait encore attendre son destinataire. Le doute l’assaillait de toutes parts.
Que faire ?
Devait-il patienter un peu plus ou vérifier que les deux millions étaient encore suspendus au bout de cette corde ?
De toute façon, si les ravisseurs les avaient vu lui et ses hommes, il était déjà trop tard, alors.
Un bref regard vers ses hommes lui apprit qu’ils n’y croyaient plus. Ils ne se dissimulaient plus. Ils sortaient les uns après les autres de leurs cachettes. Il tira lentement le sac vers lui. Il venait de le hisser sur le sol et le regardait fixement. Il fallait l’ouvrir.
De deux choses l’une :
Soit les billets n’y étaient plus et les malfrats se cachaient dans la mine attendant le moment propice pour se sauver.
Soit les deux millions y étaient encore et des hommes étaient quelque part dans cette forêt à les observer et l’otage allait mourir par sa maladresse et son impatience.
Il tira la fermeture éclair d’un coup sec, se releva de toute sa hauteur, des cailloux peuplaient le sac, il n’y avait plus de rançon. Un éclair d’incrédulité passa dans ses yeux puis une certitude.
Ils étaient encore dans la mine, vite on allait les prendre.
Il fit un signe à sa troupe et ils rappliquèrent tous. Par radio, il ordonna qu’on cerne le coin avec l’aide de la police locale et qu’on fasse venir du renfort. Le black-out était levé, il fallait de l’aide pour les arrêter au plus vite.
Ils étaient maintenant autour du trou attendant et guettant le moindre bruit qui eut trahi les bandits. En moins d’une heure des barrages furent installés dans tous les endroits susceptibles de fuite. La forêt était passée au peigne fin par la police locale. Mitchell ne savait comment descendre dans la mine. On amena des cordes, des échelles et un treuil. Un homme se porta volontaire et on le descendit lentement dans la cavité profonde et noire. Armé d’un porte voix, il somma les ravisseurs de se rendre, ils étaient cernés, ne pouvaient s’échapper. Seul un écho résonna pour toute réponse.
Une foule de personnes se pressait maintenant autour de la mine.
Des journalistes, la télévision locale, des policiers, de la troupe en arme et une foule de curieux comme c’était à chaque fois le cas. A dix heures, on ordonna l’assaut. Des troupes d’élite arrivées depuis peu pour l’occasion descendirent en rappel pour fouiller les boyaux de l’ancienne mine d’or. La tension était à son comble. Tout le monde s’attendait à ce qu’une bataille éclate.
Soudain, un homme demanda à remonter.
On ne savait pourquoi, l’angoisse et la peur s’insinuaient dans tous les esprits.
Des rumeurs parcouraient la foule de curieux:
Il avait trouvé un corps, des cadavres, une sortie, la rançon.
Une fois hissé en haut, le lieutenant alla vers lui. L’homme harnaché comme un commando et dont on n’apercevait les traits lui déclara simplement :
« Lieutenant, on a trouvé une autre sortie. »
L’homme expérimenté du FBI resta sans voix et interloqué. Il ne voulait pas y croire. Il s’était fait baiser comme un bleu.
Il répondit éberlué :
« Quoi, une autre sortie !
C’est impossible, c’est la seule et unique. Nous avons vérifié sur les plans à la mairie et au comté sur les registres officiels du cadastre. »
L’homme comprit le désarroi de l’officier et répéta simplement :
« Je suis désolé lieutenant, mais il y en a une autre, venez avec moi. »
Ils descendirent treuillés jusqu’à la galerie principale située à environ dix mètres en dessous et s’engagèrent vers le fond. Ils parcoururent ainsi plus d’un kilomètre. La galerie était très large, très bien étayée avec des suintements d’humidité par endroit. C’est ici que le filon était le plus important. Des galeries partaient perpendiculairement, puis le boyau se rétrécit considérablement. Des hommes parsemaient de ci de là le passage et éclairaient avec leurs lampes leur venue. Ils parvinrent à un petit boyau d’à peine un mètre cinquante. Ils se suivaient l’un derrière l’autre à demi baissés, s’éclairant avec des lampes électriques. L’eau suintait de partout. On avait l’impression que la galerie allait s’effondrer sur elle-même. Il fallut se baisser de nouveau. Puis le boyau tourna à droite d’environ quarante-cinq degrés et une clarté infime apparut au loin ; encore trois cent mètres et ils arrivèrent à un cul de sac sauf que pendait une échelle de corde qui se balançait mollement. Deux hommes armés gardaient l’endroit. En levant la tête on apercevait un petit bout de ciel bleu. Mitchell attaqua l’échelle de corde humide et dix minutes plus tard surgissait au milieu de la forêt. Pendant son parcours, il avait pu découvrir un puits bien étayé et jalonné de mains courantes pour pouvoir faire des haltes lors de l’ascension. En haut, il avait dégagé quelques grosses planches vermoulues récemment sciées et des arbustes qui cachaient l’entrée d’un puits bétonné sur plusieurs mètres. Il aida son compagnon à se hisser vers lui. Ils débouchèrent au milieu des bois. Ils entendirent des bruits. Un ancien chemin forestier se dessinait entre la végétation dense et quelques centaines de mètres plus loin, ils débouchèrent sur la route départementale qui menait à la mine.
La foule les regardait avec hallucination comme s’ils venaient d’un autre monde, semblant ne pas comprendre qu’ils soient entrés par l’accès principal et qu’ils revenaient par ce chemin encombré d’une foule avide de curiosité. Mitchell ne bronchait pas, accablé par le sort. Il se maudissait d’avoir fait confiance à ces péquenots, une seule entrée, une seule sortie. Ces gens-là étaient malins, plus rusés que ces connards qui avaient dû oublier ce puits qui sortait de nul part. Il s’était bien fait avoir.
Maintenant, il n’y avait plus à espérer qu’ils libèrent saine et sauve madame Parker.
*
C’est James, le frère de Florence, qui décidait de tout au sein du petit groupe. Le téléphone raccroché, il partit avec Archie immédiatement vers la mine. Florence conduisait la voiture. Elle les laissa à l’entrée du chemin et repartit vers la ville. Sur la route, elle croisa deux voitures remplis d’hommes :
Le FBI rapplique pensa-t-elle.
Leur plan marchait remarquablement jusque-là. Mais elle croisa les doigts, on ne sait jamais, la chance, ça va, ça vient.
James et Archie arrivèrent au puits et dégagèrent l’entrée tout en prenant soin de dissimuler les traces de leur passage. Ils descendirent à l’échelle de corde qu’ils avaient fixée deux jours auparavant. Puis, allumant leur lampe, ils se dirigèrent vers le puits de lumière de la galerie. Arrivés près du trou béant inondé de clarté, ils s’installèrent attendant que deux millions de dollars viennent vers eux. Ils se regardaient sans dire un mot. La mine était peuplée de mille bruits d’eau qui ruisselait autour d’eux. James se rappelait son enfance près d’ici, le travail de son père, les jeux avec ses copains d’alors, à l’intérieur et autour de cet endroit. Il se disait qu’avec un peu de chance, dans peu de temps, il serait riche comme jamais il n’aurait pu l’imaginer, même dans ses rêves les plus fous. Archie tendait l’oreille et tentait de surprendre les bruits extérieurs annonciateurs de la grande nouvelle.
Deux heures après, ils distinguèrent un bruit de moteur, puis un grincement. C’était le battant qui venait de s’ouvrir. L’instant suivant, un sac se balançait en tournoyant. Ils le saisirent doucement et l’amenèrent sur le sol. Pendant que l’un sortait les liasses, l’autre posait quelques cailloux pour remettre du poids afin que la corde reste tendue. Ils se jetaient des regards d’une joie communicative et étrangement muette. En moins de cinq minutes, les deux millions de dollars avaient changé de mains. Ils se partagèrent l’argent qu’ils mirent dans des sacs à dos, puis descendirent le sac tout doucement dans le vide. Ils rebroussèrent chemin, remontèrent par l’échelle en faisant quelques haltes de précaution pour observer la sortie. James risqua une tête par sécurité. Il n’y avait personne. Il sortit aisément guettant le moindre bruit, la plus petite présence policière. Ils étaient relativement près et si profondément cachés de la route qu’on ne pouvait les apercevoir. La mine n’était qu’à quelques centaines de mètres de l’autre côté de la départementale. Il aida Archie à sortir puis ils s’enfoncèrent dans les bois en sens contraire d’où ils venaient. Une heure plus tard, ils débouchèrent sur une petite route secondaire qui serpentait entre ce bois et des champs. Ils marchaient à couvert à l’affût des rares voitures qui passaient. Ils reconnurent celle de Florence. Elle était seule sur la chaussée. Ils sortirent devant elle. Elle stoppa immédiatement. Ils montèrent sans dire un mot mais leur sourire en disait long. Elle fit demi-tour rapidement et se dirigea vers l’endroit où ils se cachaient.
Ils étaient tous muets savourant la somme fabuleuse qui était en leur possession. Une joie invisible se glissait dans l’auto. Les jeunes gens à l’intérieur dégageaient un tel bonheur qu’ils se mirent à chanter comme au temps de leur adolescence.
Leurs rêves allaient enfin se réaliser.
Elisabeth s’était finalement endormie complètement ivre. La seule et unique façon de fuir cette effrayante constatation que l’homme qu’elle aimait, son époux, avait planifié sa disparition.
Elle trinqua plusieurs fois à son erreur, à ses amours, à ses rêves. Elle avait fait un drôle de songe l’ex miss Oklahoma en croyant avoir découvert l’amour dans les bras d’un dieu grec, d’un apollon un peu trop voyou, une belle canaille. Elle allait le payer cher. Excessivement élevé le prix de l’infortune ! Pour onze millions de dollars, il sacrifiait son âme. Elle pria un court instant Dieu pour qu’il lui donne la force de ne point sombrer dans cette folie meurtrière et dévastatrice où la haine submergeait le moindre sentiment. Elle s’en voulait un peu d’avoir été à la base de cette pensée criminelle. Une dernière gorgée et l’engourdissement s’empara de son âme. Elle songea une dernière fois. Mon Dieu, faites qu’ils me tuent pendant mon sommeil !
Elle détestait souffrir.
Johnny apprit par Maria que toute la ville était au courant du rapt de madame. La nouvelle était officielle. La radio locale en parlait, toute la presse était à l’ancienne mine. Il avait passé une sale nuit, une de plus. Buvant, dormant un peu, se réveillant brutalement avec l’image de son épouse ensanglantée qui lui pointait un doigt vengeur en le désignant comme son assassin. Parfois, le visage de Florence, si beau et si enfantin, lui parvenait rempli de pleurs au moment où il s’asseyait sur la chaise électrique. Il était saisi d’effroi et paralysé par les scènes terrifiantes que projetait son cerveau. L’alcool seul le plongeait dans une léthargie bienfaitrice mais trop courte. La boite d’allumettes posée sur sa table de nuit émettait des ondes maléfiques mais il n’osait la jeter. De temps à autre, il lui semblait entendre gratter le carton avec l’ongle du doigt coupé. Il en frémissait de peur et une frayeur mortelle et froide envahissait tous ses membres. Il était déjà devant la porte de l’enfer. Une fois son épouse morte, il pousserait définitivement l’entrée pour aller rôtir au bûcher des damnés. La peur panique qui s’emparait de lui était terrible pour sa petite personne. Il n’avait pas encore affronté la police, le corps sans vie de Babeth, le regard suspect de tous ces gens, de tous ces riches qui n’avaient rien fait pour mériter cette fortune qu’ils étalaient de manière si ostensible. Il tremblait surtout pour lui et un peu pour sa femme, pensait-il. En tout cas, cela calmait sa conscience.
Il fallait y aller. Ravalant sa peur, il partit à toute allure vers la mine. Il y avait une foule considérable. Les gens avaient du mal à reconnaître le beau Johnny de cet homme hirsute, sale et mal rasé. Depuis l’enlèvement de Babeth, il n’entretenait plus sa personne. Il dormait tout habillé, se couchant sur le lit défait. Les nuits agitées et l’alcool ajoutaient à sa dérive. Ce n’était plus qu’un zombie. La foule s’écartait devant lui, il n’avait aucun mal à se frayer un passage. Le shérif l’aperçut et vint à sa rencontre. Il le mit au courant de la situation.
Johnny resta stupéfait devant la nouvelle.
Ils avaient réussi. Ils avaient subtilisé la rançon au nez et à la barbe du FBI. Johnny était certain à cette heure qu’Elisabeth allait mourir. Une douleur s’empara de sa poitrine, son cœur se tordait devant l’implacable vérité. Un rictus déforma son visage. Il pensa presque tout haut en levant la tête au ciel :
La petite pute a réussi.
Mitchell les rejoignit lui et le shérif ainsi que le maire et l’attorney. Ils étaient surpris devant le physique pitoyable de celui que certains désignaient comme l’organisateur du rapt. Pour lui, les doutes quant à sa culpabilité étaient bien fondés. En effet, seul le Lieutenant du FBI restait impassible car il en avait vu des comédiens, des superbes acteurs joués à la victime et être les auteurs de scénarios démoniaques et cruels. Il n’aimait pas cet homme, il était trop beau, trop bien de sa personne. Il en faisait trop, c’était louche, bizarre.
Il avoua sa maladresse :
« Une entrée, une sortie alors qu’un deuxième puits existait.
Résultat : ils sont partis avec la rançon et détiennent toujours votre épouse.
Notre seul espoir à cette heure est qu’ils libèrent Madame Parker comme convenu. Désolé, monsieur Parker ! »
C’était rarissime dans ces affaires. Il était très défaitiste. Toutefois, toutes les forces de police du comté étaient sur la brèche et fouillaient toutes les maisons isolées et les cabanes dans les bois. Des barrages sur les routes stoppaient tous les véhicules. La police perquisitionnait tous les hôtels et motels de la région. Tout était mis en oeuvre pour retrouver sa femme dans les plus brefs délais.
Johnny comprit immédiatement qu’Elisabeth ne s’en sortirait pas et qu’il était maudit à jamais, damné mais libéré. Il repartit nonchalamment, marchant d’un pas lent et désorienté vers sa voiture. Il resta un moment à regarder le paysage où se situait sa victoire car à ce jour il était libre. Il respira un peu de cet air pur et démarra quand il vit qu’il était la cible de tous ces gens qu’il méprisait. Les caméras de télévision étaient braquées sur lui, les flash crépitaient, des bras tendaient des micros avec des questions qu’il ne comprenait pas, qu’il n’entendait plus.
Le soleil renvoyait sur son pare brise l’éclat d’une merveilleuse journée dans cette forêt grouillante de vie et d’espoir. La nature est si belle en cette saison. A présent, il fallait oublier ce passage malencontreux par n’importe quel moyen et vivre à fond. Il démarra poursuivi par des journalistes curieux d’interroger M. Johnny Parker, beau, jeune et fabuleusement riche par une dramatique journée d’automne.
Douglas fut réveillé par un grondement sur sa porte d’entrée. Quelqu’un tambourinait avec force. Il était neuf heures trente. Il n’avait pas entendu ce maudit réveil. Il est vrai qu’il s’était endormi tard, si tard. Cinq heures. Il avait attendu des nouvelles du FBI jusqu’à cette heure matinale. Mais qu’est ce que pouvait bien faire ce connard d’officier se demandait-il parfois. Il était perplexe quant à ses capacités à résoudre ce genre d’énigme. Toute la nuit, il avait espéré une conclusion heureuse à cette séquestration. Après tout, deux millions n’étaient pour ainsi dire rien. A ce jour, il estimait la fortune d’Elisabeth à près de treize millions de dollars. Ces derniers mois, les affaires avaient remarquablement bien marché et elle avait fait des profits record. Alors deux millions de moins la ramenait deux, trois ans en arrière. Ce n’était pas un drame. Elle resterait la femme la plus riche du comté.
Il se rappelait les mots du ravisseur, si le compte est bon, cette nuit. Il bondit hors de son lui. Sa tête le lançait et il se rappela son excès d’alcool. Elisabeth avait dû être libérée et on le prévenait. Il descendit, ouvrit précipitamment. C’était son voisin qui l’avertit que sa cliente, madame Parker venait d’être enlevée. La radio et la télévision en parlaient. Il retourna dans son salon et chercha la chaîne d’informations locale qui diffusait des nouvelles sur un enlèvement. Il comprit rapidement que les ravisseurs avaient mis la main sur la rançon mais que sa cliente restait introuvable.
Il appela Johnny. Maria répondit que son patron était parti à la mine de Goldtrees. Douglas voyait maintenant toute l’agitation près de la mine sur son écran, le désarroi des policiers, l’anxiété de la foule présente sur place. Il vit même Johnny face au shérif hagard et désorienté. Sur l’instant, il le plaignit mais les doutes refirent surface sûrement parce qu’il le détestait davantage depuis leur altercation. Toutes les forces du comté étaient à la recherche de sa cliente. Il pensa :
Faites qu’on la retrouve.
Il oubliait de préciser saine et sauve.
*
Les trois jeunes malfrats n’étaient pas d’accord sur le sort d’Elisabeth. Archie était contre son exécution. Il tentait souvent de dissuader ses compagnons. Ils avaient le pognon, ils pouvaient lui laisser la vie sauve. Ils en avaient rien à foutre de cette gonzesse et de son mec. Si la police parvenait à les arrêter, il n’y aurait qu’une charge de prison pour kidnapping, bien entendu, très sévèrement puni, au moins vingt ans de prison. Mais c’était mieux qu’un meurtre, parce que là, c’était la chaise électrique assurée.
« Cela ne vaut pas le coup. », leur lança-t-il.
« Laissons tomber. »
Florence était la plus acharnée pour éliminer l’otage. Elle insistait.
« Un contrat est un contrat, merde. »
Son frère, James, écoutait et se fiait à sa frangine. C’est elle qui avait trouvé le contrat, préparé le scénario, trouvé l’idée de la mine avec sa sortie inconnue des flics. Sa sœur, sa petite frangine était vraiment géniale. Il en était convaincu. Alors, s’il fallait tuer cette pétasse, il le ferait. D’un autre coté, il n’y avait pas photo entre vingt ans et la peine capitale. Archie et lui avaient tâté de la prison à plusieurs reprises et ils connaissaient trop bien ce qu’engendraient la privation de liberté et la violence qui y régnaient. Mais ça valait quand même mieux que de finir grillé comme une saucisse, il en était persuadé. La discussion battait son plein. Florence avança comme argument :
L’otage avait vu leur visage à plusieurs reprises.
« Pas de problème », répliqua Archie.
« Qu’est ce qu’elle a bien pu voir avec le néon si fort après plusieurs heures dans le noir. Elle était tellement éblouie qu’elle ne distinguait que nos silhouettes. Et puis, si on lui laisse la vie sauve, on peut lui demander de décrire d’autres personnes, ça s’est déjà vu, elle le fera, sa vie vaut bien un mensonge. »
Mais Florence trouva l’argument décisif.
« Si on la relâche, elle dénoncera son mari. Il me connaît, il me donnera à son tour et ainsi de suite. On finira tous sur la chaise, chacun son tour. »
Un long silence prédicateur de malheur s’abattit sur le groupe.
C’est Archie qui le rompit le premier :
« Ok, mais ce n’est pas moi qui m’en charge. »
James, sans réfléchir, prononça :
« C’est bon pour moi, je vais la tuer. »
La phrase terrible tomba comme un couperet parmi les trois jeunes gens. Florence frissonna malgré tout. Elle franchissait un cap qu’elle n’aurait pas cru atteindre un jour. Archie secouait la tête toujours pas convaincu. James se versa un grand verre de whisky pour se donner les moyens de réaliser ce qu’il venait d’annoncer.
Elisabeth dormait lorsque des voix la tirèrent laborieusement de cette torpeur alcoolisée.
La porte s’ouvrit et acheva tout à fait de la tirer de sa somnolence. Une grande clarté inonda sa geôle et lui fit fermer les yeux tant elle était intense. Il devait faire un temps magnifique, pensa-t-elle.
Une voix s’écria :
« Cela pue là-dedans et il fait noir. Le néon a dû péter. Je lui avais bien dit de ne pas lui laisser la lumière, cela ne servait à rien. Bon, tant pis, je vais faire avec.
Madame, venez, votre mari a payé, vous êtes libre. »
Elisabeth croyait rêver. Elle se leva lentement, habituant progressivement ses yeux à regarder dans la direction de la voix. Elle n’aimait pas le ton faussement décontracté de celle-ci. Elle reconnut celui qui lui avait sectionné le doigt. Doucement elle se dirigea vers lui. Mille idées défilaient dans sa tête :
Etait ce possible ?
La fille lui avait pourtant affirmé qu’ils allaient la tuer sur ordre de Johnny.
Avait-il changé d’avis ?
Maintes questions se succédaient, l’entouraient d’incertitude et faisaient naître un léger espoir. Arrivée près de la porte, elle stoppa net devant l’attitude de son bourreau.
Il était nonchalamment appuyé sur le côté, la lumière inondait sa silhouette et elle ne pouvait apercevoir ses traits, une ficelle pendait de sa main gauche. Un doute l’assaillit et elle demanda :
« Mais il ne faut pas que je voie votre visage, cachez-vous ou mettez-moi un bandeau.
Venez madame, cela n’a plus d’importance. »
Au ton de sa voix, elle sut immédiatement qu’il allait la tuer. Elle allait mourir là, seule et abandonnée par tous. Des larmes coulaient sur son visage et elle hoquetait doucement. Elle essaya une dernière fois d’infléchir son ravisseur en lui disant :
« Monsieur, je vous en prie, je vous paierai le double. Quatre millions de dollars si vous me laissez m’enfuir, pour vous, rien que pour vous. Je ne dirai rien à la police, je raconterai que vous m’avez sauvé. »
James ne l’écoutait plus, il n’avait prêté qu’une oreille discrète à ses propos. Il entra à l’intérieur du frigo en se dirigeant vers cette femme qui ne lui avait rien fait.
« Venez madame. », répéta t’il d’une voix extraordinairement douce. Elisabeth leva machinalement la tête vers lui dans un réflexe incontrôlé. Elle vit son visage menaçant et dur et ne put s’empêcher de crier. Elle reçut un violent coup de poing dans l’estomac qui stoppa net son hurlement. Elle était allongée sur le côté se tenant le ventre qui lui faisait affreusement mal. Une douleur terrible, lancinante comme si un autre être se débattait de douleur dans sa panse.
Alors, soudainement, comme dans un éclair, elle sut que les doutes qui l’agitaient depuis quelques jours étaient confirmés.
Elle était enceinte !
Elle en était certaine, ses maux de tête, ses vomissements, ses étourdissements et ses règles qui étaient en retard. Elle avait mis cela sur le compte de sa séquestration ainsi que de la peur, des angoisses sur son sort, sa stupeur d’apprendre que Johnny en était l’auteur pour la faire disparaître à tout jamais. Elle ne voulait plus mourir, pas là, plus ici, pas maintenant. Il fallait qu’elle vive pour cet enfant, son enfant. Alors, elle décida de se battre.
James était un vicieux dans la bagarre. Tout petit déjà, les coups qu’il avait pris, il s’était juré de les donner avec plus de force aux autres. Elisabeth n’était qu’une femme, une pauvre créature féminine avec sa foi, son innocence, sa douceur. Elle lutta comme elle put avec un grand courage comme un mouton peut lutter contre le loup qui va le dévorer. Mais malheureusement, elle s’inclina.
James sortit tout essoufflé en disant :
« La salope, elle m’en a fait voir. J’aurais pas cru qu’elle puisse résister autant que ça. La garce, je l’ai quand même eue. »
Florence rétorqua :
« Qu’est ce qu’on ne ferait pas pour ne pas mourir quand on est aussi riche, frérot. Salope de bourgeoise. »
Ce fut l’oraison d’Elisabeth.
On mit son cadavre encore chaud dans un grand sac plastique destiné à cet effet. Archie nettoya à grandes eaux le frigo qui sentait les excréments de l’otage. Il avait la flemme de remettre un néon neuf. On y voyait assez bien comme ça avec la porte ouverte.
Ils se partagèrent les deux millions de dollars.
Six cent mille pour Florence et Archie, huit cent pour James qui avait fait le sale boulot. C’était prévu comme ça et Archie n’y trouvait rien à redire. Il était soulagé. Deux cent mille dollars de différence pour ce sale boulot, c’était pas cher payé pour une vie.
Florence partait pour l’Europe, James allait filer en Amérique du sud pour s’y installer, Archie partait en Australie définitivement.
Au cours de la nuit, le corps d’Elisabeth Parker fut déposé dans une décharge proche. Les trois compères firent un peu la fête dans la loge de gardien de l’entrepôt. James et sa sœur partirent très tôt dans la matinée avec leur voiture et rendirent celle de la location qui avait servi au transport du cadavre.
Archie devait attendre le lendemain que son boulot de gardien se termine pour foutre le camp. Il ne fallait surtout pas éveiller l’attention du FBI qui devait être sur les dents. Pendant la journée, il lava de nouveau le frigo où avait été séquestrée Elisabeth. Il laissa la porte grande ouverte pour que toute odeur s’évanouisse, ce fut chose faite le soir. Aucune trace de sa présence ne subsistait. Archie dormit mal, un peu angoissé par la nouvelle vie qui l’attendait. Son remplaçant arriva vers dix heures du matin. C’était un vieux d’une cinquantaine d’années. Il avait l’air de picoler. Il lui fit visiter l’entrepôt et lui donna toutes les consignes durant la journée qu’ils passèrent ensemble. Puis, le soir venu, il lui fit ses adieux et le vieux lui souhaita bonne chance. Il partit fier, insouciant et heureux vers le Mexique en pensant que c’était bien mérité.
James déposa sa sœur à l’aéroport de la ville de Reno situé à près de mille kilomètres de là. Ils avaient été arrêtés par la police à de nombreuses reprises. Des chiens sentaient les véhicules à la recherche de l’odeur d’Elisabeth. C’était une sacrée bonne idée d’avoir loué une voiture à chaque transport. Il n’y aurait pas pensé. Elle était pas conne, la frangine.
Il l’accompagna jusqu’au guichet. Elle prit un billet pour New York. De là, elle pourrait s’envoler vers Londres. Son avion décollait dans deux heures. Le frère et la sœur se firent des adieux prolongés. Ils n’étaient pas prêts de se revoir, pensaient-ils. Ils se félicitaient l’un l’autre pour la réussite de cette opération et aussi pour les projets futurs en promettant de se retrouver un de ces jours.
James vit l’avion planer dans l’air et disparaître dans le ciel d’un bleu qui s’annonçait plein de bonheur. Il reprit son auto et se dirigea vers le Sud. Un soleil radieux illuminait la route et semblait le mener vers une vie baignée de joies, ce qui lui semblait parfaitement normal après toutes les épreuves qu’il avait surmontées.
C’est un clochard qui découvrit l’affreux paquet. On prévint Johnny qu’on avait retrouvé le corps de son épouse sans vie. Ce ne fut pas, à proprement parler, une surprise. C’était la fin du contrat. Florence avait tenu parole. Il avait payé deux millions de dollars. Elisabeth était morte. La boucle était bouclée. Il était seul maintenant.
Peu de gens le soupçonnait, pas même Douglas qui était persuadé qu’il était innocent. Seul le lieutenant du FBI restait sceptique, c’était son boulot. Pour eux, nous étions tous des coupables potentiels, alors.
Pas une preuve, pas un indice n’indiquaient une quelconque responsabilité de sa part dans ce rapt dramatique. Finalement, la peur et la panique qui l’avaient envahi cédaient la place à une intense jubilation. Il avait réussi à se défaire de sa femme. Il était de nouveau libre, dégagé et riche. Une exaltation intense s’emparait de sa personne, atténuée parfois par le triste sort de son épouse. Il repensait au doigt sectionné, à son calvaire et un léger malaise l’atteignait vite dissipé par les perspectives d’avenir qui se dessinaient devant lui.
Il était à la morgue de la ville où l’attendaient les autorités du FBI, l’attorney, le shérif et le maire, ainsi que Brendan. On lui demanda d’aller reconnaître le corps. Johnny refusa mais on lui expliqua qu’elle était belle à voir. Les médecins l’avaient nettoyée. Elle semblait dormir.
Ils entrèrent tous à la morgue. Un employé les pria de le suivre et ouvrit un grand tiroir. L’atmosphère était lugubre et macabre, Ils étaient tous mal à l’aise et un silence impressionnant régnait. Un drap recouvrait son corps nu. Il n’y avait que sa tête qui dépassait. Ses yeux étaient fermés et elle semblait effectivement plongée dans quelque sommeil réparateur. Des stries rougeâtres parsemaient son cou. On la reconnaissait sans peine. Elle était encore très belle avec ses beaux cheveux roux disséminés autour de son visage. Un ange était parti rejoindre les autres au paradis. L’officier du FBI hocha la tête en direction des deux hommes. Ils confirmèrent que c’était bien Elisabeth Parker, malheureusement.
Le médecin légiste arriva sur ces entrefaites et parla à voix basse comme intimidé par cette beauté inanimée qui n’allait pas tarder à disparaître.
« Elle a été étranglée à l’aide d’une corde ou d’une ficelle. Sa mort remonte à quarante-huit heures maximum. Difficile d’être précis. Elle a peu mangé pendant sa détention. Pas de violences sexuelles. Un doigt coupé et mal soigné, la plaie s’infectait. Elle avait reçu quelques coups, des bleus sur le ventre, sur les bras.
Elle ne s’était pas lavée depuis son enlèvement, je pense. Le corps était sale et sentait la transpiration.
Voilà messieurs, peu d’indices pour la police. » »
Johnny et les autres s’apprêtaient à repartir lorsqu’il ajouta :
« Ah ! J’oubliais, elle était enceinte, de deux mois. »
Le coup atteignit Johnny en plein cœur. Il déglutit péniblement, ses jambes se dérobaient. Il était livide et décomposé.
Ma pauvre Babeth pensa t-il, tout ce mal pour rien.
Il s’assit sur une chaise qui se trouvait là pour reprendre ses esprits. Il avait tué sa femme et son enfant. Il se damnait un peu plus. Heureusement qu’il ne croyait pas en Dieu, un péché de plus, au point où il en était. Cependant, il était abasourdi par cette nouvelle.
Enceinte, elle allait être mère, maman de son enfant.
Puis, le capitaine du FBI lui demanda d’authentifier les bijoux que l’on avait retrouvés sur le corps de son épouse et s’il en manquait.
Il reconnut sa montre en or, ses boucles d’oreille ornées de perles, un bracelet en jonc d’or blanc et le même en or jaune. L’évocation lui rappelait des souvenirs insouciants et forts du temps où il n’était pas encore un assassin, un meurtrier. Il aurait volontiers donné une partie, une partie seulement des onze millions de dollars pour revenir à cette époque.
« Il manque plusieurs choses, dit-il. Je ne me souviens plus mais elle avait d’autres bijoux dont elle ne se séparait jamais. Ah ! Oui, son alliance et un diamant de trois carats que je lui avais offert. »
Avez-vous les certificats de vente de ces pièces ?
J’ai celui du diamant. Je l’avais acheté il y a peu. En outre, il y a la date de notre mariage gravée à l’intérieur. Je vous le ferai parvenir. L’alliance était un simple anneau d’or dont je n’ai conservé aucune facture. »
Le capitaine ne releva pas que l’alliance avait été livrée avec l’annulaire sectionné car c’était révélé l’implication du FBI par M. Brendan dès le début de l’opération. Douglas opinait du chef sur la vérification des bijoux, il était blanc comme un linge.
« La facture du diamant m’intéresse, on ne sait jamais, ils peuvent être tentés de le revendre, vous l’aviez payé cher ?
Trente mille dollars. Il faisait trois carats et possédait une pureté exceptionnelle.
Fichtre! C’est une somme. Il doit être facile à identifier. Envoyez la facture dès que possible M. Parker. »
Les différentes autorités disparurent sans bruit et laissèrent les deux hommes dans le silence impressionnant de la morgue avec cette femme morte qui auréolait de sa beauté évanescente la blancheur des lieux.
Douglas partit sur la pointe des pieds peu après, il allait vomir, il serait mieux dehors pour ça. Il laissa Johnny pensif et soucieux. Il était toujours assis sur la chaise à contempler le grand tiroir ouvert sur sa vie.
Il repensait à son enfance, à ses cousins, à sa tante enfin. Il resta un long moment assis dans la salle blanche et froide où ne régnait que la mort. Un employé passa et repoussa la grande boite en fer. Johnny pensa qu’on enterrait Elisabeth maintenant et qu’il ne la reverrait jamais plus. Il resta très longtemps ainsi à revivre une partie de sa vie, y repenser une dernière fois dans ce lieu sinistre et froid pour l’enfouir, comme ce tiroir, dans l’oubli le plus total. C’est tout ce qu’il souhaitait à cet instant. Un employé passa et lui demanda s’il voulait revoir une dernière fois le corps de son épouse.
Johnny refusa, c’était au-dessus de ses forces. Il tentait de chasser Elisabeth de toutes les parties de sa mémoire pour pouvoir vivre en paix. C’était la seule issue qu’il avait trouvée pour ne pas culpabilise. La boite était fermée, surtout la laisser ainsi.
Il avait fait tuer Elisabeth et son enfant. C’était un crime affreux, impardonnable, passible des pires châtiments avec la mort pour seule échappatoire.
Il fallait s’évader de cette malédiction infernale dans laquelle il avait plongé par inadvertance, par bêtise et maladresse conjuguées.
Les journaux se déchaînèrent sur l’événement inouï qui avait traversé la petite ville tranquille de Missoula. Les hommes du FBI, de la police, les services techniques municipaux, le cadastre du comté, tout le monde en prit pour son grade à la suite de ce récit de cette affaire criminelle.
Les graves lacunes de la mairie et du cadastre furent mises à jour quand on révéla que le deuxième puits découvert avait été réalisé dix-sept ans auparavant à la suite d’un éboulement de terrain qui avait tué trois mineurs et bloqué une vingtaine d’autres. Des pluies torrentielles avaient provoqué le premier accident mortel de la mine. Les mineurs survivants étaient restés bloqués par l’éboulis de l’autre côté. On n’arrivait pas à dégager la terre car l’eau s’infiltrait de tous côtés et rebouchait sans cesse la galerie. Aussi, l’ingénieur avait eu l’idée de creuser ce deuxième puits. On avait choisi cet endroit à cause de la nature du sol, moins argileux et parsemé de pierres, proche de la route, distant de deux cent mètres de la départementale.
Ainsi les camions et les travaux d’engins publics pouvaient approcher sans peine. Un chemin avait rapidement été réalisé et pierré. On avait foré ce puits de deux mètres de diamètre rondement, puis, suivant les calculs, une trouée horizontale avait été percée pour atteindre la galerie. On réalisa un petit boyau d’un mètre cinquante de diamètre pour atteindre les mineurs prisonniers. Une semaine après, la jonction était achevée, ils furent tous sauvés. Dans l’affolement général, personne ne crut bon d’enregistrer cet événement, ni la mairie, ni le cadastre. En guise d’explication, ils répondirent que la procédure n’avait pas été respectée. Il n’y avait pas eu de demande officielle de travaux pour ce sauvetage impromptu et les autorisations n’avaient pas été demandées par la suite. Les différents services prétextaient cette absence de démarche administrative habituelle pour masquer leur carence. Par la suite, le puits avait été laissé à l’abandon. La mine avait fermé l’année suivante. L’accident et l’épuisement du filon avaient eu raison de sa trésorerie. Le forage fut complètement oublié.
La population fut indignée de l’incurie de ses pouvoirs publics. Le FBI était pointé du doigt pour son manque de réussite et son incapacité ainsi que pour la confiance aveugle qu’il avait accordée aux instances publiques. Mitchell laissa la place à un capitaine qui reprit l’enquête à zéro. Le maire démissionna et l’attorney général fut muté dans une autre ville.
Une seule chose était certaine. Les ravisseurs connaissaient cet incident et il y avait fort à parier qu’ils avaient été mêlés de près ou de loin à cet épisode.
La presse voulait ces monstres capables de couper un doigt à une pauvre femme solitaire, prisonnière et abandonnée. Elle désirait leur faire payer par la condamnation suprême ce crime affreux d’une femme et de son enfant. « A mort les criminels » titrait le journal local et la majorité silencieuse pensait de concert.
Il fallait commencer par-là. Le journal incita ses compatriotes à faire part à la police, à la presse, aux autorités compétentes de toute personne qui lui paraissait suspecte.
La dénonciation devint le terrain de prédilection de Missoula avec toutes les conséquences qu’induit ce genre d’affaire.
*
Johnny Parker n’en finissait pas de découvrir les démons de cette ville et de cette belle société. Il avait été convoqué plusieurs fois par la police et le FBI. Il tenait le coup maintenant, le plus difficile était passé. Les gens ne lui adressaient plus la parole. Certains le fuyaient ostensiblement. On murmurait sur son passage. Il devint un paria pour cette ville. Un fardeau sans nom s’abattait sur ses épaules à l’unique pensée de son horrible forfait. Dès lors qu’il se penchait sur son sort, il ressentait une angoisse indicible et sourde qui l’incitait à se battre contre ce destin funèbre.
L’enterrement d’Elisabeth avait eu lieu dans la plus stricte intimité. Elle fut inhumée à côté de son défunt époux. Personne ne s’était attardé sur cette cérémonie simple et sobre.
Le temps passait et apportait tranquillement l’oubli parmi les témoins de cette affaire. Johnny laissait faire, laissait dire. Que lui importait ce remue ménage, il avait gagné. Bien sûr, les habitants de la ville de Missoula le fuyaient et ne lui adressaient plus la parole. Certaines de ses anciennes maîtresses également. Il n’en avait cure. Il se frayait son bonhomme de chemin et attendait patiemment l’ouverture du testament qui le consacrerait.
Il s’enferma un temps dans une solitude qui ne lui plaisait guère mais qu’il était forcé d’accepter momentanément. Les millions de dollars qui l’attendaient méritaient bien quelques sacrifices. Il prenait de la hauteur ainsi et parvenait à s’habituer au nouveau paysage qui se dessinait autour de lui. Le temps lui apporterait l’oubli de son méfait. Il le savait. Tout n’était qu’une question de temps. Il ne tremblait plus comme avant. Il avait très vite compris que le FBI ne possédait aucun indice. De toute évidence, ils cherchaient tous azimuts, dans tous les sens. Mais comment remonter jusqu’à Florence, son frère et les éventuels complices ? Elle n’avait pas été déclarée aux services du bureau du travail et plus personne au club ne se souvenait d’elle. Plus le temps passait, plus elle s’enfoncerait dans l’oubli le plus total.
Cette épreuve terrible pour ses nerfs lui avait appris la patience. Il allait sur ses trente ans, un bel âge et il était loin de sa fin.
Une semaine plus tard il était assis dans l’étude de Maître Dawson, propriétaire de l’étude notariale la plus importante de la ville. Il y avait Douglas et un homme qu’il ne connaissait pas. Le notaire lui présenta ses condoléances et après les palabres d’usage entreprit de lire le testament d’Elisabeth.
Avant de commencer le notaire l’avertit :
« Votre épouse avait eu une période de doute après l’accident de voiture dont vous aviez été victimes tous deux et, au cours des semaines suivantes, avait introduit un codicille d’une importance capitale pour la succession. »
Johnny se renfrogna, une ride barra son front.
Le notaire crut bon d’ajouter :
« Cela ne change pas grand-chose M. Parker, vous héritez en totalité de la fortune de votre conjointe moins deux cent cinquante mille dollars pour M. Douglas Brendan ici présent à condition qu’il vous aide dans la gestion du patrimoine de feue ma cliente. Voici le codicille : »
Si ma mort survient dans des circonstances accidentelles ou criminelles non élucidées dont les causes ne sont pas clairement identifiées et s’il apparaît des doutes quant à l’auteur de ma disparition, je charge le cabinet Barney & Collins de rechercher par tous les moyens l’instigateur de ce crime ou accident durant une année à partir de la date de lecture du testament.
Si le susdit cabinet trouve l’auteur de ma disparition prématurée, il héritera de la totalité de ma fortune puisqu’il aura ainsi prouvé que je m’étais trompée dans le choix de mes relations.
En revanche, si au terme d’un an, aucune preuve établissant formellement l’identité du responsable n’est apportée et si mon époux est hors de cause, il héritera de tous mes biens excepté deux cent cinquante mille dollars pour M. Douglas Brendan et le remboursement des frais au dit cabinet, à concurrence de cent mille dollars.
Elisabeth Parker née Monroy à Missoula le……
Plus personne ne l’écoutait. La sentence était terrible pour Johnny. Ainsi, sa femme, son épouse nourrissait des doutes à son sujet, de véritables soupçons en fait puisqu’elle en était venue à faire une modification aussi importante. Tous les regards étaient posés sur cet homme silencieux qui, assis dans un grand fauteuil de cuir, semblait désemparé, honteux et animé d’une invisible colère.
Un silence pesant s‘incrustait dans la pièce. Personne n’osait le rompre de peur qu’une catastrophe imprévue vienne encore s’abattre sur leur tête. La scène était surréaliste et ajoutait une note dramatique à cet endroit si austère.
Tout le temps que dura la lecture du codicille, Douglas épiait le visage de Johnny s’attendant à le voir exploser ou crier sa surprise. Curieusement, il était d’un calme Olympien. A peine un éclat de consternation avait-il inondé son visage à l’évocation des doutes de son épouse. Il regarda alors l’homme qui était à sa gauche et le détailla longuement.
Le notaire rompit le silence mortel et ajouta d’une voix plaintive :
« M. Parker, je suis désolé, je n’ai fait que mon devoir. »
Tu parles, se dit Johnny. Tu n’es qu’une belle ordure qui ne pense qu’à la suite des évènements. Mais il se retint et finit par déclarer :
« C’étaient les dernières volontés de Babeth, qu’il en soit ainsi. »
Puis, il se leva, se tourna vers l’homme aux lunettes et lui dit :
« Vous représentez le fameux bureau ?
Oui, affirma l’homme en se levant à son tour.
Qu’avez-vous de spécial vous et votre cabinet ? »
« Nous sommes réputés pour éclaircir des affaires difficiles, très compliquées. Nous travaillons pour des compagnies d’assurance, des affaires privées, des escroqueries financières. Il crut bon d’ajouter :
M. Parker, je serai concis et bref :
Nous ferons, dans le respect de la légalité la plus complète, une enquête approfondie sur les ou l’instigateur de ce rapt. Plaise à dieu qu’il ne soit pas autour de cette table. Mais que le seigneur nous aide à le démasquer pour qu’il expie son crime abominable. »
La voix sonnait faux et voulait dire :
Nous ne manquerons pas de faire tout notre possible pour prouver votre culpabilité et gagner ainsi plusieurs millions de dollars.
Johnny claironna :
« Je suis innocent. J’aimais sincèrement mon épouse. Je regrette amèrement sa disparition et la perte de mon enfant. »
Il prit sa tête dans ses mains, cherchant dans son anxiété la peur qui le rendait triste à en mourir. Il attendit un moment, se releva et ajouta d’une voix qui semblait brisée par l’émotion ou par la colère :
« Vous n’arrêterez personne, ils sont loin à cette heure. En Asie, en Australie, en Amérique du sud, qui sait ?
Avec une telle somme, ils sont insaisissables.
Au revoir messieurs. »
Il tourna les talons.
La porte se referma sur Johnny. Douglas était mal à l’aise. C’était lui l’auteur du codicille et il regrettait presque ce texte qu’il jugea éprouvant pour les nerfs de toutes les personnes présentes. Le détective se rassit. Le notaire ne savait comment reprendre le fil de l’affaire.
Les trois hommes embarrassés par ce curieux épilogue ne cessaient de projeter sur l’avenir leur destin et celui de Johnny Parker.
Le représentant du cabinet précisa :
« C’est M. Nichols qui sera en charge de cette enquête. C’est notre meilleur élément. Toutes ses opérations ont été couronnées de succès. Il n’y a pas de raison que ça change. »
Le notaire et Douglas échangèrent un regard qui en disait long sur les chances de résoudre cette énigme.
Dès le jour suivant, l’enquêteur Nichols débarqua en ville et entreprit de chercher dans tout l’entourage de Johnny le moindre indice qui pourrait faire croire qu’il était à la base du kidnapping de son épouse. Il était le seul héritier et c’était un élément déterminant. En effet, dans la plupart des cas, le mobile démasquait le meurtrier. Un rapt était une opération un peu plus complexe et délicate. On ne pouvait nier que M. Parker était le principal bénéficiaire du décès de son épouse mais de là à projeter un enlèvement et un meurtre, il y avait loin de la coupe aux lèvres.
Mark Nichols avait toute une année pour chercher et trouver. Il ne se pressait pas. De plus, le propriétaire du cabinet lui avait précisé :
« Nichols, si vous trouvez et que le cabinet hérite de cette somme, je vous offre un million rien que pour vous. »
Il sortit un papier de son tiroir et lui tendit.
Il put lire ainsi que s’il résolvait l’affaire dans le temps imparti, une gratification exceptionnelle d’un million de dollars lui serait versé au paiement du testament. Le papier était signé du propriétaire et des associés du cabinet Barney and Collins.
Mark Nichols gagnait quatre cent dollars par mois plus diverses primes pour les enquêtes réussies, moins considérables que celle-ci. Il se faisait des petits plus avec les frais d’enquête. Des restaurants minables et des hôtels douteux lui permettaient de grappiller quelques dollars avec l’aide des serveuses de ces établissements. Il vivait comme un minable petit détective privé, guettant la grosse affaire, la combine du siècle. A près de quarante-cinq ans, il n’y croyait guère plus. Avec cette somme, il pouvait dire adieu au cabinet et se la couler douce à Miami à pêcher la crevette sur un bateau digne de son rang.
Un million de dollars. La peau de Johnny Parker ne valait plus grand-chose à ce jour, son innocence également.
Nichols était un type très grand, efflanqué, maigre, décharné presque. Un visage qu’on ne remarque jamais, une figure triste et monotone comme un jour sans fin. Des longs bras, des jambes immenses et un torse creux et squelettique. Il passait inaperçu presque partout et c’était sa force pour les filatures. Il était très intelligent, fourbe et rusé, ne lâchait rien, comme un chien son os. Un tenace, un besogneux de la traque lente et perverse. Un maniaque qui notait dans des carnets usés et rabougris tous les noms des personnes interrogées ainsi que leurs coordonnées. Le soir, dans les chambres d’hôtels minables qu’il occupait, il ne cessait de lire et de relire ses fameuses notes à la découverte du chaînon manquant. C’est ce genre de choses qui lui avait permis de résoudre toutes les affaires qu’on lui avait confiées.
C’était la chance de sa vie. En voyant Johnny, il sut immédiatement qu’il était coupable. Il l’avait senti et il avait un flair pas possible.
Un an qu’il avait, douze mois pour le prouver.
A son arrivée en ville, il se présenta de suite aux autorités locales ainsi qu’au nouveau responsable du FBI. Celui-ci n’avait rien trouvé de plus que son prédécesseur. Les diverses fouilles ne donnaient rien. On enquêtait sur toutes les personnes qui avaient quitté la ville récemment. On traquait les gens au passé douteux. Les registres des hôtels et motels du coin étaient systématiquement analysés. On questionnait les habitants du lotissement de Goldtrees. Par ailleurs, il ne restait pratiquement plus aucun mineur. Seuls quelques vieux pouvaient raconter une partie de l’histoire de la mine. C’était devenu un ghetto habité par des gens pauvres et survivant dans ce contexte difficile. On analysait l’emploi du temps de son mari. Mais, pendant toute la durée de l’enlèvement, il n’avait eu aucun contact avec qui ce soit. Il était resté dans la grande maison avec la domestique. Il n’était pas allé une fois à son club. Juste quelques coups de téléphone pour s’assurer que tout marchait bien et confier la responsabilité des affaires courantes à un certain Bobby Fisher, l’employé le plus ancien de la boite. On fouillait des maisons. On interrogeait les riverains de la décharge où avait été trouvé le corps. Les indicateurs dans le milieu rejetaient l’idée d’une quelconque implication de la mafia locale. Ils optaient plutôt pour un groupe isolé qu’ils étaient incapables d’identifier.
Bref, l’embrouille la plus totale.
Ce coup avait pu être monté bien avant sa réalisation par Johnny et des complices. Ils se seraient ensuite séparés jusqu’au moment propice. Les deux millions de dollars étaient le prix pour le rapt et l’exécution. Pas besoin de contact extérieur si tout avait été monté auparavant, et il semblait bien que ce soit le cas, enfin, c’était une possibilité. Une chose était certaine, un de la bande connaissait l’existence de ce second puits et c’est cela qui leur avait permis d’embarquer la somme au nez et à la barbe du FBI avec une déconcertante facilité. Cela pouvait être quelqu’un du pays, un spectateur assidu de ces faits, un employé quelconque de la mairie, du comté, de la mine, un ancien mineur. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
On inspectait du côté du lotissement. On recherchait les anciens habitants. Mais il s’avérait difficile de retrouver les premiers propriétaires. Les maisons avaient changé de mains à plusieurs reprises, au gré des circonstances économiques. Il ne restait que trois vieux complètement alcooliques qui mélangeaient leurs souvenirs et leurs rêves envolés et qui racontaient n’importe quoi.
L’inspecteur avait également envoyé des hommes enquêter au tennis club de Broderick, à celui de Missoula, sur ses maîtresses, cherchant ses anciens employeurs, remontant jusqu’à une année avant les faits. Ils avaient vérifié leurs casiers judiciaires, cela n’avait rien donné non plus.
Comment remonter jusque-là, comment le prouver et comment trouver les ravisseurs?
L’équation était difficile à résoudre, voire impossible. Avec une telle somme, ils étaient sûrement très loin à présent. Il restait Johnny avec ses doutes, ses fautes probables, ses relations et le temps qui passe.
Le flic lui souhaita bonne chance pour son enquête, mais il n’y croyait pas.
Le privé demanda au capitaine du FBI s’il croyait Johnny coupable et pour quelle raison.
« Je pense qu’il est effectivement coupable mais je n’ai trouvé aucune preuve. C’est mon instinct de flic qui y croit. Et l’accident de voiture ne fait que renforcer son implication dans cette affaire. La voiture s’est plantée dans une courbe à cinquante cinq miles alors que, d’après des spécialistes, elle peut passer à plus de soixante cinq. Cela fait une grande différence d’autant qu’il sait très bien conduire puisqu’il avait pris des leçons pour pouvoir participer à quelques rallyes. Quand on fouille dans son passé, on s’aperçoit que c’est un petit maquereau, une petite pute qui n’aime personne sauf sa petite gueule. Il est incapable de monter un tel coup, c’est un couard, un lâche. Mais il pouvait très bien le proposer à quelqu’un d’autre qui l’a réalisé pour deux millions.
J’en ai l’intime conviction. »
Nichols approuvait dans sa tête. Il ne lui restait plus qu’à le démontrer.
Les fédéraux poursuivirent leurs investigations encore trois mois et finirent par classer l’affaire attendant un élément nouveau qui puisse la rouvrir. Durant cette période, l’enquêteur chercha dans l’entourage de Johnny quelqu’un qui aurait pu le mettre en relation avec des gangsters.
Il sonda ses maîtresses, ses copains du club de tennis de Missoula, de celui de Broderick. Il en apprenait beaucoup sur la personnalité de Johnny, mais il ne découvrait rien de probant quant à d’éventuels individus capables d’exécuter un rapt et un meurtre. Quand le FBI déclara que l’enquête était momentanément classée, il s’aperçut avec stupéfaction qu’il ne lui restait que neuf mois. C’était long et court au regard des trois mois passés sans aucune progression.
Le million de dollars était loin d’être dans sa poche. Il s’était endormi comme les fédés. Il était temps qu’il se réveille. Bien lui en prit car son cabinet le convoqua pour faire le point sur ses investigations. Devant le peu de résultat de son meilleur élément, le patron partit dans une colère noire et lui enjoignit de procéder d’une autre manière. Il lui rappela leur contrat et la prime exceptionnelle promise pour sa réussite. Il lui donnait trois mois de plus et si au terme de ce laps de temps, ses recherches étaient aussi stériles, il donnerait cette affaire à un autre détective. En attendant, ils allaient ensemble faire le tour des pistes envisageables et tenter de mettre une stratégie au point.
*
Johnny touchait ses mille dollars par semaine comme auparavant. Douglas virait cette somme sur son compte. Il n’en avait pas vraiment besoin puisque son club lui rapportait cinq mille dollars par mois. Il l’avait mis en vente. Il était sur le point de le céder, un client avait fait une offre. C’était une excellente affaire avec plus de mille cinq cent clients. Mais Johnny ne s’y intéressait plus. Il y passait de temps à autre pour dissiper son ennui.
La grande propriété aussi était en vente. Il ne voulait rien garder de son passé honteux. Mais surtout, il voulait fuir ces lieux où quelque part était inscrit son crime en lettres de sang. Il gardait toujours une peur maladive qu’on découvre la machination mise au point pour exécuter son épouse. Il lisait tous les articles de journaux qui relataient le déroulement de l’enquête. Il alla voir à plusieurs reprises le capitaine du FBI pour savoir comment évoluaient ses investigations. Il voyait bien qu’ils étaient impuissants à trouver le moindre indice.
Un soulagement immense le parcourut et il dut cacher sa joie qui ne demandait qu’à s’exprimer pour étouffer l’angoisse qui le minait depuis des semaines. Il se contint à grand peine quand le type du FBI lui annonça en le fixant droit dans les yeux que l’enquête allait être classée. Il prit un air outragé, coléreux et dénonça à haute voix les insuffisances des autorités qui n’arrivaient pas à mener une enquête jusqu’à sa résolution. L’homme ne dit mot et l’écouta en silence tout en tentant de discerner les incohérences de son discours. Quand Johnny termina, il se contenta de dire d’une voix chargée de menaces :
« L’affaire est stoppée provisoirement. Mais si un élément nouveau survient, on rouvrira le dossier avec des moyens accrus et déterminés pour envoyer sur la chaise électrique tous les intervenants de ce drame. Les assassins qui ont tué votre femme peuvent penser qu’ils sont tranquilles pour le restant de leur vie. Il n’en est rien car, dans cet état, la prescription n’existe pas. Jusqu’à leur mort, la justice s’emploiera à les démasquer et à les condamner. Faites-moi confiance M. Parker, peu d’affaires sont abandonnées sans qu’on ait identifié les coupables. Nous savons que des criminels vivent en toute jouissance dans cette société qu’ils ont salie. Mais nous les aurons un jour. »
La joie de Johnny fut de courte durée car la menace du capitaine était réelle et inquiétante comme si elle s’adressait à lui. Il avait vu passer dans ses yeux cette lueur furtive qui signifiait :
Tu as de la chance ordure, cela ne durera pas, mon salaud.
Johnny avait baissé les siens à cet instant-là craignant que, par regards interposés, ils n’en viennent à se défier et à renforcer les soupçons de cet officier. Le langage des yeux, pour certaines personnes, est beaucoup plus révélateur que des discours peuplés de mots soigneusement choisis et qui ne veulent rien dire. Autant ne pas jouer avec cela, s’était-il dit. Les flics ont beau être un peu cons, ils ne le sont jamais tout à fait. Quelques uns ont développé des instincts à l’égal des grands fauves pour deviner, sans preuves, la culpabilité de certains suspects. Ce type possédait ce sens. Johnny l’avait senti. Son instinct animal de petite crapule lui dictait sans faille les hommes qu’il devait éviter.
Le capitaine du FBI était un de ceux-là.
En attendant, il fallait fuir cet endroit pour effacer ce crime et chasser de toutes les mémoires de Missoula et de ce flic le nom de Johnny Parker.
C’était le seul moyen pour enterrer définitivement cette histoire et qu’elle ne ressorte jamais du tiroir poussiéreux où elle allait terminer.
Il prit poliment congé du policier et sortit respirer un grand bol d’air. Il en avait besoin. Cet état ne pratiquait pas la prescription. Jamais il n’aurait réellement la paix. Les flics pouvaient reprendre le dossier au moindre nouvel indice.
Un privé tentait de gagner un million de dollars en prouvant sa participation. Seule sa disparition pouvait arranger les choses. Ailleurs, il ne risquait pas de se trahir et il oublierait au fil du temps, dans des bras jeunes et doux, cette sordide histoire.
Le club de tennis fut vendu le mois suivant pour quatre cent mille dollars, la propriété pour deux cent mille avec tous les meubles. Maria repartit dans sa famille avec cinq mille dollars que lui avait donnés Johnny pour solde de tout compte. C’est Douglas qui négociait les ventes. Il fallait bien qu’il mérite sa prime.
Il était en train de boucler ses bagages dans l’appartement que possédait Babeth en centre ville quand Nichols vint le voir. Il détailla la carte que lui présentait ce grand type au physique si niais :
Barney & Collins Enquêtes en tout genre, filatures, discrétion assurée détective de première classe Mark Nichols
« Bonjour monsieur Parker, je suis le dénommé Nichols en charge de cette malheureuse affaire. »
Le privé avait appris par M. Brendan que le suspect quittait la ville et qu’il avait tout vendu. Il voulait le voir pour se faire une idée. Il ne le connaissait qu’à travers ses anciennes conquêtes et ce qu’on racontait sur lui.
Il le détesta aussitôt. Ce type était trop beau. Il possédait un physique remarquable, exceptionnel. Lui, à ses côtés, avait l’air d’un vagabond, d’un être difforme et vil avec des membres trop grands, une figure sans fin et une peau grêlée. Il en voulait au dieu tout puissant de créer des êtres extraordinaires et d’autres si insipides, si dégénérés. Ne pouvait-il pas faire une moyenne ?
Heureusement qu’il lui restait l’intelligence, se dit-il.
Pas étonnant qu’il ramasse toutes les gonzesses qui passent. Avec un physique pareil, il pourrait même faire du cinéma. Et dire que si lui, Mark Nichols, ne trouvait rien de compromettant, il allait couler des jours plus qu’heureux avec onze millions de dollars. Et lui, pauvre bougre, n’en finirait plus de s’éreinter devant les épouses infidèles, les escrocs à la petite semaine, les rusés des profiteurs des primes d’assurance et des faux héritages. Avec un million se disait-il, je pourrais moi aussi avoir de belles gonzesses et rouler en Porsche.
« Que voulez-vous ? » lui demanda Johnny en fronçant les sourcils sur ce type plutôt ahuri qui avait l’air d’un bouseux, dégingandé et mal habillé.
« Voilà, je suis chargé par le cabinet de réussir à vous mettre dans le trou pour toucher le fabuleux héritage. Cela fait trois mois que je traîne en ville à la recherche du moindre élément. J‘ai appris que vous partiez. Je voulais vous voir avant pour vous poser quelques questions, si vous le permettez. »
Le premier réflexe de Johnny fut de le foutre dehors. Puis, il se ravisa, pensant :
Avec ce genre de fouineur, vaut mieux faire gaffe. Il le détailla plus précisément.
Il détesta immédiatement ce personnage de flic particulier qui cherchait dans la merde des autres son bonheur. C’était un corbeau maléfique, un crève misère, un traîne-lattes.
Bon gré, mal gré, il accepta.
Nichols dégageait habituellement une bienveillante sympathie avec son physique et sa dégaine. On aurait dit un adolescent qui avait grandi trop vite. Rien ne lui allait avec ses membres si longs. Il était continuellement mal habillé. L’ensemble dégageait une aimable collaboration à son encontre, ce qui l’aidait considérablement dans ces recherches. Avec cet homme, il avait senti immédiatement que la haine était réciproque. C’est pourquoi il ne prit pas de gants.
« Que voulez-vous savoir entonna Johnny ?
Comment avez-vous ressenti le rapt de votre femme ? »
Il avait remarqué, au cours de sa fructueuse carrière, que les présumés coupables avaient du mal à répondre à des questions aussi simples et dénuées de tout soupçon.
Johnny fut effectivement désorienté par cette interrogation.
Il ne savait que répondre, il ne sut dire que :
« J’ai été surpris, je ne l’ai pas pris au sérieux sur le moment.
C’est une drôle de question ! » Ne put s’empêcher d’ajouter Johnny. »
Le détective le dévisageait sans en avoir l’air avec toujours ce sourire niais et stupide.
« C’est une question idiote, j’en conviens.
Pensiez-vous qu’ils iraient jusqu’à l’éliminer ? »
Johnny le regardait pensivement ne sachant s’il était vraiment idiot ou plus malin qu’il n’en avait l’air. Il se rappela tout d’un coup que c’était le meilleur élément du cabinet. Il répondit en prenant soin de prendre un masque de circonstances :
« Non, en aucun cas. La rançon remise, j’ai continuellement espéré qu’ils la relâcheraient. Il n’y avait pas de raison qu’ils la tuent. »
Il prit sa tête dans ses mains et resta silencieux un bon bout de temps se penchant sur le sort qui se dessinait à la vue de ses péchés. C’est de cette façon qu’il prenait cet air abattu qui lui donnait un aspect innocent.
Nichols le laissa et compatit à sa peine, lui tapant doucement sur l’épaule.
« Pardonnez-moi, j’éveille de mauvais souvenirs. »
Johnny prit soin de ne pas répondre, espérant abroger cet interrogatoire nauséabond. L’autre poursuivit :
« Je vais vous quitter M. Parker, veuillez encore m’excuser. »
Il se dirigea vers la porte. Johnny se leva et l’accompagna. Sur le seuil, il se retourna et lui tendit la main. Johnny fit de même. Puis, il ajouta nonchalamment :
« Saviez-vous qu’elle était enceinte ? »
Johnny défaillit sous la question piège mais il se reprit et murmura :
« Non, bien sûr que non, elle n’a pas eu le temps de m’avertir.
Mais qu’est ce que cela aurait changé ? »
« Vous auriez pu le faire savoir par voie de presse. Ainsi les ravisseurs auraient peut-être reconsidéré le crime ou plutôt les crimes car ils ont tué deux personnes. En principe, les auteurs de kidnapping sont plus cléments pour ce genre de choses. Malheureusement, c’était trop tard et vous ne le saviez pas.
A moins que tout n’ait été prémédité avant ?
Comment cela prémédité ? , souligna Johnny, agacé. »
Je ne sais pas. C’est une idée qui m’est venue soudainement. Laissez tomber. Ne faites pas attention à un pauvre type comme moi. »
Il lui sourit avec ce regard niais et s’exclama :
« Au revoir M Parker. »
Il descendit quelques marches, se retourna et avec un air nonchalant ajouta :
« Monsieur, si vous êtes innocent, ce dont je ne doute pas, alors vous ne risquez rien. En revanche, si vous êtes mêlés de près ou de loin à cette triste affaire, je le prouverai et vous finirez sur l’échafaud, je vous le jure. Sinon avec un peu de chance, j’appréhenderai les auteurs et ce qui reste de la rançon.
Votre femme sera vengée, bonne chance M. Parker. »
Il partit rapidement sans attendre de réponse.
Johnny restait hébété sur le seuil de sa porte. Quel drôle de type, pensa-t-il. Malin comme un singe, rusé comme un renard. Celui-là, il valait mieux ne jamais le revoir. Ses épaules lui semblaient lourdes comme si un poids inconnu et pesant s’abattait sur elles. Il se courbait un peu, tremblait devant son avenir confié à bien des mains ennemies et s’apitoyait sur sa destinée maudite et criminelle. Des larmes pointaient et il se sentit bien seul.
Il réunit tout son pécule et s’envola vers la Californie le lendemain, attendant au calme et au soleil la date anniversaire du meurtre de Babeth et la naissance de sa fortune.
Nichols entra dans un bar boire une bière. Il savourait le précieux liquide en repensant à cette brève conversation. Il en déduisit que ce type n’était pas tout à fait innocent. Personne ne l’était, il était bien placé pour le savoir.
*
Les deux stratégies mises au point au cabinet s’avéraient un échec.
Les fréquentations de Johnny pendant son adolescence n’avaient pas révélé de relations criminelles. Le privé était remonté dans le temps et avait retrouvé nombre de ses anciennes accointances et les avaient interrogées. Cela n’avait rien donné. C’était un travail très long et fastidieux.
Il restait les divers clubs de tennis qui s’étaient succédés depuis Casper. Il y en avait cinq en tout. Cela lui prit des semaines à visiter ces clubs et à retrouver les anciennes maîtresses, les anciens copains, à les interroger et à vérifier leurs casiers judiciaires ainsi que leurs emplois du temps au moment du kidnapping.
Aucun d’eux n’était de près ou de loin impliqué dans cette affaire. Johnny ne revoyait généralement personne quand il partait rapidement d’une ville où il était devenu persona non grata et où il risquait de se faire démolir le portrait.
Il comprit rapidement que Johnny était une fripouille, un petit maquereau, un églefin qui vivait de et pour les femmes. Trouillard comme pas deux, tenant à sa petite gueule comme une star de cinéma et égoïste, c’est justement cela qui le troublait. Ce type de crapules n’a pas le cran nécessaire pour se lancer dans des crimes aussi affreux. La peur de la chaise électrique les tient éloignés de ce genre de méfaits. D’un autre coté, il pensait qu’il n’était pas étranger à l’enlèvement. Il était certain qu’il détestait son épouse. Trop égocentrique pour aimer quelqu’un d’autre que lui-même. Johnny ne vivait que pour sa bite, sa petite gueule, sa satisfaction d’être au même rang que les bourgeois qu’il fréquentait en se délectant de les cocufier sans vergogne et ainsi de prendre sa revanche sur le sort qui l’avait fait pauvre.
Ce n’était plus le cas à ce jour. Il s’éclatait au soleil de Los Angeles avec des starlettes plus fraîches et plus jeunes que ses conquêtes locales.
Il enquêta aussi dans l’entourage d’Elisabeth, lui cherchant d’hypothétiques ennemis : des amants invisibles, des relations douteuses, des adversaires acharnés en affaires. Il misa également sur Douglas Brendan qui héritait lui aussi de deux cent cinquante mille dollars. Mais, très rapidement, les deux pistes se révélèrent des échecs cuisants. La vie de Madame Bernstein avant et après son mariage était d’une telle limpidité et rien ne la prédestinait à cette fin tragique, hormis son époux. M. Brendan, quant à lui, ne s’intéressait qu’au chiffre d’affaires de ses clients, pas de femmes, pas de vices.
Le détective passa six longs mois à tenter de démêler l’inextricable écheveau qui aurait pu conduire Johnny à faire enlever et à liquider sa riche compagne. Rien dans ses rencontres ne le laissait penser.
Il ne restait plus que trois mois avant le dénouement. Douze petites semaines. Son patron ne l’avait pas désavoué comme convenu au terme du premier trimestre. Il s’agissait juste d’un avertissement pour l’inciter à s’impliquer davantage dans cette opération. Depuis, ils se voyaient pour faire le point et déterminer de nouvelles orientations.
Nichols fut prié de venir au bureau pour mettre tous les éléments à plat et tenter une dernière appréciation. C’était la réunion de la dernière chance. Chacun voyait s’éloigner avec regret le fabuleux héritage de feue Madame Elisabeth Parker née Monroy. Tout le cabinet se mit en quête de débroussailler l’imbroglio et de trouver une autre piste à défricher.
L’entourage de Johnny étant irréprochable, il fallait mettre la main sur les ravisseurs. Une seule certitude demeurait à leur propos :
L’un d’eux connaissait le second puits qui leur avait permis de soustraire, sans être inquiétés, la rançon au nez des flics. Il fallait fouiner autour de cette mine. Tout le monde fut d’accord pour chercher, dans le lotissement, des traces des anciens habitants. L’entourage de Johnny n’avait rien donné, on était remonté à trois mois avant le crime, son patron enjoignit d’étendre les recherches sur six mois minimum. Cela ne concernait qu’une vingtaine de personnes, c’était raisonnable.
Nichols retourna à Missoula et s’orienta sur les derniers témoins de l’environnement minier. Comme lui avait dit l’officier du FBI, il ne restait que trois vieux alcooliques qui ne se souvenaient que de l’accident de la mine.
Il s’était rendu plusieurs fois à cette fameuse mine. Les autorités avaient refait les clôtures et les grillages. De lourdes chaînes avec des cadenas en interdisaient l’accès. La police passait quelquefois pour vérifier l’état des lieux. Rien n’avait changé depuis la fameuse remise de la rançon excepté quelques broussailles et arbustes épineux. Ce coin si tranquille avait perdu la dramaturgie des incidents des derniers mois. Débarrassé de la présence des hommes, il gardait un mystère suranné du temps de la recherche de l’or. Nichols contourna l’entrée principale et marcha vers le clocher qui apparaissait au loin. Il était situé à un kilomètre et demi. Un panneau à l’entrée indiquait :
Lotissement de la mine de GOLDTREES.
Il y avait à peu près trois cent baraques en bois passablement délabrées. La compagnie propriétaire les avait revendues aux mineurs juste avant sa faillite. Maintenant c’était devenu un ghetto. Nombre de gens de couleur vivaient ici ainsi que des latinos. Le taux de chômage était élevé. C’était presque devenu un bidonville. Des carcasses de voitures jonchaient les rues mal pavées et sales. Des poubelles renversées parsemaient les trottoirs où parfois des hommes étaient allongés ivres ou défoncés. On entendait des cris de dispute sortir des maisons, des bruits sourds, des silences oppressants. Ce n’était qu’un refuge de misère et de malheur comme il en existait à profusion dans cette somptueuse Amérique.
Une ville fantôme, pensa le détective. Seuls le clocher et l’église étaient entretenus. Le village était tout entier tourné vers ce gisement, vestige de son glorieux passé et de son dramatique avenir.
Il retrouva rapidement les trois vieillards. C’étaient des blancs. Ils ne cessaient de regretter le temps où cette mine d’or leur avait permis de gagner honnêtement leur vie. Après la faillite de la compagnie, les anciens mineurs, encore jeunes avaient revendu ces bâtisses relativement belles à l’époque et ils étaient partis vers d’autres villes pour trouver un job. MMissoula n’offrait pas beaucoup de possibilités. Eux seuls étaient restés car déjà trop vieux pour partir. Ils ne se rappelaient presque rien des anciens habitants de cette ville fantôme. L’alcool les plongeait dans des rêves merveilleux entourés de brumes qui les ramenaient à l’époque où ils avaient énormément d’amis, où les bars regorgeaient de bière fraîche et savoureuse et où, là-bas, au loin, les bruits de la carrière leur rappelaient qu’ils avaient du travail et de l’avenir. Toutes les boutiques avaient fermées une à une. Il ne restait qu’une échoppe qui regroupait tous les services qu’on pouvait offrir.
Nichols résolut d’aller glaner quelques informations supplémentaires.
Le patron n’était là que depuis dix ans. Il n’avait rien connu de la prospérité précédente. Il ne savait que ce que les anciens avaient bien voulu lui raconter. Peu de choses en vérité et pas plus qu’en savait l’enquêteur.
Le détective buvait son café tiède tout doucement se laissant bercer par la léthargie de cet endroit. Parfois, une matrone entrait et achetait le strict nécessaire et partait sur des discussions à n’en plus finir avec le patron quant au paiement. Le boss, un grand type costaud, bourru, mais empreint d’une certaine gentillesse, n’en finissait plus de se lamenter après le départ de cette clientèle si pauvre et si démunie. Il répétait sempiternellement :
Mais qu’est ce que je suis venu faire dans ce foutu patelin ?
Nichols ne savait que faire. Il n’obtiendrait plus rien ici pensait-il lorsque le patron s’écria :
« Vous pourriez demander des renseignements à la maison de retraite des peupliers blancs. Elle est réservée aux anciens mineurs. »
Enfin une bonne idée songea-t-il.
« C’est situé où ? »
Le tenancier lui indiqua le chemin à suivre. Ce n’était qu’à une dizaine de kilomètres. Il remonta vers Goldtrees par la grande rue qui y menait notant au passage les peintures délavées des maisons, les planches disjointes, les jardins peuplés de mille détritus, les nombreux enfants qui peuplaient les rues et la misère implacable qui régnait dorénavant. Quand il reprit sa voiture, il fut soulagé de fuir ces maudits endroits qui lui rappelaient sa propre enfance.
La maison de retraite était logée au milieu d’un petit bois. L‘endroit était calme et isolé et convenait admirablement à ces hommes qui avaient tant bossé dans l’obscurité et l’étroitesse. Il expliqua à l’hôtesse qu’il désirait rencontrer un ancien de la mine d’or de Goldtrees pour situer les événements tragiques de ces derniers mois. Cela tombait bien. Un certain Mike Blade vivait ici. Il ne cessait de raconter aux autres pensionnaires des tas d’histoires sur ce coin. Il serait heureux de lui raconter tous ces potins.
Mike Blade était un petit homme jovial et heureux. Le détective se présenta comme un journaliste qui désirait écrire un livre sur Goldtrees et ses habitants. L’homme ne demandait que ça et il entreprit de raconter l’histoire de cette fameuse mine et de son environnement.
C’est un trappeur qui avait découvert les premières pépites entre les racines d’un arbre en creusant un trou pour y enterrer son chien mort. Il y avait une trentaine d’années de cela. Il avait déposé un permis d’exploitation à la ville pour exploiter le gisement. Rapidement, il s’aperçut que le filon s’enfonçait dans le sol. Comme il n’avait pas les moyens financiers pour entreprendre de gros travaux, il revendit sa parcelle à une compagnie qui avait eu vent de cette histoire.
On dégagea une clairière et on creusa le puits par lequel on accédait aux galeries. Le filon était important et l’exploitation abondante. Pour garder sa main d’œuvre, la compagnie construisit le lotissement de Goldtrees. A cette époque, c’était quelque chose. Les maisons en bois peintes, les jardinets décorés de fleurs. Il y avait plusieurs boutiques, des bars, des salons de coiffure. Toutes les échoppes appartenaient à la compagnie qui gagnait sur tous les tableaux. C’était un vrai petit village. On construisit même une église et un clocher.
A sa grande époque, la mine employa cinq cent personnes dont quatre cent mineurs. Le reste était des employés administratifs. Le village comptait plus de mille individus. On construisit la route départementale pour les camions qui emmenaient le minerai pour être traité à Missoula, dans une usine de la compagnie.
Les nombreux boyaux bâtis à partir de la galerie principale se révélèrent décevants. Ils s’épuisaient rapidement. Seul le filon principal s’avérait exceptionnel. On fit des carottes un peu partout dans la forêt pour trouver d’autres gisements, en vain. En revanche, on comprit l’origine du filon. Une ancienne rivière souterraine était passée dans les sous-sols et avait déposé cet or qui venait des montagnes de Blackhills. Des rus souterrains creusaient encore le sous-sol et rendaient aléatoires les ouvrages miniers. Aussi résolut-on de les détourner en amont. Ils venaient du Yellowstone qui parcourait cet état de son chemin. La galerie principale était constamment étayée avec de nouvelles poutres. On les changeait tous les deux ou trois ans. Elles pourrissaient vite.
Mais comme le filon s’épuisait, on fit partir les plus vieux, on licencia à plusieurs reprises, les boutiques fermaient faute de clients. La compagnie cédait les maisons aux mineurs en lieu et place de leurs indemnités de licenciement. Il n’y avait plus que deux cent personnes qui travaillaient quand le drame arriva.
Il y avait eu un automne et un hiver catastrophiques. Il n’avait cessé de pleuvoir tellement le climat était doux. Le Yellowstone avait envahi les plaines environnantes. Toutes les rivières sortaient de leur lit. Nombre d’habitations étaient gravement inondées. On évacuait des fermiers presque partout. La direction de la mine, faute d’argent, retardait les travaux d’entretien et l’accident se produisit. Un éboulement de terrain eut lieu dans la galerie principale. Trois mineurs furent ensevelis et périrent. Une vingtaine d’autres trouvèrent refuge dans le fond de la mine de l’autre côté. Ils étaient prisonniers. On entreprit de dégager la terre, tombée dans la galerie, qui empêchait qu’on vienne à leur secours. Malheureusement, les rus surgirent de toutes parts. L’eau coulait de partout, ce qui fit que la terre retombait sans cesse des plafonds suintants. Impossible de continuer ainsi. Beaucoup trop dangereux pour les hommes. La galerie menaçait de s’écrouler définitivement. Les poutres craquaient comme un bateau pris dans une tempête. On pataugeait dans la boue, il y en avait par endroits jusqu’à cinquante centimètres. Parfois, en creusant, l’eau vous sautait au visage, un ru sauvage avait été mis à jour. Il faisait froid. L’eau envahissait tous les boyaux. C’était cauchemardesque.
Les hommes, pris au piège, ne pouvaient survivre plus de quinze jours, pensait-on. L’ingénieur chargé des travaux s’aperçut vite que l’on n’y arriverait pas par-là. Trop friable et dangereux. La galerie risquait de disparaître sous la terre. C’est lui qui avait sondé les terrains environnants, de l’autre côté de la route, le terrain était pierreux.
Il décida de creuser le puits à cet endroit. Deux cent mètres, un peu plus bas. C’était très bien placé, près de la route pour que les camions puissent y accéder et pas très loin de la mine en ligne droite. Nous avons mis seulement sept jours pour creuser le puits et rejoindre, par un petit boyau, les hommes prisonniers de la mine. C’est ainsi qu’on les a sauvés. Après cet accident, la compagnie battit de l’aile. Elle était mal assurée. Elle reprit la vente des maisons aux anciens mineurs pour récupérer du cash. Les travaux avaient coûté cher et il y avait la perte d’exploitation. Elle resta fermée deux mois. Elle ne s’en remit jamais. Et tout le monde oublia le puits qui avait été réalisé si vite. On mit seulement quelques planches pour éviter qu’un animal ou un promeneur ne tombent à l‘intérieur.
On put reprendre l’exploitation au début de l’été. Tout le monde pressentait la fin. La compagnie fit faillite deux ans après. La mine ferma définitivement. On récupéra tout ce qui pouvait l’être comme l’ascenseur principal, les bureaux, le matériel, etc. Il y eut une grande vente aux enchères. Les rares maisons qui restaient à la compagnie aussi. On se retrouva désœuvrés à errer dans le lotissement. Nous fûmes plusieurs à rester ainsi, attendant une ouverture incertaine de quelques fabriques attirées par cette main d’œuvre nombreuse et bon marché. Le vieil homme cherchait dans ses souvenirs. Nichols n’était guère avancé.
Puis, au-delà de son regard porté vers sa mémoire, il se rappela un incident.
« Je me rappelle un autre accident qui est survenu autour de cette mine, deux ans après sa fermeture. Un gamin est tombé accidentellement dans le second puits. Il s’est fracturé une jambe, il aurait pu se tuer. On s’aperçut que les mômes avaient ôté sans mal les planches et descendaient pour jouer dans les boyaux. Ils étaient toute une bande à s’amuser ainsi. On mit de grosses poutres et surtout on enleva l’échelle de fer qui descendait jusqu’en bas. Après on n’entendit plus parler de cet endroit jusqu’à ces derniers mois. »
L’information parut intéressante pour le privé qui sortit un carnet et demanda :
« Vous rappelez-vous les noms des enfants qui jouaient à ce jeu dangereux ? »
Attendez, il faut que je cherche dans ma vielle caboche. Il y avait les enfants de la famille Martin : Ritchie, qui s’était cassé la jambe, son frère Adam et ses sœurs Connie, Alexandra et Margareth. Je m’en souviens très bien. Ils habitaient la maison contiguë à la mienne. Il y avait aussi la famille Polansky et leur cinq enfants dont j’ai oublié leurs prénoms, excusez moi, ainsi que la famille Armstrong avec la fille Florence et son frère James, un mauvais celui là. Je crois qu’il a fait de la prison par la suite. Enfin, je me rappelle de la famille Perkins et leur trois fils, c’est tout. »
Nichols notait les noms sur un de ces carnets tellement utilisés qu’il perdait ses feuilles écornées et chiffonnées à l’excès.
Vous rappelez-vous d’autres noms des habitants de l’époque ?
Le vieux, fronçant les sourcils, se fit une joie d’énoncer ceux dont ils se souvenaient. Il avait une excellente mémoire et donna une kyrielle de noms au détective qui les recopiait un à un.
Il remercia chaleureusement l’ancien mineur qui n’était pas peu fier de tout ce qu’il avait raconté et de ce qu’il savait sur ce coin de terre perdu dans la forêt.
Il lui demanda s’il n’avait pas une autre anecdote, une histoire oubliée, un truc de ce genre comme l’accident avec les enfants ou s’il connaissait un autre habitant des lieux qui détenaient le même genre d’informations. Le vieux lui affirma qu’ils étaient tous morts à cette heure sauf les trois alcoolos qu’il avait rencontrés.
Il repartit vers sa voiture sans être réellement convaincu de faire bonne route.
Il reprit la route vers l’ancien tennis club de Johnny. Il avait déjà interrogé le personnel en place et celui parti dans un délai d’un trimestre autour du meurtre de Mme Parker. Ils avaient décidé d’étendre à six mois ce laps de temps. Cela faisait environ vingt personnes. Les employés peu payés et jeunes restaient peu, quelques jours, quelques semaines, voire de un à trois mois.
C’est le nouveau propriétaire qui l’accueillit. Le privé se présenta et lui demanda de mettre à sa disposition les archives du personnel.
Immédiatement celui-ci lui apprit, non sans surprise, que :
Quand il avait racheté le club, M. Parker ne lui avait donné qu’une infime partie des archives, la plus importante ayant été détruite par des actes malveillants. Néanmoins, il les mettait à sa disposition. Nichols sentit immédiatement que cette histoire était louche.
Il ne restait pratiquement plus rien du personnel employé avant et après le meurtre de Mme Parker. Une dizaine de fiches était présente. Après vérification, c’étaient celles du personnel qui était resté en place lors de la revente. Plus aucune de ceux qui étaient passés. Approximativement, cela faisait une cinquantaine d’employés, disparus, volatilisés. Avec son instinct, le détective sentait qu’une personne parmi celles-ci était de près ou de loin mêlée au rapt et pourquoi pas, au crime de Mme parker. Restait à la retrouver rapidement.
L’idée lui prit de téléphoner au capitaine du FBI et de lui faire part de ses constatations. Celui-ci ne fut pas plus étonné que ça de la disparition d’une partie du fichier des employés. En son temps, il avait eu accès à ce fichier et il n’y manquait aucune pièce. L’acte de malveillance n’était pas à exclure car beaucoup de gens détestaient Johnny. Des clients cocus, des employés peu payés et surexploités par un patron sans scrupules, inhumain et dragueur, quelques ménagères s’étaient plaints de son comportement envers la gente féminine. Il avait assez d’ennemis pour susciter ce genre de choses. Le capitaine pensait que ce n’était pas une piste intéressante. Toutefois, il allait lui faire parvenir la liste de l’époque. Le FBI avait enquêté sur une année.
Le détective reçut la liste dans la semaine. Elle mentionnait quatre-vingt treize personnes. Pour six mois, on pouvait diviser par deux.
Après mûres réflexions, l’enquêteur alla au service du travail pour retrouver les coordonnées de ces employés qui auraient dû être déclarés au service du bureau du travail. Si Johnny avait détruit leurs fiches avant la vente du club, il avait dû les déclarer en son temps.
Il n’avait pas le choix, il fallait passer par un service officiel.
Il réussit non sans mal à convaincre le responsable de le laisser accéder aux archives. C’était une affaire criminelle, mais il n’avait pas force de loi bien qu’il eût pu obtenir une autorisation officielle sans difficultés.
Après vérification, cela faisait quarante-six personnes. Il fallait compter une moyenne de deux jours par individu pour les retrouver et les interroger ainsi qu’effectuer des démarches sur leurs passés et leur casiers judiciaires ; en tout, plus de trois mois de boulot. L’héritage s’envolait chaque jour de la poche du détective pour atterrir dans celle de ce petit salaud.
Il demanda de l’aide à son cabinet. Un employé allait prendre en charge les recherches sur le passé judiciaire des anciens employés et tenter de les localiser. Nichols se réservait les interrogatoires qu’il jugeait nécessaires.
C‘était un travail de titan, éreintant et laborieux. Les jours passaient ainsi, de ville en ville, d’état en état. Il notait tout sur ses carnets. Il espérait qu’une note, une personne, un événement le mèneraient vers un début de piste. Les semaines défilèrent également avec ce boulot de fourmi qui commençait à énerver le détective.
Il ne restait qu’une semaine. Nichols avait mis les bouchées doubles mais il n’apprenait toujours rien et il se demandait avec scepticisme si les archives avaient été détruites réellement par un mauvais plaisant ou si Johnny l’avait induit volontairement sur une fausse piste. Il était en plein doute et désarroi. La fortune disparaissait au fur et à mesure des entretiens et de sa liste de noms. Il n’en restait plus que trois. Après ces trois noms, le cabinet allait perdre l’héritage et lui un million de dollars. Rien que d’y penser, il en était malade, triste, malheureux et il trouvait décidément la vie bien injuste.
Il n’avait rien appris de neuf. Pourtant, il poursuivait opiniâtrement ses investigations avec méthode. Demain, il avait rendez vous avec un ancien professeur de tennis, un certain Jimmy Robertson, qui avait été viré après un malentendu avec une serveuse et Johnny.
Une histoire de fesses, pensaient certains.
Il travaillait dans un club situé au sud, dans la ville de Lewiston. C’était au sud-ouest du Montana. Il partit tôt. Il avait de la route à faire.
Robertson était un grand gaillard avec un physique intéressant pour les femmes, grand, brun, un beau mec. Distant et circonspect devant le détective.
Nichols se présenta comme un privé qui enquêtait sur le meurtre de Mme Parker sans lui avouer la véritable raison.
La discussion commença. L’enquêteur lui demanda s’il avait eu vent de cette affaire. Robertson répondit par l’affirmative. Il était parti de la région environ quatre mois avant le kidnapping.
« Pour quelle raison s’enquérit-il?
Vous voulez la cause officielle ou réelle ?
Les deux, répondit-il.
L’officielle, c’était qu’une cliente s’était plainte de mes assiduités. Il faut dire que j’avais été recruté un peu pour ça.
La réelle, c’est que je sortais avec une serveuse que le patron s’envoyait depuis peu. Je pense qu’il était jaloux ou qu’il ne voulait pas partager. Bien que ce ne fût pas son truc, la propriété féminine, avec toutes les femmes mariées qu’il se tapait. De plus, j’avais été embauché aussi pour mon physique et pour en jouer auprès des épouses délaissées. Bref, il m’a payé ma semaine et je suis parti. De toute manière, la fille avait disparu avant moi, impossible de la retrouver.
Vous rappelez-vous son nom ? »
Son prénom seulement, Florence. Elle avait un nom archi connu, mais je l’ai oublié, je le crains. Vous savez les filles dans mon job, ça va, ça vient. »
Nichols pensait, encore un Johnny, un petit salaud qui ne pense qu’avec sa bite, un égoïste de première, un maquereau en herbe.
Quel âge avait ce marmot ?
Vingt-deux, vingt- trois ans et déjà cynique, cruel et indifférent à tout. Quel monde allions-nous laisser derrière nous ?
« Qu’est ce que vous vous rappelez sur cette fille ?
Très belle et très libre sexuellement. Elle repassait dans le coin. Elle était originaire de la mine où a été déposée la rançon. Elle voulait revoir le lieu de son enfance. Vous savez le fameux gisement, je ne me souviens plus de son nom. »
Nichols sursauta et dit, tout en réfléchissant à toute vitesse :
« Goldtrees, la mine d’or de Goldtrees.
C’est ça, confirma le jeunot, Goldtrees. »
Un silence s’installa, le temps pour le détective de rassembler les éléments épars et d’en faire une certitude.
L’idée lui vint subitement de soumettre à ce jeune con la liste de noms que lui avait donnée le vieux mineur ainsi que celle des employés de cette époque.
Il sortit ses vieux carnets élimés et lui tendit une liste. Pendant qu’il recherchait l’autre, il enchaina :
« Voici des noms, peut-être que l’un d’entre eux vous rafraîchira la mémoire ? »
C’était la liste du FBI. Le jeune jeune homme la parcourut plusieurs fois et répondit.
« Cela ne me dit rien, rien du tout, désolé. »
« Attendez, j’en ai une autre » et il chercha dans ses cahiers la liste des noms donnés par le vieux mineur. Il lui présenta une feuille raturée et passablement défraîchie.
Un sourire illumina le visage de Robertson et il s’exclama :
« Armstrong, c’était son nom, Armstrong. »
Le détective ne put s’empêcher de souffler de joie et d’étonnement. Se pouvait-il qu’il vienne de mettre le doigt sur la clef de cette affaire ?
L’autre répondit :
« Vous avez l’air drôlement content ? »
« Oui mon gars et tu vas peut-être encore m’aider. Cinq cent billets pour toi si la mémoire te revient.
Avec une telle somme, je vais m’efforcer de devenir intelligent. »
C’était moins sûr, pensa le limier.
« Qu’est ce que tu te rappelles ?
Qu’est ce que tu as foutu avec cette gonzesse ?
Elle était bien roulée et semblait peu farouche. On a couché ensemble deux ou trois jours après son arrivée. Nous sommes restés trois, quatre semaines ensemble. Ensuite, elle a frayé avec le patron. Elle me l’a dit et puis elle s’est volatilisée. Une journée, elle était là le matin et puis plus personne. Après le boss m’a viré. J’ai cherché à la revoir, elle avait disparu. C’était le genre de fille qui peut faire ça. Un jour ici, un autre là, ce n’était pas extraordinaire.
Bon, tu es resté avec elle presque un mois, vous êtes sorti ensemble ?
Oui, nous sommes allés au cinéma, au dancing, au restaurant, des trucs de ce style, après on dormait ensemble. »
Tu ne te rappelles pas une virée avec des potes à elle, un truc de ce genre ? »
Robertson cherchait dans ses souvenirs et cela lui imposait un gros effort.
« Ah oui ! Je me rappelle. Une fois, nous sommes sortis avec son frère, un type bizarre. On a fini dans un vieil entrepôt désaffecté qui était à vendre. Il était gardé par un des potes du frangin, un grand mec gros et baraqué, Archie, qu’il se nommait. Le terrain était immense. On a fait la course avec nos motos. On s’est bien marrés. Mais, je n’aimais pas son frère, c’était un brutal, un mec dangereux, je crois qu’il avait fait de la prison. J’ai refusé d’autres sorties avec son frérot. On a repris nos anciennes habitudes. »
Les pensées de Nichols affluaient à une vitesse stupéfiante dans son cerveau. La méthode paie pensait-il. Maintenant, il fallait rentrer et mettre de l’ordre dans tout cela. Il abandonna le jeune homme à ses clientes qui attendaient, nombreuses et impatientes.
*
Il était assis sur son lit, tous ses vieux cahiers éparpillés autour de lui. Il était heureux, le puzzle se mettait en place délicatement. Il restait malheureusement quelques pièces manquantes mais la chance qui lui souriait à ce jour n’allait plus le quitter et l’aider à résoudre enfin cette affaire. Il songeait au million de dollars. Il ne restait plus que trois jours avant la date fatidique.
Le vieux mineur lui avait bien dit, son frère avait fait de la taule par la suite pour des choses graves. Il avait demandé par téléphone à son cabinet de lui envoyer le casier judiciaire de James Armstrong et de sa sœur.
Il l’aurait demain matin, le temps pressait.
La nuit fut passablement agitée pour le meilleur élément du cabinet Barney & Collins. Les trois jours sonnaient dans ses tempes et résonnaient dans son pouls. Une somme fabuleuse lui tendait les bras et s’envolait un peu au fil du temps. Il aurait donné dix, voire vingt ans de sa vie pour freiner cet espace obscur qui en s’évanouissant le rapprochait d’un échec cuisant, lamentable. Demain, il ne resterait que quarante-huit heures de soixante petites minutes pour prouver la culpabilité de ce jeune con. Il avait fait le plus gros, il ne lui restait qu’à trouver une preuve. Le tout était de savoir laquelle allait se présenter et sous quelle forme.
Arriverait-il à terminer dans les délais impartis cette laborieuse affaire ?
Heureusement qu’il était un tenace, un persévérant, un assidu de la traque inextricable. Avec sa méthode douce, ses notes, ses indécisions et son esprit méthodique, sa façon très particulière de ne s’avouer jamais vaincu et de remettre parfois tout à zéro, il arrivait à remarquer une piste là où personne ne s’y attendait.
Johnny était en ville. Il attendait l’heureux jour de son héritage. Il était descendu dans l’hôtel le plus luxueux de la ville avec une superbe créature, une blonde aussi belle qu’idiote. Il avait vieilli mais était plus beau. Un air grave passait parfois sur son visage et lui donnait une fragilité étrange, tragique, comme si un lourd secret encombrait sa mémoire, ce qui attirait encore plus les femmes. Quand il s’apercevait de ce fait, un grand sourire éclairait sa face et ses yeux se plissaient et on n’y découvrait qu’une manière de vivre superficielle. C’était déroutant et charmant à la fois. Il déambulait dans Missoula pareil à un touriste, s’arrêtant et découvrant les facettes de cette ville qui l’avait vu devenir riche, s’étonnant de la devanture des quelques magasins du centre ville, scrutant dans quelques visages connus des signes de son ancienne notoriété. Mais la gloire est éphémère et bien des gens l’avaient oublié.
Certains le reconnurent malgré la séparation et lui adressaient un sourire en guise de salutation. Il y répondait machinalement par un signe de tête avec le sempiternel sourire. Vieille habitude commerciale qu’il avait conservée du temps de sa pauvreté. On ne sait jamais à qui on s’adresse, pensait-il, et, de plus, cela ne coûte rien, alors pourquoi se priver ?
Il se baladait négligemment, humant l’air à pleins poumons avec cette pin up à son bras. Dans quelques heures, il serait riche, très riche. Comme pour affirmer ses dires, la belle se serra un peu plus contre lui, histoire de se rappeler à son bon souvenir, pas folle la guêpe et avec ça un instinct de pute à peine croyable. Il était bien. Extraordinairement heureux, calme et serein.
Nichols lisait son courrier fébrilement :
Florence n’avait pas de casier. Mais son frère James Armstrong avait fait de la prison pour braquage de banque, attaque à main armée et tentative de meurtre. Il était décrit comme très dangereux, pervers et brutal. La police le soupçonnait d’homicide sans en avoir apporté la preuve. Il avait été condamné à dix ans de pénitencier, il avait purgé huit années, puis libéré pour bonne conduite. Il avait été relâché huit mois avant l’enlèvement. Sur le dossier émis par ses collègues, un nom le fit sursauter, un de ses complices se nommait Archie Hummer.
La coïncidence était impossible. Tout se tenait. Restait à démêler l’écheveau et trouver des preuves. Mais le temps qui passait était son pire ennemi. Après quelques réflexions, une idée germa lentement et s’imposa évidente et lumineuse.
Le détective téléphona de nouveau à Robertson lui demandant s’il pouvait reconnaître l’endroit où avait eu lieu la course de moto ?
« Sans doute ! » répondit le jeune professeur.
« Mais, je travaille, je ne peux m’absenter sans motif. J’ai une bonne place ici… »
Le privé lui coupa la parole brutalement :
« Cinq cent sacs si tu es là cette après-midi.
C’est bon, j’arrive. »
Ils déambulaient dans les rues de Missoula à la recherche d’un vieux dock isolé à vendre. Robertson cherchait dans ses piteux souvenirs quelques fragments. Deux heures qu’ils tournaient ainsi. Nichols désespérait.
Soudain, le long d’une avenue déserte, un grand panneau annonçait :
A VENDRE, avec un numéro de téléphone.
Il stoppa l’automobile et ils descendirent inspecter les environs.
A travers la grille, ils apercevaient des quais pour décharger les camions ainsi que des entrepôts frigorifiques pour garder au frais les marchandises. Robertson semblait reconnaître les lieux mais il n’était pas certain.
Un gardien se prélassait dans une petite pièce vitrée prévue à cet effet.
Le limier le héla. L’autre sortit en hurlant :
« C’est vendu, il n’y a plus rien à visiter, trop tard. »
Le détective brandit un billet de cent dollars et l’agita en haut de son bras.
L’autre vint en se pressant et demanda, en lorgnant le billet et prêt à vendre père et mère :
« Qu’est ce que vous voulez ?
C’est vendu.
On cherche quelque chose, cent sacs pour toi si tu nous laisses entrer. »
C’est bon, mais vous n’en parlez à personne.
Bien sûr », répondit Nichols.
C’était quoi avant ? »
Une société de transport qui stockait des marchandises pour les revendre au détail, un truc comme ça. C’est liquidé. Je crois qu’on va faire des logements sociaux, quelque chose dans ce genre. Cela faisait plus de deux ans que c’était en vente. »
Ils étaient entrés et le gardien referma la grille derrière eux.
« Depuis combien de temps travaillez-vous là ? », questionna le privé.
« Un an. Je suis arrivé le jour où le corps de la femme a été retrouvé. »
L’enquêteur le regardait comme assommé par cette révélation.
Robertson affirma :
« C’est ici, je reconnais les frigos. »
Quel lieu idéal pour garder un otage pensait le privé !
Une vieille réserve abandonnée au milieu de la ville.
Il se dirigea vers les frigos. Il y en avait d’immenses qui gardaient au frais les marchandises peu fragiles. Deux autres plus petits étaient situés un peu à l’écart. Le gardien précisa qu’ils étaient réservés pour les marchandises plus fragiles et plus chères.
Le détective ouvrit le premier.
Il faisait noir comme dans un four. Le vieux alluma la lumière à l’aide d’un bouton situé près de la porte. Nichols entra et l’inspecta minutieusement. Il ressortit désappointé et marcha vers le second. Il actionna l’interrupteur pour allumer la lumière et ouvrit la lourde porte. La pièce était plongée dans le noir le plus complet. Il manœuvra plusieurs fois le bouton électrique, rien à faire, le néon devait être défectueux, pensa-il. Il entra mais, avec la porte ouverte, on n’apercevait qu’une partie de la salle. Le jeune prof l’avait suivi. Le limier, avec sa haute taille, tenta de tourner le néon pour obtenir de la lumière. Il était bloqué par un objet, on ne pouvait le bouger. Il se résolut à l’ôter. Quelque chose tomba, le bruit résonna longtemps. Robertson se mit en quête de ce qui avait chuté, le trouva et dit :
« C’est une bague. »
Il avait remis le néon et la lumière jaillit inondant les parois métalliques de tout son éclat. Nichols s’exclama :
« C’est ce truc qui bloquait le néon et coupait la lumière. »
Robertson s’exclama :
« Fichtre ! C’est une bague avec une pierre magnifique, on dirait un diamant. »
Au même moment les deux hommes regardèrent avec curiosité une paroi sur le côté entièrement recouverte de graffitis. La lumière vive déclenchait des reflets qui gênaient la lecture de ce qui paraissait être une écriture. Les deux hommes essayaient de déchiffrer les signes entraperçus. Nichols examinait la bague attentivement. C’était un diamant d’une qualité exceptionnelle. Il devait bien peser trois carats. Une date était gravée à l’intérieur mais le détective savait déjà que c’était celle de Mme Parker. Il n’avait aucun doute à ce sujet. Il en était persuadé comme il subodorait depuis un instant qu’il était sur la bonne voie.
Cette femme avait été retenue dans ce lieu avant de mourir, il en était certain.
Il fallait décrypter ce qui avait l’air d’être inscrit sur cette paroi. Pour lire et comprendre ce curieux message, le mieux était de passer une poudre de couleur qui s’incrusterait dans les rayures et en laisserait apparaître la signification.
Il partit précipitamment à la quincaillerie la plus proche. Il revint très rapidement et passa de la poudre bleue, la seule qu’il avait trouvée, avec une éponge humide sur les parois. La poudre s’infiltrait dans les fines marbrures. Il essuya le surplus avec le dos de l’éponge. Il s‘appliquait consciencieusement car il pressentait le dénouement de cette affaire. Le gardien les avait rejoints et les deux hommes le regardaient mettre à jour une inscription qui les stupéfia. Nichols frottait toujours et leur demanda ce qu’il pouvait lire mais les deux hommes hébétés ne savaient que répondre.
Le plus jeune dit:
« Je pense que vous avez la réponse à votre enquête. »
Le privé se releva et lut en reculant ce qu’il y avait d’écrit. Un sourire illumina son visage. Il répéta l’inscription à haute voix comme pour intensifier sa joie.
« Vite, dit-il aux deux hommes, il faut prévenir la police. »
*
Johnny regardait le cul de Bridget avec délectation C’était vraiment une bonne baiseuse et elle était magnifique, conne mais tellement belle. De plus, c’était une vicieuse de première, ne refusant aucune expérience sexuelle. Sa bêtise n’était pas contagieuse et puis, on ne pouvait pas tout lui demander.
Quand elle était nue, son indécente beauté reflétait le désir des hommes et sa totale liberté pour leur fantasme.
Depuis la mort de sa femme, il profitait de tous les bons moments qu’il pouvait se dispenser avec l’argent qu’il avait retiré de la vente du club et de la propriété ainsi que des mille dollars par semaine. Il avait fini par oublier une partie de cette sordide affaire et sa culpabilité. Il était arrivé à se persuader qu’il était étranger à toute cette histoire. Il était parti vivre en Californie, au soleil, près de l’océan, faire la fête avec des filles plus belles les unes que les autres, très connes aussi. Tous les souvenirs de sa vie précédente avaient été dissous comme pour chasser les démons et les fantômes de son passé. Il vivait l’instant présent comme s’il devait mourir demain. Angoissé parfois par son passé qu’il revoyait lors de cauchemars inconscients qui peuplaient quelquefois ses nuits. Il se réveillait en sursaut, trempé de sueur, se voyant assis sur cette fameuse chaise électrique, s’attendant à chaque seconde à sentir cette chaleur mortelle qui allait détruire son physique en quelques secondes. Une chape de plomb s’abattait sur ses épaules et il sentait une malédiction infernale se mettre en place. Il n’avait plus qu’à penser à son sort pour sentir des larmes lui monter aux yeux et devenir un martyr, un pauvre malheureux. Il lui fallait une étreinte, une fuite éperdue dans d’autres corps pour chasser ses rêves démoniaques.
C’est comme cela qu’il arrivait à vivre. Ce n’était pas si mal. Le téléphone sonna. Bridget décrocha et dit :
« C’est pour toi chéri. »
Johnny pensa que ce devait être le notaire ou Douglas.
Il prit le combiné et se présenta :
« Johnny Parker à l’appareil.
Monsieur Parker, bonjour, vous vous souvenez de moi ? »
Puis, sans attendre :
« Je suis le détective du cabinet Barney & Collins. Je suis Mark Nichols. Cela fait une année à peu près, que j’avais été vous voir pour vous demander quelques renseignements.
Vous vous rappelez ? »
Johnny fronça les sourcils.
Que lui voulait ce tordu ?
« Oui, un peu, je crois.
Je suis bon joueur, je n’ai pu que constater votre innocence dans ce rapt où votre épouse a été assassinée. Je voulais vous féliciter pour cela. Pourriez-vous passer me voir si cela ne vous dérange pas, je vous donnerai un objet qui, je crois, a appartenu à votre femme.
De quel objet s’agit-il ? », Questionna Johnny. »
« C’est délicat d’en parler, je préférerais que vous vous déplaciez.
Bien entendu si cela ne vous dérange pas. »
Mais qu’est ce qu’il pouvait bien avoir trouvé qui appartenait à Elisabeth, songea-t-il. Une légère inquiétude voila sa face et se dissipa aussitôt en repensant aux félicitations qu’il lui avait adressées. Tu ne risques rien, se dit-il, tu as gagné mon gars, dans quarante-huit heures, tu es riche.
Il n’avait rien à faire, comme d’habitude, et puis il voulait voir la déception de ce pauvre type, ce misérable détective habillé comme un bouseux. Lire sur son visage la déception d’avoir perdu ce fabuleux héritage.
« Où êtes-vous ? »
L’enquêteur donna l’adresse où il se trouvait.
Johnny trouva le lieu étrange et singulier, malgré tout il décida de s’y rendre. Laissant Bridget se vernir les pieds et les mains, il partit sans se presser à son rendez-vous.
Il gara la voiture à l’entrée de l’entrepôt. Il reconnut le privé qui l’attendait et qui lui serra la main avec un grand sourire. Il sentit immédiatement que quelque chose clochait. Ce type avait l’air franchement heureux et pas du tout déçu par son échec. Il y avait plusieurs personnes dans cet endroit curieux. Mais sans lui laisser le temps de se reprendre, le bouseux le prit par le bras et l’entraîna vers un hangar frigorifique grand ouvert. On sentait le doute dans la voix de Johnny quand il questionna Nichols sur l’objet qu’il avait trouvé. Le détective répondit calmement comme pour apaiser l’anxiété qui perçait :
« Ne vous inquiétez pas M. Parker, ce n’est rien, juste un détail que je veux éclaircir avec vous. »
Ils étaient devant la porte du caisson. L’enquêteur s’effaça devant lui. Johnny entra et fut aussitôt ébloui par la lumière qui se reflétait sur toutes les parois. Il reconnut le shérif et l’attorney. Brendan aussi était présent avec un regard vindicatif. Il se retourna vers le détective pour l’interroger tandis que celui-ci lui tendit le diamant qu’il avait offert à son épouse après l‘accident.
Le privé ajouta :
« M. Parker, je crois que c’est la bague que votre femme portait au moment de sa disparition. Elle correspond au certificat de vente et la date est celle de votre mariage. Nous pensons le FBI, la police et moi que votre épouse a été retenue ici après son enlèvement par Florence et James Armstrong ainsi que leur complice Archie Hummer. »
D’ailleurs, elle a écrit un message à votre attention. Ces quelques mots ont été écrits avec le diamant que vous lui aviez offert après l’accident raté.
Regardez donc de ce côté M. Parker. »
Johnny était livide, son cauchemar prenait forme, il n’avait pas rêvé tout ce temps pour rien. Le visage de Babeth se reflétait sur les cloisons avec une réalité insoutenable. Il revoyait ses traits dans la morgue et son incomparable beauté ainsi que sa sérénité exceptionnelle par rapport à ce qu’elle avait dû endurer tout au long de sa détention. Il sentait sur lui les regards des personnes présentes. Il devenait un monstrueux coupable. Douglas le fixait avec une haine abominable. Il chassa ces oiseaux de mauvais augure en regardant les mille paillettes de cette fastueuse pierre.
Un instant plus tard, c’est son image qu’il apercevait. Celle d’un homme pleurant, gémissant, priant pour ne point mourir assis sur une chaise, maintenu par une multitude de sangles, avec quantités d’électrodes accrochés un peu partout. Il l’avait tant imaginé cette scène qu’elle devenait réalité.
Il avait envie de pleurer, de crier sa haine, son désarroi, sa peur. Deux jours, il avait manqué quarante- huit heures pour se sortir de ce guêpier et emporter une fortune considérable, une revanche sur la vie, sur son sort. Il tournait et retournait le diamant dans ses mains et le fixait du regard sans pouvoir s’en détacher. Il se maudissait d’avoir offert ce genre de chose à sa défunte épouse. Il se rappelait le papier présenté avec :
Mon amour, comme ce diamant, est éternel. La malédiction aussi, pensa-t-il. Au même moment, le poids invisible qui pesait sur ses épaules s’envola comme par miracle.
Un bras le secoua et l’invita à lire l’inscription.
Il leva lentement la tête avec les éclats du diamant dans les yeux. La paroi métallique couleur gris acier était striée d’une écriture bleue qu’il identifia comme celle de Babeth et on pouvait lire :
Moi, Elisabeth Parker a été détenue ici, mon mari Johnny a ordonné ma mort pour 2 millions de dollars afin d’hériter.
Que dieu te pardonne, Johnny.
Des éclairs traversaient son regard. Le diamant renvoyait les éclats gris bleus des yeux de Johnny où se mêlaient des flammes aciers dont on ne pouvait distinguer s’ils provenaient de l’écriture, des parois ou de son âme.